Y a-t-il une part de vrai dans la légende du monstre du Loch Ness ?

En 1933, deux témoins affirmèrent avoir aperçu un animal préhistorique dans les eaux d’un lac écossais. Au fil des années qui suivirent, alors que d’autres personnes juraient avoir vu l’insaisissable créature du Loch Ness, la vérité apparut peu à peu.

De Ignacio Cabria
Publication 26 oct. 2024, 09:54 CEST
La plus célèbre photo de Nessie, qui s’avéra un faux, fut publiée en 1934 par le ...

La plus célèbre photo de Nessie, qui s’avéra un faux, fut publiée en 1934 par le Daily Mail, journal londonien, sous la Une suivante : « Le Monstre pris en photo par un chirurgien de Londres ».

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Peu de légendes angoissantes survivent aux siècles pour hanter les générations, et pourtant cela fait plus d’un millénaire qu’une telle légende, celle d’un monstre, persiste. Le 2 mai 1933, un article non signé parut dans l’Inverness Courier, un journal écossais. S’y trouvait consigné le témoignage direct d’époux qui affirmaient avoir aperçu une imposante créature dans les eaux du Loch Ness. Selon leur récit, « la créature batifolait, elle vrillait puis plongeait une minute entière, son corps évoquait celui d’une baleine et l’eau déferlait et bouillonnait comme dans un chaudron sur le feu ». Niché dans les Highlands écossais, le Loch Ness est un lac de 36 kilomètres de longueur par 3 kilomètres de largeur à son point le plus évasé, et ses eaux troubles peuvent atteindre une profondeur de 240 mètres. À en croire l’article, cela faisait déjà « des siècles qu’on estimait qu’il abritait un monstre à l’aspect effrayant ». L’article laissait entendre que ce que le couple avait aperçu était peut-être la créature qui avait inspiré les récits sur le mythique kelpie, le cheval ondin métamorphe de la mythologie celtique ; une légende qui a au moins 1 400 ans.

Trois mois après le récit du couple, le même journal publia une lettre de George Spicer, Londonien qui affirmait avoir vu une étrange créature traverser la route devant lui alors qu’il faisait le tour du Loch Ness en voiture avec sa femme. « De ma vie, c’est ce que j’ai vu de plus semblable à un dragon ou à un animal préhistorique, écrivit-il. Il m’a coupé la route à moins de 50 mètres et portait, semble-t-il, un petit agneau ou un animal quelconque. »

L’auteur du premier article était en fait Alex Campbell, correspondant indépendant habitant un village situé sur les rives du Loch Ness. Le couple dont il relatait l’histoire était celui formé par Aldie Mackay, gérante de l’hôtel de Drumnadrochit, un établissement de la région, et de son mari John. Dans les semaines qui suivirent la publication de l’article, Alex Campbell en rédigea d’autres sur le même sujet pour la presse écossaise. Certains remarquèrent que, de manière fort commode, les parties concernées étaient en passe de bénéficier d’une reconnaissance journalistique pour l’une et d’un afflux touristique pour l’autre.

The deep, dark waters of Scotland's Great Glen

Depuis l’espace, une diagonale semble creuser l’Écosse. Formée 420 à 250 millions d’années avant le présent, la Grande vallée d’Écosse (ou Great Glen) est une immense ligne de faille où abondent lochs (« lacs » en gaélique), rivières et canaux. La section sud-ouest de la Grande vallée est occupée par le Loch Linnhe, un loch marin. Le Glen file ensuite vers le nord-est jusqu’au Loch Lochy, un loch d’eau douce, et, de là, jusqu’au Loch Ness, qui s’étire sur 36 kilomètres. Avec ses 240 mètres de profondeur, le Loch Ness est le deuxième lac le plus profond d’Écosse. Ses profondeurs troubles, assombries par le sol roche et tourbeux de la campagne environnante, offrent un cadre on ne peut plus suggestif pour se raconter des histoires de monstres.

PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

Dans un article, Alex Campbell écrivit la chose suivante : « Nombreux sont les habitants de la région à désormais croire que le "monstre" est bel et bien une créature préhistorique. » Confiant, il annonça même : « Nul doute qu’on l’apercevra de nouveau. » Tout ceci aurait pu ne rester qu’un commérage local si la presse écossaise n’avait pas autant réagi. Ayant eu vent de cette histoire étrange, le journal national The Scotsman envoya le reporter Philip Stalker au Loch Ness en octobre 1933. Ce dernier rédigea un article comprenant le témoignage direct d’Alex Campbell, qui affirmait que s’il ne croyait pas au monstre au début, il avait plus tard vu la créature au long cou de ses propres yeux. Alex Campbell devint un témoin clé, et affirma avoir vu la créature à dix-huit reprises, parfois de près. Il était, en un sens, l’homme qui avait inventé le monstre.

 

SERPENT DE MER

Philip Stalker publia le fruit de ses recherches sous la forme de deux récits parus dans The Scotsman. Selon ses conclusions, le Loch Ness était habité par un grand serpent de mer probablement arrivé depuis la mer par le fleuve Ness.

Depuis le 18e siècle, des centaines de marins affirmaient avoir vu de grands monstres ou serpents marins. Ainsi, au 19e siècle, dans le sillage d’une centaine de découvertes paléontologiques, certains naturalistes commencèrent à imaginer que ces serpents de mer prétendument présents dans les profondeurs de l’océan étaient en fait peut-être des plésiosaures : de grands reptiles marins au long cou qui vécurent au Mésozoïque, de 252 à 66 millions d’années avant le présent. En 1930, cette hypothèse prit une nouvelle ampleur avec la publication d’un ouvrage présentant de précédentes observations intitulé The Case for the Sea-Serpent. Son auteur, l’officier de la marine britannique Rupert Gould, se rendit au Loch Ness à la fin de 1933 pour conduire de nouvelles recherches en personne en s’appuyant sur les témoignages les plus récents. Il vint à la conclusion que la créature du Loch Ness était une espèce de grand serpent de mer qui s’était adaptée à l’eau douce. Il attribua au monstre la forme sinueuse d’un plésiosaure, une image qui demeure à ce jour.

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    PHOTOGRAPHIE DE Nitsawan Katerattanakul, Shutterstock

    À l’automne 1933, la presse britannique dans sa globalité s’empara du mystère du Loch Ness. Il ne fallut que quelques semaines pour que la nouvelle s’exporte à l’étranger, un vent de légèreté en plein cœur de la Grande Dépression et de ses épreuves économiques. Bientôt, des touristes affluèrent vers le lac, qui ne tarda pas à devenir une destination touristique régulière. En décembre, un correspondant du journal espagnol La Vanguardia révéla que des milliers de touristes avaient profité de leurs vacances de Noël pour aller camper sur les rives du loch « dans l’espoir que le monstre inconnu apparaisse à la surface de l’eau ».

     

    LA PHOTO LÉGENDAIRE

    C’est une photo, la plus importante de l’histoire des monstres, qui allait propulser l’idée de l’existence du monstre du Loch Ness, qu’on surnommerait plus tard Nessie. Le 21 avril 1934, le Daily Mail, journal londonien, publia une image qui, disait-on, avait été prise par un chirurgien du nom de Robert Kenneth Wilson. Sur cette photo granuleuse en noir et blanc, on peut voir quelque chose s’apparentant à un cou et à une petite tête sortir la tête des eaux du Loch Ness. Mais en réalité, cette image emblématique n’était qu’un faux réalisé par le réalisateur et chasseur de grand gibier Marmaduke Wetherell. Le Daily Mail l’avait engagé l’année précédente pour pister le monstre et avait fini par le licencier au motif qu’il aurait falsifié des preuves de son existence en créant de fausses empreintes. Pour se venger, Marmaduke Wetherell fabriqua un modèle réduit de la tête et du cou du monstre avec du bois et le colla sur un sous-marin en jouet. Il le lança sur le loch et prit plusieurs clichés. Il persuada le respecté Robert Kenneth Wilson d’envoyer les photos au Daily Mail. Le travail terminé, Marmaduke Wetherell coula le modèle. Ainsi, quelque part au fond du loch gît effectivement une sorte de monstre. On ne découvrirait le pot au rose que dans les années 1990.

     

    UNE CRÉATURE DU CRU

    Après l’enthousiasme initial des années 1930, la notoriété du monstre du Loch Ness s’éroda avant de reprendre du poil de la bête dans les années 1960 avec l’essor des para-sciences. De nouveaux chercheurs prirent leurs distances avec l’idée que l’insaisissable monstre était un spécimen de serpent de mer du Mésozoïque et avancèrent à la place qu’il s’agissait d’une créature indigène des lacs d’Écosse.

    Cet homme a consacré sa vie au monstre du Loch Ness

    Pour étayer cette hypothèse, il leur fallait prouver que la créature avait existé de tout temps. Comme il n’existait aucune preuve tangible qu’elle eût existé avant 1933, ils se tournèrent vers les légendes et chroniques historiques écossaises. Ces chasseurs de Nessie d’un nouveau genre affirmèrent que les ancêtres du monstre barbotaient déjà dans les eaux sombres du Loch Ness au temps de Saint Colomba, moine irlandais du sixième siècle qui introduisit le christianisme en Écosse.

    Selon un texte du moine Adomnan, intitulé Vita Sancti Columbae et écrit avant 704, Saint Colomba aperçut un jour un monstre sur le point de s’en prendre à une personne qui était en train de traverser le fleuve Ness à la nage. Le saint fit un signe de croix et la bête battit en retraite. Mais les sceptiques furent prompts à rejeter ce récit, car le Vita Sancti Columbae était selon eux une hagiographie écrite un siècle après la mort de Colomba qui comprenait des légendes de toutes sortes concernant les prouesses de divers saints. Les écrits de ce style étaient en vogue à l’époque et avaient pour but d’illustrer le triomphe de la chrétienté sur le paganisme des Pictes, les Écossais de l’Antiquité;

    Depuis les années 1970, plusieurs projets visant à passer le Loch Ness au crible afin d’y débusquer un animal encore inconnu de la science ont été entrepris. À ce jour, tous se sont avérés infructueux. Cependant, les touristes continuent, eux, d’affluer pour scruter la surface du lac dans l’espoir de la voir se troubler de manière inhabituelle.

    Le monstre du Loch Ness est devenu un objet sur lequel de nombreuses personnes portent leur désir de croire qu’une créature mystérieuse puisse réellement exister dans le monde moderne. Des livres continuent d’être publiés à son sujet et l’on trouve sur Internet plus d’informations que jamais le concernant. Nessie fait partie d’un monde enchanté, mais également de l’identité écossaise et, de manière plus pragmatique, est un moteur pour le secteur du tourisme. Mais peu importe ce qui se cache réellement dans les profondeurs du lac, Nessie semble être parti pour rester.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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