Qu’avons-nous appris (et perdu) depuis la découverte de l’épave du Titanic ?
La chute d’un pan du garde-corps de la proue du navire, qui figure dans une scène emblématique du film Titanic, n’est que le dernier épisode en date de la désagrégation inexorable de l’épave.
Dans les décennies qui se sont écoulées depuis la découverte de l’épave du R.M.S. Titanic dans l’Atlantique Nord, la condition de l’épave s’est détériorée (corrosion par la rouille, communautés de microbes). Récemment, un pan du garde-corps de sa proue emblématique est tombé sur le plancher océanique.
Dans l’une des scènes les plus mémorables du film Titanic de James Cameron, sorti en 1997, Leonardo DiCaprio, depuis la proue du célèbre navire, reconstituée pour le tournage, exulte : « Je suis le maître du monde ! »
En août 2024, l’entreprise américaine RMS Titanic, Inc. a publié des images inédites montrant qu’un pan de 4,5 mètres de long du garde-corps du vrai bateau était tombé, événement qui marque une étape importante dans la désagrégation de cette épave historique.
Depuis que le R.M.S. Titanic a sombré dans les eaux glacées de l’Atlantique Nord le 15 avril 1912, l’intérêt du public pour la catastrophe n’a pas fléchi. Après sa rencontre avec un iceberg, plus de 1 500 de ses 2 200 passagers et membres d’équipage avaient péri.
La découverte de l’épave du Titanic en 1985 engendra des drames à part entière en ce qui concerne la conservation des sites de catastrophes historiques. Retour sur quelques-uns d’entre eux.
1985 : DÉCOUVERTE DE L’ÉPAVE DU TITANIC
Après le naufrage du Titanic, il fallut attendre soixante-treize années avant que son épave ne soit retrouvée, et ce ne fut pas faute d’avoir cherché. En 1914 déjà, un architecte proposait d’essayer de lever l’épave à l’aide d’électroaimants. Dans les années 1950, 1960 et 1970, des propositions diverses et variées soit échouèrent, soit ne furent tout simplement jamais mises à exécution.
Puis, le 1er septembre 1985, une équipe menée par l’océanographe américain Robert Ballard aperçut enfin l’une des chaudières du Titanic, qui conduisit les chercheurs à l’épave elle-même. La nouvelle fit les gros titres de la presse dans le monde entier. Cependant, la véritable histoire de la découverte de l’épave par Robert Ballard dans les eaux internationales, au sud-est de Terre-Neuve, au Canada, fut tenue secrète durant des années.
Il s’avère que lorsqu’il réalisa cette découverte, Robert Ballard, désormais explorateur National Geographic « At Large », était en fait en mission secrète pour enquêter sur les épaves de deux sous-marins nucléaires américains disparus en pleine Guerre froide. Bien que la recherche du Titanic ne fît pas partie de sa mission, Robert Ballard exprima aux officiers de la Navy son souhait de se mettre en quête de l’épave s’il venait à en avoir le temps.
« La Navy ne s’attendait pas du tout à ce que je découvre le Titanic, alors quand cela s’est produit, ils ont commencé à baliser à cause de la publicité », confiait-il à National Geographic lors d’une interview concernant la mission. « Mais les gens étaient si obnubilés par la légende du Titanic qu’ils n’ont jamais fait le rapprochement. »
1987 à 1997 : LE « RECOUVREMENT » DE L’ÉPAVE COMMENCE
Immédiatement après le naufrage du Titanic, des secouristes récupérèrent des corps de victimes ainsi que des objets personnels qui flottaient à la surface de l’Atlantique afin de les envoyer aux familles. Cependant, la découverte de l’épave en 1985 offrit des aubaines inédites aux personnes souhaitant « sauver » des artefacts du Titanic, une pratique que certains purent assimiler au pillage d’un site funéraire historique.
Le garde-corps de la proue du R.M.S. Titanic photographié du dessus en 1991. Des scientifiques ont découvert sur le navire la présence abondante de bactéries pouvant corroder le métal.
En 1987, une entreprise américaine du nom de Titanic Ventures Limited Partnership, prédécesseur de RMS Titanic Inc., remonta près de 1 800 artefacts de l’épave. Pour mener cette expédition controversée, elle s’associa à l’IFREMER, l’institut français d’océanographie, qui avait aidé la marine américaine lors de l’expédition de Robert Ballard en 1985. Le gouvernement français reconnut plus tard Titanic Ventures comme propriétaire de ces artefacts.
Au début des années 1990, les États-Unis octroyèrent à Titanic Ventures des droits de recouvrement exclusifs sur le Titanic. L’entreprise se servit de ces droits pour se rendre de nouveau sur l’épave en 1993, en 1994 et en 1996. Elle récupéra ainsi près de 2 200 artefacts supplémentaires, ce qui accrut l’attention portée aux opérations. En 1997, le Congrès international des musées maritimes dénonça l’exposition de ces artefacts à Memphis, dans le Tennessee, en faisant valoir que RMS Titanic, Inc. ne conservait pas convenablement l’épave du Titanic et ses artefacts.
La même année, le film Titanic fit ses débuts en salle. L’intérêt du public pour l’épave n’en fut que renforcé et des touristes se mirent à payer des fortunes pour pouvoir la visiter.
1998 à 2012 : ESSOR DU TOURISME SUR L’ÉPAVE
En 1998, une entreprise britannique, Deep Ocean Expeditions, commença à commercialiser des tickets d’une valeur 32 500 dollars (56 500 euros d’aujourd’hui) pour aller voir le Titanic à bord d’un submersible. RMS Titanic, Inc. intenta une action en justice pour qu’elle cesse, affirmant que ses droits exclusifs empêchaient tout autre entreprise d’organiser de telles excursions. Le tribunal se rangea du côté de RMS Titanic, mais une cour d’appel cassa le jugement en 1999 et Deep Ocean fut autorisée à organiser des expéditions.
Intérieur d’une cabine de première classe du R.M.S.Titanic photographiée en 1991 et couverte de rouille ; deux hublots sont ouverts. Les humains contribuent eux aussi à la détérioration de l’épave, car le tourisme et les expéditions scientifiques interfèrent avec le site.
Ce ne furent pas les seule entités à entreprendre des visites touristiques près de l’épave. En 2001, un couple américain se maria à bord d’un sous-marin de recherche russe tandis que celui-ci faisait du surplace près du pont du Titanic. En 2002, l’entreprise américaine Bluefish commença à proposer aux touristes des plongées en eaux profondes jusqu’à l’épave. Deep Ocean mit fin à ses excursions en 2012, année du centième anniversaire de la catastrophe, alors que de nombreux détracteurs du tourisme sur le Titanic exigeaient que tout cela cesse.
« Je n’ai aucun problème à ce que les gens aillent voir le Titanic, j’ai un problème avec les personnes qui détruisent le Titanic », pestait Robert Ballard en 2012 dans une interview traitant de ce phénomène. « Nous disposons de preuves irréfutables témoignant de dégâts en tous genres. Nous avons une mosaïque photographique du bateau avant qu’aucun sous-marin ne l’ait approché, et [aujourd’hui] nous pouvons vous montrer où ils se sont posés sur le navire. Nous pouvons vous montrer où ils ont envoyé valser la vigie. »
2010 : CARTOGRAPHIE ARCHÉOLOGIQUE DÉTAILLÉE DE L’ÉPAVE
En 2010, un partenariat gouvernemental et privé (impliquant notamment RMS Titanic et l’Institut océanographie de Woods Hole, dans le Massachussetts) s’est attelé la création d’une carte archéologique détaillée de l’épave pour analyser les détériorations qui avaient déjà eu lieu et pour déterminer combien de temps cette dernière pourrait subsister. Une combinaison de facteurs naturels (microbes formant des communautés sur l’épave) et non naturels (submersibles humains déséquilibrant la vigie) avaient provoqué des changements visibles sur le site.
« Certaines personnes pensent que la proue va s’effondrer d’ici un an ou deux », affirmait en 2010 Bill Lange, directeur de l’Institut océanographique de Woods Hole, dans un entretien accordé à National Geographicavant que la proue ne s’écroule en effet. « Mais selon d’autres, elle va subsister pendant des centaines d’années. »
2012 : PROTECTION DE L’UNESCO
Lorsque l’épave du Titanic a eu cent ans, en 2012, elle est devenue éligible à une protection par une certaine convention de l’UNESCO : les États ayant ratifié la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique peuvent voter des lois contre le pillage, la vente ou la destruction des artefacts provenant de l’épave du Titanic. Il leur est également loisible d’interdire d’accès à leurs ports les navires enfreignant le traité.
Toutefois, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada n’ont jamais ratifié cette convention, ce qui a laissé libre cours aux controverses concernant le tourisme sur le Titanic, la récupération d’artefacts dans l’épave et les droits de propriété sur ces derniers.
Structure métallique d’un banc qui se trouvait sur le pont du R.M.S. Titanic et qui gît sur le plancher océanique. Depuis que ce cliché a été pris en 1991, une partie du garde-corps de la proue l’a rejointe.
2016 : LE DESTIN DES ARTEFACTS DU TITANIC COMPROMIS
En 2016, le RMS Titanic a déposé le bilan et ainsi compromis l’avenir de près de 5 000 artefacts recueillis par l’entreprise lors de huit expéditions. Malgré les offres de musées pour faire l’acquisition des artefacts et les rendre disponibles au public, l’entreprise les a vendus à des fonds spéculatifs pour 22 millions d’euros en 2018 (montant ajusté pour tenir compte de l’inflation).
2023 : UN TOURISME FATAL
Le tourisme sur et autour du Titanic n’en a pas moins continué malgré les préoccupations quant à ses effets sur l’épave. Le voyage entrepris en juin 2023 par OceanGate Expeditions en est un exemple tristement célèbre : en implosant, le submersible de l’entreprise a fait cinq morts.
Pourtant, même cela n’a pas suffi à dissuader tout le monde d’aller faire du tourisme près du Titanic : un an plus tard environ, un milliardaire américain a annoncé vouloir visiter l’épave à bord de son propre submersible.
2023 : RÉPLIQUE NUMÉRIQUE
En 2023 aussi, des scientifiques ont révélé une nouvelle réplique numérique de l’épave du Titanic qui documente le site de manière particulièrement détaillée. Bien que le navire se soit déjà considérablement dégradé depuis sa découverte en 1985, cette réplique numérique a déjà permis de préserver une chose que la vraie épave a perdu : le garde-corps de la proue.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.