Le cœur vert de Bornéo : une oasis de biodiversité unique au monde

À l'origine simple réserve forestière, Gunung Palung, en Indonésie, est aujourd'hui un immense parc national qui protège certaines des plus importantes forêts tropicales humides de la planète et la faune qu'elles abritent.

De Jennifer Holland, photographies par Tim Laman
Publication 18 juil. 2024, 14:53 CEST
Une femelle orang-outan cherche des figues dans la canopée à Gunung Palung, à Bornéo, en Indonésie. Les 1080 km2 de ce parc ...

Une femelle orang-outan cherche des figues dans la canopée à Gunung Palung, à Bornéo, en Indonésie. Les 1080 km2 de ce parc national abritent environ 2 500 de ces singes en danger critique, ainsi que 2 500 essences d’arbres.

PHOTOGRAPHIE DE RUSSELL LAMAN, AVEC LE PILOTE DE DRONE TRI WAHYU SUSANTO

Retrouvez cet article dans le numéro 293 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Suspendue à une corde à une douzaine de mètres de hauteur, au milieu d’un labyrinthe de branchages feuillus, je regarde le sol en m’interrogeant : ai-je vraiment bien fait de demander aux deux hommes tout en bas de me hisser dans la canopée de cette forêt tropicale humide ? L’un d’eux, le photographe Tim Laman, a attaché une corde à une flèche et l’a lancée par-dessus une haute branche. Ensuite, avec son assistant, il a installé un système de poulies pour me soulever jusqu’à un endroit que peu d’êtres humains ont eu l’occasion de visiter. À chacune de leur traction, la corde crisse et la branche ploie dangereusement. 

But de la manœuvre : atteindre une fourche dans un Shorea de 45 m de haut, genre qui comprend certains des plus grands arbres de la planète et poste d’observation idéal sur l’une des dernières forêts tropicales humides de plaine encore intactes en Asie du Sud-Est. Situé juste sous l’équateur, le parc national de Gunung Palung est une aire protégée de 1080 km2 qui comprend les monts Palung et Panti, dans la partie indonésienne de Bornéo – l’île étant divisée entre l’Indonésie, la Malaisie et Brunei. Une première zone autour du mont Palung avait été classée réserve naturelle en 1937 ; au fil des années, ses limites ont été étendues et, en 1990, le gouvernement indonésien en a fait un parc national. 

Aujourd’hui, celui-ci comporte neuf types de forêts distincts qui s’étagent sur les versants abrupts des montagnes, depuis la mangrove et les forêts de tourbières jusqu’aux forêts de mousses de haute altitude. 

Maintenant que mes équipiers m’ont hissée aussi haut qu’ils le pouvaient, je dois me débrouiller toute seule pour le reste de l’ascension. Alors que je grimpe péniblement le long de la corde, je songe que mes efforts seront récompensés grâce à toutes les créatures qui m’attendent dans le monde vert au-dessus de ma tête. Toute la semaine, j’ai été bercée par les caquètements des semnopithèques rubiconds, les ululements des gibbons et les aboiements des macaques, ainsi que par les chœurs des oiseaux et des grenouilles – avec, en arrière-plan, les bourdonnements des insectes. J’espère en apercevoir certains depuis un perchoir à leur hauteur.

Les semnopithèques rubiconds, comme cette femelle et son petit, mangent des figues toute l’année, et d’autres fruits au fil de leur mûrissement. Ces primates se sont bien adaptés aux forêts secondaires qui ont comblé le vide dû à l’abattage des vieux arbres.

PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

À dire vrai, je suis surtout impatiente de rencontrer les plus grandes stars de l’île: les orangs-outans. Ces primates au pelage orange flamboyant sont les seuls grands singes originaires d’Asie, et l’orang-outan de Bornéo, Pongo pygmaeus, représente depuis longtemps l’âme de Gunung Palung. Il joue aussi un rôle crucial dans la santé de ses forêts. Quelque 2 500 individus en parcourent les cimes – un nombre rassurant pour une espèce en danger critique.

À environ 30 m de hauteur, je suis bien au-dessous du sommet de la canopée, mais suffisamment haut pour distinguer la courbe d’une montagne nimbée de brouillard surplombant le parc et sa forêt dense. Au prix de quelques balancements, je réussis enfin à atteindre une fourche et m’y installe pour admirer la vue et, avec un peu de chance, apercevoir quelque créature à poils ou à plumes. Le temps passe, mais aucune ne se montre.

Gunung Palung se trouve dans le sud-ouest marécageux de Bornéo, dans la province indonésienne du Kalimantan occidental. Pour les scientifiques, l’éloignement du parc et les restrictions imposées au tourisme sont des atouts : Gunung Palung est une véritable capsule temporelle de ce que fut l’île durant des millénaires. En explorant directement ce monde primordial, j’espérais comprendre la façon dont la vie continue d’y prospérer. Certains des indices les plus importants se trouvaient juste devant moi, mais ils m’avaient échappé. 

La forêt tropicale de Bornéo évolue depuis des millions d’années, processus qui a donné naissance à une flore unique et abondante : il suffit de penser à ses orchidées, qui comptent plus d’un millier d’espèces, ou à ses dizaines de sarracénies carnivores, ou encore à ses 3000 espèces d’arbres, tel l’imposant méranti jaune dont certains spécimens peuvent s’élever aussi haut que la flèche de Notre-Dame de Paris.

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    Rarement observée, peu étudiée et considérée comme en danger critique, une panthère nébuleuse de Bornéo déclenche un piège photographique près de la station de recherche de Cabang Panti. Grâce à leurs larges pattes, à leurs membres postérieurs souples et à leur longue queue, ces félins peuvent grimper aux arbres, descendre tête la première et se suspendre aux branches tout en agrippant leurs proies.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    Au cœur de cette forêt vivent des panthères nébuleuses, des éléphants pygmées de Bornéo, des renards volants, des grenouilles volantes, des lémurs volants, des serpents volants, près de 700 espèces d’oiseaux, une centaine d’espèces de chauves-souris et plus d’un millier de fourmis. Sans oublier les innombrables autres insectes, reptiles, amphibiens, araignées, champignons et micro-organismes. 

    L’un des premiers botanistes à avoir éveillé l’imagination du monde occidental sur ces merveilles est un Italien, Odoardo Beccari, qui visita l’île en 1865. Tout juste sorti de l’université, il débarqua à Bornéo à l’âge de 21 ans. Le récit qu’il a laissé de ses voyages est rempli de descriptions d’une flore et d’organismes d’un autre monde. Il a pu admirer une rafflésie, imposante fleur au diamètre supérieur à 50 cm dont émane une odeur de cadavre en décomposition, ainsi qu’un champignon phosphorescent qui émettait suffisamment de lumière la nuit pour lui permettre de lire un journal. 

    Odoardo Beccari voyait la forêt comme une débauche de plantes ourdissant des plans et des stratégies impitoyables pour leur propre survie. Il s’émerveillait de la façon dont les orchidées et autres plantes à fleurs se frayaient un chemin dans les étages supérieurs des plus grands arbres pour atteindre la lumière du soleil et utilisaient leurs couleurs brillantes, leurs formes particulières et leurs parfums capiteux pour attirer les insectes – qui les aidaient en retour à diffuser leur pollen et à se propager. « Pour réussir, a écrit le botaniste, la nature utilise tous les artifices possibles, toutes les sortes de tromperies, tous les types d’intimidation. »

    L’atlas, ou papillon cobra, est l’une des milliers d’espèces de papillons de nuit de Bornéo. Avec une envergure pouvant atteindre 25 cm, il est un des plus grands lépidoptères du monde. Les extrémités supérieures de ses ailes évoquent des serpents, peut-être pour faire peur aux prédateurs. La diversité de la forêt est primordiale pour certains papillons de nuit qui dépendent de plantes hôtes tout au long de leur vie.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    On pourrait être tenté de penser que cet écosystème complexe a prospéré parce qu’il n’y avait pas d’humains pour le perturber. Mais des hommes vivent à Bornéo depuis au moins des dizaines de milliers d’années. La plus ancienne peinture figurative connue – qui représenterait un animal sauvage ressemblant à une vache –, a été trouvée dans une grotte de l’île et datée d’au moins 40 000 ans. Puis, avec l’essor des voies maritimes, des marchands venant de toute l’Asie, et ensuite d’Europe, ont afflué vers l’île pour ses arbres, ses minéraux et ses animaux.

    Aujourd’hui, l’énumération des ressources extraites sur place ressemble à la liste de courses d’un pilleur moderne : bois, or, diamants, bauxite, charbon, gaz naturel et animaux braconnés pour le commerce des animaux de compagnie ou la médecine traditionnelle. Mais les pertes les plus dévastatrices sont dues à la conversion des forêts en terres agricoles, notamment en plantations de palmiers à huile. Les incendies liés à la sécheresse ont aussi décimé les forêts primaires et, à la fin des années 1990, les troubles politiques et économiques dans la région ont alimenté une explosion des activités forestières et minières illégales. Au total, on estime que la partie indonésienne de Bornéo a perdu près d’un tiers de ses forêts entre 1973 et 2010.

    Si le commerce illicite du bois a été réduit dans et autour de Gunung Parung, l’histoire instable de la région confère à ma visite un caractère d’urgence. Cheryl Knott, primatologue à l’université de Boston qui dirige les études sur les orangs-outans dans le parc, m’a expliqué que la forêt s’y était assez bien rétablie – notamment grâce à une meilleure application de la loi et aux travaux de recherche et de conservation, qui ont fourni des emplois à la population locale. Mais, a-t-elle insisté, « sans vigilance continue, cela pourrait facilement rebasculer ».

    Cheryl Knott et Tim Laman, son mari, se rendent à Bornéo depuis plus de trente ans pour étudier et photographier ses espèces sauvages et en dévoiler les secrets. En 1994, la chercheuse a entamé une étude à long terme, qu’elle dirige depuis lors, sur l’écologie et le comportement des orangs-outans à partir de la petite station de recherche du parc. Elle m’a invitée à visiter le site et, après deux jours et deux nuits de voyage, au terme duquel j’ai atterri à Pontianak, capitale du Kalimantan occidental, suivi d’un vol vers Ketapang, d’un trajet éprouvant en camion et d’une marche de six heures avec deux traversées de rivière, j’ai atteint la station de recherche de Cabang Panti.

    Près des énormes contreforts d’un Dialium, les chercheurs (de gauche à droite) Zakaria, Ari Marlina et Sahril Ramadani recueillent des données sur les orangs-outans dans la canopée. Créé en 1994, le projet Gunung Palung Orangutan étudie l’habitat des grands singes et leurs réponses aux fluctuations de leur alimentation.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    Le site, rustique, se compose de trois bâtiments en bois servant de laboratoire, d’espace de travail, de cuisine et de logement pour le personnel, disposés autour d’une cour sablonneuse, au bord de la rivière Air Putih. Dans les bois alentour, quelques cabanes sur pilotis accueillent une vingtaine de chercheurs et d’étudiants qui se relaient sur place. En tant qu’espèce cruciale pour la vitalité de toute la région, les orangs-outans concentrent principalement l’attention, mais il y a beaucoup d’autres organismes à étudier dans ce réseau écologique complexe. Endro Setiawan, que je rencontrerai durant mon séjour, travaille par exemple à la création d’une base de données sur les arbres de Gunung Palung.

    Après mon incursion dans la canopée de la forêt, je passe le reste du temps les pieds sur terre, à me promener. Comme Odoardo Beccari il y a cent soixante ans, je suis impressionnée par les innombrables formes de vie qui composent la forêt. J’observe les semnopithèques rubiconds et les macaques se livrer à une rivalité sans merci dans la canopée. Des papillons grands planeurs de la taille de ma paume passent en voletant. Je distingue à grand-peine la vipère verte Tropidolaemus subannulatus, camouflée sur une tige feuillue à côté du sentier. Lors d’un bain glacial dans la rivière, je remarque un varan d’un mètre de long chassant les poissons et une tortue à carapace molle fouillant la berge. À mon retour dans la forêt, une grenouille volante de Wallace bondit d’un arbre en déployant les larges membranes de ses doigts. Je me régale aussi du chant du shama à croupion blanc, qui fait de ce passereau une cible de choix pour le commerce des animaux d’agrément, et j’attends avec impatience la visite quotidienne d’un martin-pêcheur méninting. La nuit, je braque le faisceau de ma lampe de poche sur des grenouilles arboricoles – les pupilles dilatées, prêtes à attraper n’importe quel insecte – et sur des lézards et des oiseaux endormis sur les hautes branches.

    Il pleut à torrents pratiquement toutes les nuits. Le tonnerre roule et gronde. Au matin, la rivière ayant enflé, ses flots sont déchaînés. Mais, en l’espace de quelques heures, ses eaux baissent, après avoir inondé la forêt marécageuse et imprégné le sol sablonneux. Les bois étincellent.

    J’ai toujours mes orangs-outans en tête. Les chercheurs m’ont promis de m’alerter s’ils en aperçoivent un – tout en me disant de ne pas trop espérer. Les orangs-outans sont les seuls grands singes à ne pas vivre dans des groupes sociaux étendus. Comme ils se nourrissent surtout de fruits, une troupe nombreuse épuiserait rapidement les réserves de nourriture d’une région. C’est pourquoi ils se dispersent et peuvent évoluer très loin de la station. Il faut parfois des jours de traque pour les trouver.

    Camouflée dans les feuilles, une grenouille cornue asiatique bénéficie d’un avantage sur les insectes qu’elle chasse. Son cri caractéristique résonne dans la multitude de bruits de la forêt humide. Si on trouve cette grenouille sur des îles voisines, plus de 70 % des espèces d’amphibiens de Gunung Palung ne vivent qu’à Bornéo.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    Un matin, un étudiant entre en trombe dans ma cabane. Deux orangs-outans – une mère et son fils, connus des chercheurs sous le nom de Bibi et Bayas – ont été repérés à une demi-heure de marche du camp. Je chausse aussitôt mes bottes et attrape mes jumelles.

    Nous trouvons les deux singes en train de manger dans la canopée. Ils cueillent et avalent un par un les petits fruits d’un Popowia, qui comptent parmi les centaines d’autres qu’ils consomment. Se nourrir occupe toute leur journée, les singes se déplaçant avec adresse d’arbre en arbre pour trouver ce qui est arrivé à maturité. Considérés comme des frugivores – 60 % de leur régime alimentaire est constitué de fruits –, ils ne dédaignent pourtant pas les écorces, les feuilles et les insectes. Mais ce sont les cycles de fructification des arbres qui déterminent leurs périples dans la forêt. Les singes, eux, contribuent à façonner cette dernière en semant les graines de futurs arbres dans leurs excréments au fil de leurs déplacements.

    Sans se douter une seconde du service qu’ils fournissent, la mère et le fils passent nonchalamment d’arbre en arbre grâce à leurs bras incroyablement longs. Parfois, Bayas, âgé de 7 ans, se dresse sur une branche étroite et se penche jusqu’à ce qu’elle plie sous son poids, puis court vers son extrémité pour sauter sur un tronc voisin. Quand le tonnerre annonce l’orage, Bibi, dont l’âge est estimé à environ 30 ans, fait montre de toute sa sagacité en tenant un faisceau de branchages au-dessus de sa tête comme un parapluie. Quelques arbres plus loin, Bayas, lui, se fait rincer.

    Je suis leurs mouvements jusqu’à en avoir mal au cou et que la lumière faiblisse. À chaque instant, je crains de rater quelque chose. Finalement, Bibi aménage un nid, comme elle le fait la plupart des soirs, en pliant des branches pour construire une plateforme en hauteur. Bayas la rejoint et ils s’installent pour la nuit.

    La Voie lactée apparaît dans une trouée de la canopée. Les forêts tropicales humides de Bornéo datent de plusieurs millions d’années et figurent parmi les plus diversifiées de la planète sur le plan biologique. Elles abritent des milliers d’espèces que l’on ne trouve que sur l’île.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    Avant de quitter Gunung Palung, Endro Setiawan me propose une visite très différente du monde luxuriant qui nous entoure. Alors que nous marchons sur un sentier, le forestier de 43 ans s’arrête et sort de l’étui qu’il porte à sa ceinture un mandau, le sabre en forme de machette utilisé traditionnellement par le peuple dayak. Avec sa lame brillante et dentelée, il coupe un bout de l’écorce d’un arbre et l’entaille, exposant sa face interne. « Sentez-moi ça », me dit-il. Je colle mon nez contre l’encoche. Ça sent... la terre ? Une terre un peu sucrée. « C’est l’odeur du Dillenia », m’annonce-t-il. Puis il me demande de presser mon oreille au même endroit, pour entendre le chant de l’arbre – légèrement pétillant, comme le murmure d’un vin mousseux.

    Avec une équipe d’étudiants de Jakarta et d’ailleurs, Endro Setiawan a entrepris d’identifier toutes les espèces d’arbres poussant à l’intérieur de trente-neuf parcelles de recherche afin de constituer une base de données détaillée. Ils comptent ajouter des centaines de nouvelles essences au millier déjà connues. « Les plantes sont la fenêtre sur la science, m’explique-t-il. Si vous connaissez les plantes et les arbres, vous connaissez le coeur du parc. À partir de là, on peut apprendre tout ce qui repose sur eux. »

    J’examine, j’écoute et sens toutes sortes d’arbres pendant que nous marchons. Endro Sentiawan me montre le grand Shorea, avec ses contreforts géants tels les ailerons d’une fusée, qui garantissent sa stabilité là où ses racines souterraines sont peu profondes – ce qui est commun chez les diptérocarpes, les feuillus géants qui dominent la forêt. Bornéo est un haut lieu pour la famille de ces arbres, avec quelque 270 espèces. Puis mon guide repère un figuier étrangleur ; il m’explique comment il germe à partir d’une graine se fichant dans la fourche d’un autre arbre, puis étend lentement ses racines vers le sol et finit par étouffer son hôte.

    Une brume matinale descend sur la forêt tropicale humide du mont Palung. Les neuf biomes forestiers du parc national s’étagent en fonction du relief, depuis la mangrove et les forêts de tourbières jusqu’aux forêts d’altitude.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    Il me montre également une souche de bois de fer de Bornéo, victime des bûcherons. Cet arbre à feuilles persistantes produit un bois dense et lourd, hélas prisé des constructeurs. Celui-ci, me fait-il remarquer, aurait pu atteindre 45 m et vivre un millier d’années. Il m’explique aussi que, tous les trois à cinq ans environ, la forêt connaît un phénomène appelé « pic de fructification » : les arbres produisent soudainement des fruits à foison, ce qui attire les animaux en grand nombre. Bien que la production soit modeste lors de notre passage, les essences fruitières abondent, comme le figuier, qui compte ici à lui seul cinquante-six espèces.

    Endro Sentiawan poursuit ses leçons sur la forêt, faisant émerger un schéma d’ensemble : les arbres nourrissent les orangs-outans, ainsi que les autres mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, insectes, champignons et micro-organismes, mais, pour nombre d’entre eux, les arbres fournissent aussi un cadre structurant, un calendrier des saisons, un réseau de transport. Pour d’autres, ils offrent un terrain de jeu, une école, un abri. Et pour tous, un endroit où se reposer. Un chez-soi.

    Quelques jours plus tôt, lors de mon ascension dans la canopée, j’ai espéré que le caractère sauvage de l’endroit se traduirait par une profusion d’animaux. Mais, désormais, il est évident que j’ai plongé dans quelque chose de bien plus profond : le berceau de tout ce qui vit ici.

    Un argus géant mâle, l’une des plus grandes espèces de faisans du monde – ils peuvent mesurer jusqu’à 2 m, du bec à l’extrémité de la queue –, courtise une partenaire potentielle lors d’une parade où il déploie ses ailes au plumage ocellé. Les mâles écartent les feuilles et les brindilles du sol avant leur performance.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán
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