Nehalennia, déesse antique devenue symbole de la montée des eaux
Grâce à la culture populaire, la déesse néerlandaise Nehalennia est revenue sur le devant de la scène, devenant un symbole du changement climatique.
Une gravure du 19e siècle représente la déesse païenne Nehalennia. Autrefois figure de proue du territoire qui est aujourd’hui celui des Pays-Bas, elle connaît un regain d’intérêt grâce à de nouvelles expositions et à des recherches récentes.
À tout juste une heure et demie de route des canaux historiques d’Amsterdam et de ses maisons typiques au bord de l’eau, Zélande, province côtière du sud-ouest des Pays-Bas, offre un rare aperçu de la mythologie régionale.
Dès les 2e et 3e siècles av. J.-C., lorsque l’Empire romain contrôlait la région, ses habitants vénéraient une déesse nommée Nehalennia. Protectrice des marins qui traversaient la mer du Nord, elle était représentée sur des autels en pierre avec un panier de pommes, des symboles marins et une créature ressemblant à un loup à ses pieds.
Bien que le temps et l’eau aient enterré son héritage pendant des centaines d’années, les temples et objets anciens liés au culte de Nehalennia ont été redécouverts au 17e siècle et dans les années 1970. Ces mises au jour successives ont ravivé l'intérêt populaire pour la déesse païenne. Depuis, dans un pays où près d’un tiers des terres sont immergées, elle est devenue l’emblème du changement climatique et de la montée des eaux.
Une reconstruction moderne du temple de Nehalennia à Colijnsplaat, en Zélande, attire adorateurs et touristes des temps modernes. Les voyageurs peuvent emprunter un bateau de croisière fluviale portant le nom de la déesse pour faire le tour du port de Rotterdam, le plus grand d’Europe. Elle a également inspiré le personnage d'une déesse et reine dans la série Netflix The Witcher et dans l’animé japonais et le manga Sailor Moon.
DES ORIGINES FLOUES
En 1645, une tempête a balayé les dunes autour de Dombourg, en Zélande, dévoilant vingt-huit inscriptions dans la pierre qui mentionnaient le nom de Nehalennia. Depuis, des centaines d’autels, plusieurs statues et deux temples dédiés à la déesse ont été découverts dans la région. Les archéologues ont tiré parti de ces découvertes pour étudier les origines mystérieuses de ce culte.
Dans les années 1970, plusieurs centaines de pierres votives dédiées à la déesse Nehalennia ont été découvertes dans la province néerlandaise de Zélande, ainsi que dans certaines régions de l’Allemagne.
« À l’époque romaine, les Pays-Bas [constituaient] un territoire de transition entre les zones linguistiques germaniques et celtiques », indique Peter-Alexander Kerkhof, chargé de recherche dans les universités de Leyde et de Gand. « La symbolique de Nehalennia est très univoque dans un contexte celtique, en ce sens qu’elle contient le mot celtique britannique halen que l’on peut traduire par “mer”. Nehalennia signifierait donc littéralement “Celle qui est à la mer, ou près de la mer” ».
Tous les historiens ne s’accordent pas sur l’origine celtique de Nehalennia, mais tous pensent qu’il s’agit d’une divinité marine. Jasper de Bruin, archéologue et conservateur de l’exposition Netherlands in Roman Times (les Pays-Bas à l’époque romaine, ndlr), du Musée National des Antiquités de Leyde, indique que la plupart des pierres votives trouvées en Zélande ont été offertes par des marchands qui souhaitaient remercier la déesse pour sa protection lors d’une traversée vers l’Angleterre. Les pierres et autres objets anciens relatifs à Nehalennia font partie de l’exposition permanente du musée.
En raison de son lien avec l’eau, élément qui a joué un rôle majeur dans l’histoire des Pays-Bas, Nehalennia était probablement considérée comme la déesse la plus importante du pays.
Toutefois, l’historienne Annine van der Meer, qui a écrit divers ouvrages sur la déesse, souligne qu’elle pourrait avoir été plus qu’une « simple » protectrice des marins. « Nehalennia est connue comme déesse de la mer, mais les symboles présents sur ses autels montrent qu’elle est également une déesse universelle de la fécondité, de la mort et de la renaissance », explique-t-elle.
SUR LES TRACES DE NEHALENNIA
Pour apercevoir la déesse, les voyageurs peuvent parcourir les 610 kilomètres de la côte hollandaise, traversant les provinces de Frise, de Zélande, de la Hollande-Méridionale, de la Hollande-Septentrionale et Groningue.
Dans le petit village de Colijnsplaat, on découvre une réplique du temple original construit entre 150 et 250 apr. J.-C., datant de 2005. « Un temple païen aurait été impensable 30 ans auparavant. Personne n’aurait pu accepter Nehalennia, mais [les habitants] l’ont fait et sont fiers de leur déesse » explique Jasper de Bruin.
Des reconstitutions en costumes de la vie à l’époque romaine et des cérémonies en l’honneur de Nehalennia ont même lieu au musée de plein air et au parc archéologique Archeon, à Alphen-sur-le-Rhin, en Hollande-Méridionale.
On observe également un regain d’intérêt dans la redéfinition de la narration entourant Nehalennia qui est passée du statut de protectrice des marins à « hydroféministe » au 21e siècle.
En 2022, la scientifique néerlandaise Marte Stoorvogel s’est associée au studio d’art berlinois Nonhuman Nonsense afin de créer une exposition temporaire appelée Mud & Flood: The Return of Nehalennia. Celle-ci vise à aider les visiteurs à comprendre pourquoi les zones de transition des Pays-Bas sont essentielles et l'eau si précieuse.
Les Néerlandais modifient leur approche de la gestion de l’eau, passant de la lutte à la cohabitation. La création de maisons flottantes dans le quartier de l'IJburg à Amsterdam et l'initiative Ruimte voor de Rivier (de la place pour la rivière, ndlr), qui consiste à donner aux rivières plus d'espace pour s'écouler librement au lieu de les réguler, sont autant d'exemples de cette nouvelle façon de penser.
« Beaucoup de personnes s'intéressent à Nehalennia », indique Jasper de Bruin. « C’est un élément du passé qui n’est pas comme un objet statique d’un musée. »
Olga Mecking est une écrivaine, journaliste et traductrice polonaise basée aux Pays-Bas. Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.