Thérapie psychédélique : un voyage qui requiert un guide expérimenté
Les États-Unis pourraient bientôt approuver les thérapies à base de MDMA et de psilocybine, (ecstasy et champignons hallucinogènes). La communauté médicale se prépare à un déluge de demandes.
Lors d'une retraite de thérapie psychédélique dans la banlieue de Tijuana, au Mexique, Jenna Lombardo-Grosso, ancien membre des forces navales américaines, est soutenue après avoir fumé un puissant hallucinogène, dérivé du poison du crapaud du désert de Sonora (Bufo alvarius). De plus en plus de recherches suggèrent que certaines de ces drogues puissantes permettent au cerveau d'affronter les souvenirs traumatiques sans déclencher d'émotions telles que la honte et la colère qui peuvent submerger le patient et empêcher sa guérison.
Il y a plusieurs années, lors d’une séance de traitement par kétamine, substance utilisée comme médication contre la dépression qui l’affecte depuis toujours, Renée St. Clair a été horrifiée de voir son esprit se déconnecter de son corps et flotter à travers la pièce.
« C'était effrayant. J'avais vraiment peur qu'il ne réintègre pas mon corps », se souvient cette avocate de San Diego âgée de cinquante-et-un ans. L'infirmière qui assistait à la séance a rapidement appelé le psychiatre qui a rassuré verbalement Renée St.Clair et lui a serré la main afin qu'elle se sente en sécurité. Sa présence apaisante lui a permis de rester calme pendant les 40 minutes qui ont suivi, jusqu'à ce que l'hallucination disparaisse et que la kétamine soit éliminée de son organisme.
Il apparaît de plus en plus important d'être accompagné par des professionnels bien formés pour administrer des drogues psychédéliques puissantes. La Food and Drug Administration, l'administration américaine chargée de la régulation des denrées alimentaires et des médicaments, devrait bientôt évaluer un premier véritable psychédélique, la méthylènedioxy-méthamphétamine (MDMA, alias ecstasy), pour le traitement du trouble de stress post-traumatique (TSPT).
Le California Institute of Integral Studies de San Francisco a pris conscience que les substances psychédéliques pourraient un jour être intégrées dans les soins médicaux courants. Cela l’a incité à devenir le premier institut des États-Unis à proposer un programme de formation à la thérapie assistée par les psychédéliques voici sept ans de cela, explique Janis Phelps, directrice du Center for Psychedelic Therapies and Research de l'école.
Une dose de psilocybine a été déposée dans un calice de cérémonie. La psilocybine et la MDMA sont en passe de devenir les nouveaux psychotropes les plus en vogue depuis le Prozac.
Un fauteuil de méditation dans une clinique Field Trip à New York.
Ces dernières années, un nombre croissant d'institutions ont suivi. Psychothérapeutes, personnel infirmier, médecins, membres du clergé et autres professionnels du domaine de la santé mentale ou de la spiritualité se familiarisent avec la chimie des psychotropes, leurs dangers, leur histoire et, surtout, les états dans lesquels plongent ces drogues, dont les effets durent six heures ou plus. Cependant, étant donné que la consommation de substances psychédéliques est actuellement illégale, aucun programme ne permet aux participants d'expérimenter personnellement leurs effets.
Selon les experts, la demande pour ces cours explose, en grande partie en raison d'une meilleure compréhension du potentiel impact bénéfique que pourraient avoir ces drogues sur la santé mentale. Il n'existe cependant pas de normes nationales, laissant planer l’inquiétude que certains diplômés ne disposent pas des compétences requises, chaque établissement ayant créé son propre programme d'études.
DES ESSAIS CLINIQUES PROMETTEURS
Pourquoi les prestataires de soins médicaux considèrent-ils la MDMA comme un traitement potentiel du trouble de stress post-traumatique ? Parce que cette drogue puissante permettrait a priori au cerveau d'affronter les souvenirs traumatiques sans déclencher d'émotions telles que la honte et la colère qui peuvent submerger le patient et empêcher sa guérison.
Les résultats préliminaires du dernier grand essai clinique de l’Association multidisciplinaire pour des études sur les psychédéliques (MAPS) confirment que deux ou trois doses de MDMA peuvent réduire ou éliminer le trouble de stress post-traumatique. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que les effets persistent pendant six à douze mois. Ces résultats ont été publiés en avril sur le site web de la MAPS mais dans aucune revue médicale à ce jour.
Des résultats positifs ont également été constatés dans le cadre du premier essai clinique de phase III de MAPS, publié dans la revue Nature Medicine en 2021. Il a été montré qu'après trois séances de traitement à base de MDMA à des doses comprises entre 80 et 180 milligrammes, trois de pré-thérapie et neuf de suivi après médication, les deux tiers des participants à l'étude n'étaient plus affectés par le TSPT.
À la lueur des bougies, des vétérans de l'armée, avec les membres du personnel de l’établissement, participent à une cérémonie de bienvenue d’une retraite psychédélique au Mexique.
Dans le monde entier, des institutions exposent les promesses des psychédéliques pour toute une série de troubles mentaux, notamment la dépression, l'anxiété, les addictions et l’angoisse d'être diagnostiqué d’une maladie en phase terminale.
Ce sont ces résultats qui ont incité Anthony Back, médecin de la faculté de médecine de l'université de Washington, à suivre la formation du California Institute en 2020. Âgé de soixante ans, il explique que le fait d'avoir grandi dans les années 1980 au milieu de publicités antidrogues tapageuses l'a dissuadé d’expérimenter ces substances dans sa jeunesse. La recherche scientifique l'a toutefois convaincu « qu'il y avait là quelque chose de vraiment important ».
Dans le cadre de son travail de médecin en soins palliatifs, l'objectif principal d’Anthony Back est d’atténuer la douleur des patients atteints de cancer en phase terminale. « Nous n'avons aucun moyen de les aider à faire face à l’angoisse » d'apprendre que leur vie est sur le point de s'achever, déplore-t-il.
COMMENT ADMINISTRER CES SUBSTANCES PSYCHÉDÉLIQUES ?
Les institutions proposant des programmes de formation sont très diverses. L'État de l’Oregon a autorisé près de deux douzaines de groupes à dispenser des formations dans le cadre de son programme, allant de petites structures telle que le Earth Medicine Center à des universités réputées comme l'université de Californie à Berkeley. Dans tout le pays, les programmes durent généralement de six mois à un an et coûtent des milliers de dollars.
La plupart des programmes mettent l'accent sur l'importance d'organiser plusieurs séances avant l'administration de toute substance pour discuter de ce que les patients espèrent retirer de l'expérience et de ce à quoi ils peuvent s'attendre. Les étudiants apprennent également à superviser la ou les séances au cours desquelles la drogue est administrée. « L'expérience des substances psychédéliques se fait en grande partie en son for intérieur », explique Janis Phelps. Les thérapeutes apprennent donc à ne pas intervenir à moins que cela ne soit nécessaire afin de rétablir un sentiment de sécurité.
Selon Bit Yaden, psychiatre à la Johns Hopkins Medicine, qui travaille sur un programme pilote destiné aux étudiants en psychiatrie des universités Hopkins, Yale et de New York, administrer une psychothérapie assistée par les psychédéliques est très différent pour les professionnels habitués aux traitements conventionnels des troubles psychiques. « Lorsque je prescris du Lexapro, mon patient prend l'ordonnance et m’indique ce qu’il en est au bout d’un mois », explique-t-elle. Dans le cas des psychédéliques, en revanche, il est nécessaire de délivrer le médicament et d’entreprendre une thérapie par la parole, poursuit-elle. Pendant les nombreuses heures que dure une séance, un ou plusieurs thérapeutes doivent rester dans la pièce.
Cette image est une micrographie de cristaux de kétamine.
Les stagiaires apprennent également à faciliter le processus d'intégration au cours duquel les patients intègrent dans leur vie quotidienne ce qu’ils ont pensé et ressenti lors de leur voyage psychédélique. Là encore, les thérapeutes conventionnels peuvent se retrouver en terrain inconnu. « Dans les essais de psilocybine, on rapporte que des personnes ont vécu des expériences mystiques. D’ordinaire, en parler ne s'inscrit pas forcément dans le cadre de la psychothérapie », explique Bit Yaden.
Certains programmes estiment que les thérapeutes ne sont mieux placés pour aider les autres à assimiler de puissants ressentis qu'après avoir fait face à leurs propres problèmes psychiques. C'est pourquoi l'université de Vancouver Island, au Canada, propose une formation d'un an comprenant de nombreux exercices de développement personnel et des discussions visant à favoriser l'épanouissement personnel et émotionnel du thérapeute. « L'utilisation de substances psychédéliques est une façon de se rappeler qui l'on est », explique Geraldine Manson, membre de la Snuneymuxw First Nation du Canada, qui enseigne dans le cadre de ce programme.
FORMER SANS EXPÉRIMENTER LES SUBSTANCES PSYCHÉDÉLIQUES
Les substances psychédéliques demeurant illégales, la plupart des programmes ne permettent pas aux étudiants d'animer une séance réelle avec celles-ci, ce qui constitue une limite regrettable à leur formation, selon Janis Phelps. Les étudiants de Vancouver Island peuvent toutefois faire cette expérience grâce à des dérogations gouvernementales permettant à certains patients souffrant de troubles mentaux d'utiliser légalement ces drogues.
Pour la même raison, de nombreux étudiants n'ont pas non plus expérimenté personnellement ces dernières. « Lorsque quelqu'un n'a jamais consommé de psychédéliques, c’est flagrant. Le type de questions qu'il pose montre qu'il n'a aucune idée de l'expérience qu'il va offrir à son patient », déclare Pam Kryskow, présidente de la partie médicale du programme de Vancouver Island.
Certains encouragent les étudiants à essayer la kétamine sous surveillance afin de comprendre l'extrême vulnérabilité d'une personne sous influence. D'autres tentent de simuler cet état via le travail de respiration holotropique (TRH), pratique consistant à respirer rapidement afin d’obtenir une altération temporaire de l’état de conscience.
Quelques stagiaires cherchent à vivre leur propre expérience psychédélique avec un guide spirituel ou en se rendant dans des pays où les populations indigènes consomment ces drogues depuis longtemps. Anthony Back, médecin en soins palliatifs, a eu recours à un guide voici plusieurs années, une expérience qui l'a encouragé à suivre la formation. Au cours de cette expérience, comme il l'a écrit plus tard dans une revue médicale, « mon sens familier du "moi", c’est-à-dire mes préférences, mon corps, mon histoire, a disparu d'un seul coup, et ce qui est devenu tangible, c'est une vaste et profonde sensation d'être unifié avec tout ce qui nous entoure... Il y avait un sentiment d'appartenance complète... d'avoir accès à une énergie dans l'univers qui nous est normalement hors de notre portée. C'était exaltant. »
Anthony Back pense qu'un tel cadre pourrait être utile à ses patients en phase terminale. « J'ai réalisé que le processus de la mort était beaucoup plus spirituel que je ne le pensais », exprime-t-il dorénavant. Il est impatient que ces substances soient légalisées.
D'autres professionnels de la santé semblent partager ce point de vue. Dans la première promotion de quarante-deux étudiants du California Institute, plusieurs médecins et membres du personnel infirmier ont insisté pour que leur participation ne soit pas divulguée afin de ne pas nuire à leur réputation professionnelle. Cette année, toutefois, environ 800 personnes ont concouru pour les 400 places de l'école.
Malgré cette croissance, les experts craignent qu'encore trop peu de thérapeutes soient formés pour répondre à la demande attendue après l'approbation par la Food and Drug Administration de la MDMA, et peut-être de la psilocybine, alors que le concours de milliers de professionnels sera nécessaire. Dans l'Oregon, aucun professionnel n'a jusqu'à présent rempli tous les critères pour l’obtention d’une licence en vue d’une thérapie à la psilocybine.
« Aucun programme de formation ne répond à la demande », déplore Janis Phelps. Son université met actuellement au point un programme de licence permettant à d'autres établissements d'enseignement supérieur d'obtenir le matériel et les vidéos de formation. Presque vingt-cinq établissements ont déjà manifesté leur intérêt, indique-t-elle.
La seule façon pour les substances psychédéliques deviennent un jour un remède contre les troubles psychiques est de s'assurer qu'un nombre suffisant de professionnels reçoivent une formation de haute qualité, explique Anthony Back. « Il s'agit d'un traitement différent de la plupart des autres pour lesquels il est question de technologie ou de médicament. Ici, il faut combiner la thérapie et le médicament. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.