Comment la Seine a façonné Paris
L’histoire de Paris est étroitement liée au fleuve qui la traverse en son centre : immergée dans les mythes et les souvenirs, la Seine est l'artère principale de la ville qui se dresse sur ses rives.
Pour le coup d’envoi des Jeux olympiques d’été 2024 à Paris, la ville cherche à émerveiller le public. Malgré la tradition, la cérémonie d'ouverture n'aura pas lieu dans un stade, mais à l'extérieur, sur la Seine. Pour la Parade des nations, des bateaux transportant les équipes participantes vont parader devant près de 300 000 spectateurs réunis sur les quais.
Immergée dans les mythes et les souvenirs, la Seine est l'artère principale de la ville qui se dresse sur ses rives. Le long de cette « grande rue », comme l'appelait Napoléon, les photogéniques paysages parisiens débordent de grandeur et de majesté. Le fleuve est si essentiel à l'existence de la ville que les numéros de bâtiments sont liés à son cours : les bâtiments des rues perpendiculaires commencent leur numérotation au plus près de la Seine, tandis que ceux des rues parallèles montent dans le sens du courant.
« Les Parisiens ont un attachement viscéral et historique à la Seine », estime Pierre Rabadan, l'adjoint à la maire de Paris en charge du sport, des Jeux olympiques et paralympiques et de la Seine.
LA GENÈSE DE PARIS
Depuis sa source en Bourgogne, la Seine circule sur 774 kilomètres pour atteindre la mer au Havre, la capitale se trouvant presque au milieu. La cartographie parisienne du fleuve s'est transformée avec le temps, son cours a été altéré par d'incessantes inondations et ses branches et ses canaux se sont finalement regroupés pour former le lit que nous connaissons aujourd'hui. La devise latine de la ville « Fluctuat nec mergitur », qui signifie en français « Il est battu par les flots, mais ne sombre pas », évoque ces inondations historiques, et la résilience de Paris face à ces problèmes. Le blason de la ville représente un navire à pleine voile.
C'est à proximité des rives à Bercy que l'on découvrit les preuves des premières installations humaines de la ville. Des découvertes plus anciennes eurent lieu à Paris, comme le site mésolithique mis au jour en 2008 dans le 15ᵉ arrondissement, qui révéla des pointes de flèches en silex et des fragments d'os provenant d'un campement de chasseurs-cueilleurs nomades installés au bord de la Seine. Mais la plus ancienne des installations fixes fut découverte sur le site néolithique exploré lors des fouilles archéologiques de Bercy de 1991 à 1992.
« Situé sur une branche, ou un canal, de la Seine, le village a été bien préservé sous des couches de sédiments laissés par les inondations », explique Sylvie Robin, conservatrice en chef de l'archéologie au musée Carnavalet. « Nous avons trouvé des traces d'une palissade, un pont, un des arcs de chasseur les mieux conservés d'Europe, et des pirogues qui ont été déposées sur les rives du fleuve. »
Cette pirogue boisée du village néolithique de Bercy a été sculptée à partir d'un seul tronc de chêne. C'est un point culminant de la collection du musée Carnavalet.
La pirogue, qui mesure plus de quatre mètres de long aujourd'hui, fut sculptée à partir d'un seul tronc de chêne, ce qui exigea beaucoup de travail, d'après les experts, à commencer par l'approvisionnement de l'arbre, qui ne poussait pas dans les environs immédiats. Sylvie Robin considère cette pirogue comme « une perle », un bien précieux conçu pour durer sur plusieurs générations.
DES BATEAUX ET DES MARINS
Quel que soit le point d'observation du fleuve, un bar éphémère, un pont ou la piscine Joséphine Baker, on est vite fasciné par le trafic des bateaux sur la Seine. Les bateaux qui passent peuvent être chargés de marchandises, être un bateau mouche au toit ouvert ou un bateau transportant la Brigade Fluviale, qui patrouille la Seine.
Les bateaux naviguent dans ces eaux depuis des temps immémoriaux. Il n'est pas surprenant que l'un des plus anciens monuments de la ville soit lié aux marins du fleuve. Découvert lors de fouilles sous la nef de Notre-Dame en 1711, le pilier des nautes constituait la base d'une statue offerte à l'empereur Tibère par une guilde de nautes au premier siècle de notre ère.
« Ce rare monument sculpté permet de faire le lien entre le panthéon gréco-romain et les dieux celtes comme Cernunnos », explique Séverine Lepapa, directrice du musée de Cluny, musée national du Moyen Âge, où se trouve le pilier.
Tarvos Trigaranus, une légende gauloise, est représenté par un taureau caché derrière un arbre, des oiseaux perchés sur son dos.
Cette même puissante guilde de nautes aurait financé une partie de la construction des thermes gallo-romains qui constituent la pièce de résistance du musée. Sous un plafond voûté s'élevant à près de quinze mètres de haut, le frigidarium (chambre froide), qui fait partie des vastes thermes de la ville, est l'un des sites gallo-romains les mieux conservés au nord de la Loire.
BEAUTÉ ET INDUSTRIE
Les quais de pierre, chers à la ville, ont été construits au fil des siècles tant pour l'embellissement de la ville que pour son économie et sa défense. Les premiers quais, Conti et Grands-Augustins, datent de 1313. Comme les fortifications en pierre, les quais servaient également à canaliser le fleuve et à tenter de limiter les inondations. Au fur et à mesure que le puissant fleuve alimentait l'industrie et l'empire, les barrages, les écluses, les ponts et, plus tard, les usines modifièrent à jamais son tracé fluvial.
Au début du 18ᵉ siècle, la Seine était tellement encombrée par le trafic des bateaux de commerce que Napoléon lança un projet de canal, qui donna naissance au canal de l'Ourcq, au canal Saint-Martin et au canal Saint-Denis. Le réseau de canaux a non seulement permis de réduire la congestion maritime en détournant le trafic du centre de Paris, mais aussi d'apporter de l'eau potable à la capitale, car l'eau de la Seine, saturée d'eaux usées et non potable, était à l'origine d'épidémies ou du moins responsable de leur propagation.
Au fil du temps, les ingénieurs cherchèrent à contrôler le débit de la Seine : le projet de rénovation urbaine du baron Haussmann comprenait une transformation de la Seine. Pourtant, malgré l'intervention humaine, la Seine est toujours connue pour ses crues. Les Parisiens se tournent traditionnellement vers la statue du Zouave sur le Pont de l'Alma pour mesurer officieusement le niveau de l'eau. Sentinelle des courants de la Seine, le soldat de l'armée coloniale trempe ses pieds dans le fleuve en période de crue.
Pendant la crue de la Seine en 1910, les rues de Paris furent inondées d'eau durant deux mois, l'eau atteignant une hauteur de huit mètres. Des traces de la catastrophe de 1910 se retrouvent sur des marqueurs d'eau indiquant « Crue, janvier 1910 », apposées sur les maisons en pierre, les ponts et les fontaines.
LA RENAISSANCE D'UNE RIVIÈRE
Pendant des millénaires, la vie s'est déroulée sur le fleuve. Les rives de la Seine étaient un lieu de rassemblement pour le travail et les loisirs : les blanchisseuses y lavaient le linge, les ouvriers déchargeaient les marchandises, les marchands y vendaient leurs produits et les bons vivants y prenaient le soleil et s'y baignaient.
Mais au 20ᵉ siècle, une approche différente de l'urbanisme commença à séparer la population du fleuve. Dans les années 1960, des autoroutes ont été construites directement au bord de l'eau. Les quais se sont même transformés en parkings.
Le vent tourna en 2013, lorsque la mairie de Paris décida de rendre l'autoroute piétonne sur la rive gauche. Les cyclistes et les promeneurs sont revenus sur les quais, profitant de nouvelles installations telles que des murs d'escalade et des jardins flottants. Un parc fluvial sur l'autoroute de la rive droite suivit en 2016. Le projet de nettoyage de la Seine pour les Jeux Olympiques, qui a coûté d'1.4 milliard d'euros, est l'aboutissement d'années d'investissement.
« Nous essayons maintenant de reconnecter et de reconquérir la Seine, qui a été historiquement une trame bleue [corridor écologique aquatique] dans une ville extrêmement dense et pavée », explique Pierre Rabadan. « Nous voulons redonner vie à la Seine. »
Des parties de cette histoire ont paru dans Hidden Paris, parMary Winston Nicklin © 2024 National Geographic Partners, LLC.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.