Qu’est-ce qui nous pousse à mentir ?
Le mensonge est aujourd’hui considéré par les scientifiques comme une aptitude naturelle de l’homme, qui lui confère une meilleure capacité de survie.
Les grands menteurs fascinent. À l’instar de Jean-Claude Romand, l’homme qui s’est fait passer toute sa vie pour un médecin alors qu’il était sans emploi et qui a préféré assassiner toute sa famille plutôt que d’avouer son énorme mensonge. Son histoire a fait l’objet d’un livre, L’Adversaire, écrit par Emmanuel Carrère, et d’un film avec Daniel Auteuil. Tous deux ont connu un grand succès, assurant la postérité de l’affabulateur. Si ces grands mythomanes nous captivent, c’est peut être qu’ils soulignent, à l’excès, une capacité inhérente à chaque individu : mentir. Pour comprendre comment se développe notre propension à duper l’autre, il faut remonter à l’enfance.
Apprendre à mentir
Comme l’apprentissage de la marche et du langage, mentir peut être considéré comme un jalon fondamental du développement de l’enfant. Si les parents sont souvent troublés par les mensonges de leur progéniture, les psychologues y voient plutôt le signe d’une bonne croissance cognitive. Plusieurs études montrent que cette capacité s’acquiert et s’améliore au fil du temps : seuls 30 % des enfants âgés de 2 ans mentent. Cette proportion passe à 50 % à 3 ans et atteint finalement 80 % à 8 ans. Cette dernière catégorie parvient, en plus, à mieux leurrer son auditoire. La sophistication accrue du mensonge est intimement liée au développement de la capacité à se mettre à la place de l’autre. Nommée « théorie de l’esprit », cette aptitude permet de comprendre les croyances et les intentions des ses interlocuteurs. Ces fonctions exécutives du cerveau sont fondamentales pour mentir, mais elles permettent aussi de faire preuve de prévoyance, d’attention et de contrôle de soi.
L’avantage sélectif de l’usurpateur
Des chercheurs ont émis l’hypothèse que le mensonge, en tant que comportement, est apparu peu après la naissance du langage. L’aptitude à manipuler les autres sans user de la force physique aurait conféré un avantage sélectif pour acquérir ressources et partenaires, de manière comparable aux stratégies de camouflage développées par certains animaux. Cela confère toujours un avantage à l’homme contemporain : il est plus aisé de mentir à quelqu’un pour obtenir des richesses que de se lancer, par exemple, dans le braquage d’une banque. Reste à trouver le bon dosage. Les grands menteurs sont rares ; nous mentons généralement si l’honnêteté ne fonctionne pas. Certaines études montrent que nous ne dépassons pas un certain niveau de mensonge. Si l’on offre à des gens la possibilité de tricher pour gagner de l’argent, ils ne tricheront qu’un petit peu et ce même si la quantité d’argent proposée augmente.
Faire confiance avant tout
La raison est que nous voulons nous considérer comme honnête, car nous avons tous plus ou moins intégré cette valeur inculquée par la société. Sauf à être un sociopathe, comme l’était Jean-Claude Romand, le degré de mensonge jusqu’auquel nous sommes prêt à aller est fixé par un consensus implicite. Sans la confiance que nous accordons à la communication humaine, nous serions paralysés en tant qu’individus et cesserions d’avoir des relations sociales. Les petits mensonges sont donc facilement acceptés par la société, mais ceux dont la nature peut compromettre en profondeur la confiance que l’on s’accorde mutuellement sont absolument réprouvés.