Archéologie : que fait cet ancien village perse au beau milieu de Madagascar ?
Une nouvelle étude réalisée à Teniky, site archéologique reculé de Madagascar, rejette l’idée selon laquelle ce lieu aurait été construit par des marins portugais naufragés.
On attribuait précédemment ces niches découvertes sur le site archéologique de Teniky, à Madagascar, à des marins portugais naufragés. Désormais, des chercheurs pensent qu’elles pourraient être l’œuvre de zoroastriens ayant fui la Perse.
Voilà bien longtemps que les niches et murs rocheux du mystérieux site archéologique de Teniky, à Madagascar, déconcertent les scientifiques. Selon une théorie ancienne, des marins portugais naufragés auraient été les architectes originels de ce lieu au 16e siècle. Mais selon une étude qui vient de paraître, ce seraient en fait des exilés zoroastriens de Perse qui l’auraient construit des siècles auparavant, possiblement dans l’espoir de créer un paradis isolé sur une île semi-légendaire.
Désormais abandonnée au milieu d’un paysage composé de forêts tropicales, de versants de collines rocheux et de crêtes montagneuses immenses, Teniky gît à plus de 160 km du littoral le plus proche et probablement aussi loin que possible de tout endroit de cette île de l’océan Indien qui fait la taille du Texas.
Les dizaines de niches sculptées dans ses falaises ressemblent à de petites pièces surélevées et font quelques mètres à peine de largeur et de profondeur ; de nombreuses entrées sont encadrées par des renfoncements circulaires qui servaient peut-être à fermer les niches à l’aide de portes en bois ou en pierre.
Ces niches ne ressemblent à rien de ce qui a pu être découvert à Madagascar ou en Afrique de l’Est. Mais elles ressemblent de manière frappante aux niches funéraires que l’on trouve sur certains sites archéologiques zoroastriens en Iran.
Le Parc national d’Isalo, à Madagascar, est connu pour ses formations de grès érodées, comme celle présentée ci-dessus. Le parc abrite également le site archéologique reculé de Teniky.
« Pour le moment, nous considérons que ces niches appartiennent à une ancienne nécropole où les dépouilles étaient exposées et où les os séchés étaient conservés », révèle Guido Schreurs, géologue de l’Université de Berne et auteur principal de l’étude publiée dans la revue Azania: Archeological Research in Africa.
RUINES ISOLÉES
Des images satellite montrent que ce site archéologique reculé, également appelé Tenika, est bien plus grand qu’on ne le pensait, et de récentes expéditions y ont mis au jour des niches sculptées, des lieux de rituels et des terrasses de pierre cachés dans le paysage environnant.
Guido Schreurs a commencé à s’intéresser à Teniky en 1994 alors qu’il travaillait sur un projet dans le Parc national d’Isalo, qui englobe désormais la zone. Lors d’une exposition à Genève, en 2010, il a vu des photos de Teniky et a commencé à parcourir la littérature scientifique concernant le site tout en cherchant des images satellite sur Google Earth. Il s’est ensuite tourné vers des archéologues de Madagascar avec lesquels il avait déjà travaillé auparavant et a enfin pu organiser sa première expédition sur place en 2020.
Il a depuis cheminé jusqu’à Teniky à quatre reprises. L’expédition de cette année a vu la participation de seize autres chercheurs en plus de Guido Schreurs : des chercheurs de Suisse et d’Antananarivo, capitale de Madagascar, qui pour certains sont co-auteurs de l’étude. Ils étaient également accompagnés de six guides locaux et de cent cinquante porteurs qui ont transporté leur nourriture et leur équipement lors des huit heures de marche en montagne et dans des canyons qui séparent le site du village le plus proche.
Vue rapprochée des niches taillées dans la roche dans le cirque de Teniky, amphithéâtre naturel formé par l’érosion d’une rivière.
ORIGINES INCONNUES
Avant même sa venue sur le site, Guido Schreurs était « sceptique » quant aux explications généralement données concernant l’architecture rocheuse de Teniky – nommément, qu’elle datait du 16e siècle et était le fait de marins portugais naufragés qui traversaient l’île en quête d’un port.
Mais les niches de Teniky ressemblent fortement à d’autres niches rocheuses taillées dans des sites funéraires zoroastriens de la région perse du Fars, dans l'actuel Iran, qui portaient le nom d’astōdans en pehlevi, une langue désormais éteinte.
Les zoroastriens qui habitaient le Fars croyaient que l’enfouissement des morts profanait la terre ; ainsi, ils exposaient ces derniers jusqu’à ce qu’ils ne soient plus que des os, puis enterraient ces restes dans des niches rocheuses.
Les dates coïncident également. La datation au carbone 14 de charbon exhumé à Teniky indique que la plus ancienne habitation du site fut construite entre le 10e et le 12e siècle, soit bien avant que les Portugais n’arrivent dans la région à la fin du 15e siècle, mais peu ou prou au moment où les premières villes du littoral malgache sortirent de terre.
Les niches taillées dans les falaises de grès nues de Teniky ressemblent de manière frappante à celles utilisées dans le rite funéraire zoroastrien dans la région de Fars, en Perse.
Le zoroastrisme fut la religion officielle de l’Empire perse pendant plus de 1 000 ans avant la conquête arabe du septième siècle. Encore pratiquée de nos jours, en particulier en Inde et en Iran, cette religion insiste sur l’opposition de forces contraires dans l’Univers et tient le feu sacré pour un symbole de pureté.
Mais les envahisseurs arabes de la Perse vinrent avec cette nouvelle religion qu’était l’islam, qui se répandit rapidement ; selon les auteurs de l’étude, un groupe de fervents zoroastriens aurait peut-être quité la Perse au 10e ou 11e siècle pour créer une colonie insulaire à Madagascar.
UN ARGUMENT « PLAUSIBLE »
Nathan Anderson, archéologue de l’Université de Santa Clara n’ayant pas pris part aux présentes recherches mais ayant fouillé d’autres colonies à Madagascar, a initialement douté du lien entre les zoroastriens et le site de Teniky.
Mais selon lui, « quand on s’intéresse vraiment aux données, quand on regarde l’architecture, difficile de trouver une autre explication plausible ». « À l’évidence ce ne sont que des recherches balbutiantes, et ce sont des conclusions temporaires… [mais] bien que je sois raisonnablement sceptique, leur argument est convaincant. »
Comme le fait remarquer Nathan Anderson, le monde islamique des débuts connaissait Madagascar et l’avait identifiée à l’île de « Wakwak » décrites dans maintes légendes.
ABSENCE D’OSSEMENTS
Un problème avec l’hypothèse selon laquelle des zoroastriens auraient enterré leurs morts à Teniky est qu’aucune des niches rocheuses ne contient de restes humains ; selon les auteurs, cela pourrait être dû à la collecte de ces ossements par des peuples ultérieurs à des fins de « magie noire ».
La structure la plus remarquable du site est la Grande Grotte, également appelée Grotte des Portugais, un grand abri sous roche en saillie au sein d’un cirque (ou amphithéâtre) de falaises nues.
Formations de grès érodées dans le Parc national de l’Isalo, à Madagascar.
La grotte est partiellement obstruée par des murs construits avec soin à partir de blocs de grès, devant une niche sophistiquée de quelques mètres de large qui a été taillée dans la pierre. Des dizaines de niches similaires sont creusées dans les parois rocheuses environnantes et d’énormes piliers et bancs en pierre sont présents dans la Petite Grotte, à environ 150 mètres au sud-est.
UN ANCIEN VILLAGE ?
Guido Schreurs et ses collègues ont localisé les vestiges de murs de pierre entourant la zone située autour des grottes ainsi que d’autres niches et emplacements rituels dans le paysage environnant sur une zone de près de trois hectares.
Les chercheurs ont également découvert des traces de centaines de terrasses en pierre près de la rivière Sahanafo, qui passe à un bon kilomètre à l’ouest des grottes ; et Guido Schreurs pense que certaines d’entre elles servaient jadis d’habitations aux personnes qui enterraient leurs morts dans les niches de Teniky.
Le sol de la région est dur, donc on n’y pratiquait probablement pas l’agriculture, déduit-il.
Mais d’autres ressources ont pu sustenter les habitants. La rivière regorge d’anguilles, tandis que les sangliers et les lémuriens ne manquent pas dans les forêts et plaines voisines ; et Guido Schreurs pense que plusieurs centaines de personnes ont pu vivre près de Teniky à son apogée.
Avec une nouvelle expédition prévue pour 2025, Guido Schreurs et d’autres chercheurs ont bien l’intention de dissiper certains des mystères persistants du site. Ils ignorent encore pourquoi quiconque aurait eu l’idée d’aller s’installer à un endroit aussi reculé ou pourquoi ses habitants l’ont abandonné. Peut-être Teniky a-t-elle subi une attaque ?
« S’agissait-il d'un refuge ? », se demande Guido Schreurs.
Plusieurs pans de murs furent construits à des endroits où il n’était en apparence pas nécessaire d’en construire.
« Cela suggère que ces murs en pierre sèche avaient probablement un caractère protecteur, défensif ; mais contre qui ? », s’interroge-t-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.