Ces anciens nomades utilisaient la peau de leurs ennemis pour en faire du cuir
Il y a 2 400 ans, un historien grec décrivait comment les redoutables Scythes fabriquaient des objets avec la peau de ceux qu’ils vainquaient. Les archéologues peuvent désormais prouver cette hypothèse.
Cette plaque d’or représente un Scythe à dos de cheval. L’historien grec antique Hérodote rapporte, dans ses textes, les traditions de ce peuple nomade, en guerre avec la Perse au 5ème siècle avant notre ère.
D’anciens nomades connus sous le nom de Scythes utilisaient de la peau humaine pour porter leurs flèches, ce qui confirme le récit de l'historien grec Hérodote, dont les récits fantastiques qu'il a consignés il y a plus de 2 400 ans sont souvent mis en doute.
« Nos recherches semblent confirmer les dires sinistres d'Hérodote », déclarent les chercheurs à l'origine de cette découverte, récemment publiée dans la revue scientifique PLOS ONE.
Selon Hérodote, les Scythes ne se contentaient pas de boire le sang du premier homme qu'ils tuaient et de récupérer le cuir chevelu de leurs ennemis. « Plusieurs aussi écorchent, jusqu'aux ongles inclusivement, la main droite des ennemis qu'ils ont tués, et en font des couvercles à leurs carquois. La peau d'homme est en effet épaisse ; et de toutes les peaux, c'est presque la plus brillante par sa blancheur », écrivait l'historien au 5e siècle avant notre ère..
Les chercheurs ont confirmé cette affirmation après avoir analysé quarante-cinq morceaux de cuir et deux de fourrure provenant de treize tumuli scythes, ou kourganes, vieux de 2 400 ans et situés dans le sud de l'Ukraine. Pour ce faire, ils ont employé une technique appelée empreinte de masse peptidique qui a permis d’examiner les protéines distinctives des fragments, le collagène pour la peau et la kératine pour la fourrure, et d’identifier l'espèce animale de trente-six des quarante-cinq fragments de cuir. Deux provenaient sans aucun doute de l'Homo sapiens. Ils étaient, comme le décrivait Hérodote, présents sur des carquois de flèches.
« Nous avons deux exemples, ce qui est déjà mieux qu’un seul ou que rien », explique Margarita Gleba, archéologue à l'université de Padoue, en Italie, et principale autrice de l'étude. « Ce que nous dit Hérodote est donc fondé, et nous sommes sûrs que les Scythes utilisaient la peau humaine pour fabriquer des objets culturels. »
Sur les quarante-sept fragments de cuir et de fourrure vieux de 2 400 ans et provenant de tombes scythes, les chercheurs ont déterminé qu'au moins deux des échantillons correspondaient à de la peau humaine.
La petite taille des morceaux de cuir ne permet pas de déterminer s'ils ont été façonnés par des mains humaines, mais une future analyse de l'ADN pourrait révéler l'origine des personnes dont ils sont issus.
Selon Gleba, il semble que la peau humaine n'ait été utilisée que pour le haut des carquois, tandis que les parties inférieures étaient fabriquées à partir de cuir plus « ordinaire » de bétail ou d'animaux sauvages tels que le renard.
« Ils combinaient très souvent des cuirs provenant de différents animaux, et parfois aussi d'humains », explique-t-elle. « C'était selon ce qu’ils avaient sous la main. »
DES GUERRIERS NOMADES
Hérodote a dédié presqu’un livre entier de ses Histoires en neuf volumes aux Scythes, qui étaient ses contemporains au 5e siècle. Il les décrivait comme des nomades vivant dans les territoires au nord de la mer Noire. Toutefois, des preuves de la présence des Scythes et d’autres groupes auxquels ils étaient liés ont été trouvées sur la steppe eurasienne de l’Ukraine, à l’ouest de la Chine.
Selon Guido Gnecchi Ruscone, archéogénéticien de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste à Leipzig, en Allemagne, qui a étudié les Scythes mais n’a pas participé à la recherche, ils semblent être originaires des montagnes de l'Altaï, dans l'est du Kazakhstan, vers 900 avant notre ère.
Hérodote écrivait que les Scythes étaient réputés pour leur comportement de guerriers et que les arcs courts, qui leur servaient à la fois pour la guerre et la chasse, étaient un objet caractéristique de leur quotidien.
L'un des objets funéraires scythes les plus étonnants est un collier pectoral en or trouvé à Tovsta Mohyla en Ukraine : un chef-d'œuvre de presqu’un kilo en métal, du quatrième siècle avant J.-C. qui représente des animaux et des scènes de la vie nomade.
Barry Cunliffe, archéologue de l’université d’Oxford et spécialiste des Scythes qui n’a pas participé à la recherche, explique qu’Hérodote tenait probablement ces informations de sa visite, vers 444 avant notre ère, d’Olbia du Pont, une colonie grecque située sur la rive nord de la mer Noire.
« Il a dû parler à de nombreuses personnes sur place et assembler les histoires qu’il avait recueillies », explique Cunliffe. Par conséquent, ce qu'Hérodote a rapporté était probablement vrai, mais tous les Scythes n'ont peut-être pas toujours eu les mêmes pratiques : « Il fusionne [dans ses textes] tout un amas d’informations. »
Cunliffe suggère que l'utilisation de la peau humaine sur les carquois pourrait avoir été une tentative, semblable à une pratique magique, d'imprégner les flèches à l'intérieur : « en ayant un peu de peau de l’ennemi sur les flèches, vous contrôlez son pouvoir. »
PÈRE DE L’HISTOIRE, PÈRE DES MENSONGES
L'orateur romain Cicéron appelait Hérodote « le père de l'Histoire », mais ce dernier a également été surnommé « le père des mensonges » par des spécialistes des lettres classiques pour certains de ses récits les plus farfelus, dans lesquels il mentionnait notamment des fourmis chercheuses d'or de la taille d'un renard, des serpents ailés et un peuple d’Européens borgnes qui volaient l'or des griffons.
Toutefois, cette dernière découverte donne raison à Hérodote, affirme Carolyn Dewald, professeure d'études classiques associée au Bard College, qui n'a pas participé à la dernière étude.
Un casque en or représente un guerrier scythe.
Dewald, éditeur du guide de lecture anglais Cambridge Companion to Herodotus et de versions des Histoires, fait, par exemple, état de recherches qui suggèrent que la célèbre description des fourmis chercheuses d'or pourrait avoir pour origine un mot persan désignant les marmottes, qui auraient parfois déterré de la poussière d'or dans les contreforts de l'Himalaya.
Autre exemple, des archéologues ont découvert dans un port d'Égypte ancienne une épave de navire qui correspondait précisément à une description faite par Hérodote de la construction inhabituelle d’un certain type de navire. Enfin, la découverte de cannabis dans des tombes scythes pourrait expliquer sa description d'un rituel au cours duquel les nomades inhalaient la fumée de plantes et « [hurlaient] de joie ».
Hérodote a souvent rapporté différents récits qu’il a toujours attribués à d'autres, explique Dewald. « Il n’y avait, selon lui, pas d’histoire "vraie", dont tous les faits peuvent être expliqués. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.