Inondations : le Soudan du Sud en pleine crise humanitaire
Serpents, famine et maladies, les populations les plus fragiles subissent de plein fouet la montée des eaux.
Estela Juwan, 35 ans, marche avec deux de ses huit enfants à travers la zone inondée qui entoure sa maison du village de Wanglei, en bordure de Juba, la capitale du Soudan du Sud. Juwan porte son fils Dogale Tombe, âgé de un an. La famille lutte depuis plusieurs années contre les inondations excessives. En 2020, leur maison s'est effondrée à cause de la montée des eaux, ils ont alors construit un abri de fortune pour y vivre. « À cet endroit, c'était le jardin, mais il est complètement sous l'eau aujourd'hui, » explique Juwan. « On ne peut pas aller de l'autre côté parce que nous n'avons pas les moyens d'y vivre, nous n'avons pas l'argent nécessaire. »
Au Soudan du Sud, à travers la région reculée du Jonglei, plusieurs milliers de personnes vivent entassées sur des bandes de hautes terres entourées de sacs de sable. Pour la troisième année consécutive, les inondations ont atteint la lisière des murs de sable, ne laissant que peu de marge pour un excédent de pluie ou une éventuelle crue du Nil après les importantes précipitations enregistrées par les pays voisins.
La quasi-totalité des habitants a été déplacée et cherche désormais refuge dans les écoles ou les entrepôts désaffectés, pour certains dans des tentes improvisées avec des bâches, de la tôle ondulée et des branches. Fin octobre, la piste d'atterrissage et le réseau routier étaient submergés, ce qui a suspendu l'approvisionnement vital en médicaments, nourriture, tentes et autres produits essentiels assuré par le Programme alimentaire mondial de l'ONU et d'autres organisations humanitaires.
La périphérie de la ville de Bor, dont le nom signifie « inondations » en Dinka, n'est pas étrangère à l'eau, mais cela faisait plus de soixante ans que le Soudan du Sud n'avait pas enregistré une telle série d'inondations. D'après les experts, les causes sont variées mais peuvent être réduites à une combinaison de changement climatique, de déforestation en Éthiopie voisine, de croissance démographique et de gestion malavisée de l'eau en Afrique. En 2019, la saison des pluies n'a pas débuté à la période habituelle pour le Soudan du Sud. Les pluies torrentielles sont arrivées dès le début de la saison sèche, en novembre, et avec une intensité inédite, comme si « le ciel tout entier s'était mis à tomber, surtout dans le Jonglei, » raconte Mad Oyes, responsable des opérations de terrain pour l'UNICEF.
Qui plus est, les précipitations n'ont pas décliné pendant la saison sèche comme elles le font habituellement.
Selon les Nations unies, 27 des 78 comtés du Soudan du Sud sont concernés par les inondations, ce qui représente plus de 630 000 habitants. Ainsi, la majeure partie du comté de Twic East est accessible uniquement par canoë ou bateaux équipés de moteurs suffisamment petits pour naviguer entre les maisons submergées, les arbres, les panneaux et les digues qui agençaient autrefois ce territoire désormais inhabitable.
De l'économie à la santé en passant par l'éducation, rien n'a échappé aux inondations. Au sein de la population, ce sont les plus vulnérables, femmes et enfants, qui ont été les plus affectés. Au total, la région compte plus de 60 enclaves de terrain surélevé et chacune d'entre elles expose femmes et enfants à la malaria, la malnutrition, la diarrhée, les maladies hydriques et les infections des voies respiratoires. Les hommes sont nombreux à avoir quitté la région pour chercher du travail, mais peu à être revenus, laissant les mères s'occuper seules de leurs enfants.
Si les deux tiers de la population ont pu fuir vers un terrain plus sec et stable, ceux restés dans les zones inondées passent le plus clair de leur temps à patauger dans une eau contaminée. Les familles ont perdu leur bétail et leurs cultures ; le poisson est désormais leur unique source de nourriture.
La situation sanitaire est désastreuse, témoigne Mabeny Kuot, commissaire du comté de Twic East.
« Une épidémie de malaria a éclaté mais il est difficile de trouver des antipaludiques dans les centres de soins, » poursuit-il. « À vrai dire, il est même difficile de trouver le moindre antibiotique dans ces établissements. Il y a donc des cas de maladies d'origine hydrique. Et puisque la zone est inondée, les morsures de serpents se multiplient. »
Plusieurs mois après le début des inondations, l'émergence de la pandémie a entraîné la suppression ou la réorientation des fonds accordés par la communauté internationale aux organisations locales. Les résidents commencent à perdre espoir, ils réclament des sacs de sable, des bâches, des médicaments, des tentes et de la nourriture. Les ambulances ont été remplacées par les canoës et les petits bateaux à moteur. Les femmes enceintes rencontrant des problèmes doivent compter sur la bonne volonté de leur entourage pour rejoindre les centres médicaux fonctionnels les plus proches, à Panyagor ou Bor.
Diverses organisations recueillent des dons pour venir en aide aux victimes des inondations qui sévissent au Soudan du Sud. Pour en savoir plus, consultez les sites Web de Community in Need Aid (CINA) ou du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF).
À l'heure où nos dirigeants se réunissent en Écosse pour la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26), le directeur de la communication pour l'UNICEF au Soudan du Sud, Yves Willemot, nous rappelle à quel point il est urgent d'agir contre les effets du changement climatique qui a déjà commencé à détruire des territoires et des vies.
« Avec la COP26, il y a beaucoup de réflexion sur ce que nous pourrions faire pour empêcher le changement climatique d'avoir des conséquences dramatiques sur nos vies futures, » déclare Willemot. « Mais on oublie souvent que ces conséquences sont déjà là. »
« Nous devons veiller à ce que des mesures soient prises dans les pays qui paient actuellement au prix fort les conséquences du changement climatique, » poursuit-il. « Je trouve terriblement choquant que les Sud-Soudanais soient parmi les premiers à subir les conséquences d'un phénomène dont ils sont les derniers responsables. »
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Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.