Notre cerveau se "nettoie" pendant le sommeil, et les somnifères pourraient entraver ce processus

Toutes les nuits, notre cerveau suit une routine de "nettoyage" afin d’expulser les toxines produites pendant la journée. Certains médicaments pourraient perturber ce processus vital.

De Alisa Hrustic
Publication 19 févr. 2025, 17:30 CET
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Des chercheurs enregistrent les ondes cérébrales ainsi que les mouvements des muscles et des yeux dans un laboratoire du sommeil en Allemagne. Le sommeil est vital pour la santé du cerveau, mais selon une nouvelle étude, certains somnifères utilisés couramment pourraient interférer avec l'un des processus mystérieux qui permettent d'expulser les déchets moléculaires du cerveau pendant la nuit.

PHOTOGRAPHIE DE Gregor Lengler, Laif, Redux

Nous, les humains, passons environ un tiers de notre vie à dormir, mais pendant ces heures de sommeil, notre corps est bien loin d’interrompre toute activité. Notre cerveau, en particulier, effectue une longue liste de tâches d’entretien lorsque les lumières s’éteignent et que nous tombons dans les bras de Morphée.

Pendant notre sommeil, le système glymphatique, un réseau complexe de vaisseaux, s’attèle par exemple à éliminer les déchets toxiques qui s’accumulent dans notre cerveau pendant l’éveil, dont les protéines bêta-amyloïde et les protéines tau, qui ont été liées à diverses formes de démence, telles que la maladie d’Alzheimer.

Maiken Nedergaard est neuroscientifique, codirectrice du Center for Translational Neuromedicine et professeure au centre médical de l’Université de Rochester. Elle se souvient que lorsqu’elle et ses collègues ont mis en évidence pour la première fois l’importance du processus de nettoyage cérébral en 2012, ils ne comprenaient encore pas très bien ce qui l’alimentait.

L’équipe pense désormais avoir cerné le fonctionnement de ce système complexe grâce à une nouvelle étude publiée dans la revue Cell, qui révèle également qu’un somnifère utilisé couramment empêcherait le cerveau d’accomplir cette tâche essentielle.

Ces nouvelles découvertes relancent des questions de longue date sur les effets des somnifères. Voici ce que vous devriez garder à l’esprit si vous faites partie des millions de personnes qui en prennent chaque nuit pour s’endormir.

 

LE « TROU NOIR » DU SYSTÈME GLYMPHATIQUE

L’objectif des chercheurs était d’identifier le « trou noir », ou le mécanisme manquant, du fonctionnement de ce nettoyage cérébral, décrit Natalie Hauglund, autrice principale de l’étude et postdoctorante à l’Université d’Oxford et à l’Université de Copenhague.

Pour cela, l’équipe souhaitait comprendre comment le liquide cérébrospinal, ou liquide céphalo-rachidien, continue de circuler dans le système glymphatique, facilitant ainsi une sorte de « cycle de rinçage » nocturne. Ce liquide clair coule le long des artères et s’infiltre dans les crevasses entre les petits vaisseaux sanguins qui pénètrent dans le cerveau. Ce faisant, il absorbe les déchets moléculaires qui s’y cachent, et les achemine ensuite vers d’autres parties du corps où ils peuvent être expulsés.

Ce processus est considéré comme un réel atout pour la santé du cerveau, selon Nedergaard.

En suivant et en mesurant le flux sanguin, le mouvement des fluides, les taux de certains composants chimiques et d’autres marqueurs dans le système cérébral de souris endormies, les chercheurs ont découvert que tout commençait lorsque le cerveau des petits rongeurs libérait de la norépinéphrine, un neurotransmetteur qui fait partie intégrante de la réaction combat-fuite. Ce processus déclenchait des « micro-éveils » qui resserraient les vaisseaux sanguins du cerveau, provoquant une baisse du volume sanguin et ouvrant la voie à un afflux de liquide cérébrospinal.

Lorsque le taux de norépinéphrine diminuait, les vaisseaux sanguins se détendaient et se regonflaient, forçant ainsi le liquide plein de déchets à sortir du cerveau. Ces dilatations et ces contractions des vaisseaux sanguins ont été mesurées sous forme d’oscillations rythmiques (toutes les 50 secondes environ) et produisaient un effet de pompe qui faisait voyager le liquide dans tout le système glymphatique pendant le sommeil profond.

« Le cerveau est le seul organe entouré d’un crâne, ce qui signifie qu’il a un volume défini », décrit Nedergaard. « Ainsi, chaque fois que le volume sanguin du cerveau change, le liquide cérébrospinal doit se déplacer pour compenser. »

Ce processus a surtout été observé chez les souris, mais selon les chercheurs, du fait de la similitude de certaines structures cérébrales, les observations pourraient indiquer que des phénomènes similaires se produisent chez les humains. En effet, des recherches antérieures avaient également détecté une circulation du liquide cérébrospinal dans le cerveau humain. L’article de Nedergaard et Hauglund est toutefois le premier à désigner la norépinéphrine comme un potentiel déclencheur de ce processus.

 

LES SOMNIFÈRES ENTRAVENT-ILS LE NETTOYAGE DU CERVEAU ?

L’identification de ce processus a conduit à une tout autre découverte : lorsque les souris étaient endormies avec du zolpidem, un type de somnifère fréquemment utilisé, les chercheurs voyaient la majeure partie des oscillations observées chez les souris qui s’étaient endormies naturellement disparaître, freinant ainsi l’écoulement du liquide cérébrospinal, révèle Nedergaard.

Bryce Mander, professeur agrégé de psychiatrie et de comportement humain au Centre de neurobiologie de l’apprentissage et de la mémoire de l’Université d’Irvine, estime que cette découverte est « importante », car elle constitue une première « preuve indiquant que le système glymphatique, un processus neurobiologique qui a lieu durant le sommeil, est activement perturbé par la prise de sédatifs ».

Toutefois, avant de tirer des conclusions générales sur les somnifères, les scientifiques devront examiner les potentiels effets du zolpidem sur le nettoyage cérébral chez les humains, ce qui n’est pas si facile. Les études sur les rongeurs sont considérées comme la méthode de référence pour mesurer la fonction glymphatique, car il est difficile, d’un point de vue éthique, d’analyser des cerveaux humains avec les technologies actuelles, explique Mander. 

Cette étude soulève néanmoins des questions plus générales sur les véritables implications d’un sommeil de qualité sur la santé. « Nous devons réfléchir à notre manière d’évaluer les somnifères afin de nous assurer qu’ils ne perturbent pas les fonctions fondamentales de soutien du sommeil », commente Mander. En outre, différentes classes de médicaments pourraient théoriquement causer différents types de perturbations cérébrales qui n’ont pas encore été identifiées. « L’objectif [de la prise de somnifère] n’est pas simplement d’être inconscient. L’objectif, c'est d’avoir un sommeil réparateur. »

 

QUE FAIRE SI VOUS PRENEZ DÉJÀ DES SOMNIFÈRES ?

Les experts s’accordent à dire que vous ne devriez pas arrêter de prendre les somnifères qui vous ont été prescrits sur la seule base de ces résultats, tout particulièrement sans l’avis d’un médecin. Cette nouvelle étude s’ajoute toutefois à un nombre croissant de preuves qui mettent en garde contre leur utilisation sur le long terme.

D’un côté, ces médicaments peuvent être une véritable « bouée de sauvetage » pour les personnes souffrant d’une insomnie débilitante et d’autres troubles chroniques du sommeil, commente Rebecca Robbins, professeure adjointe de médecine dans la division des troubles du sommeil et du rythme circadien au Brigham and Women’s Hospital. 

À court terme, les médicaments peuvent apporter un soulagement rapide aux millions de personnes qui souffrent de troubles du sommeil à travers le monde, car nous savons qu’il est vital de dormir suffisamment.

Cependant, il est important de noter que les experts ne comprennent pas entièrement les effets de ces médicaments sur la santé du cerveau, car la science des somnifères est complexe, explique Adam Spira, chercheur sur le sommeil et professeur au département de santé mentale de la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health.

Des études suggèrent que la prise régulière de somnifères pourrait être liée à un risque accru de démence, même si cette idée est elle aussi difficile à prouver. Les experts ont en effet du mal à déterminer si les évolutions neurodégénératives sont directement provoquées par les somnifères, ou par les problèmes de sommeil chroniques qui ont conduit à la prise de somnifères. Il est également possible que ces médicaments ne fassent qu’amplifier des symptômes de déclin cognitif préexistants.

Par ailleurs, d’autres théories suggèrent le contraire. « Puisque tous les somnifères n’agissent pas tous sur les mêmes mécanismes pharmacologiques et physiologiques, il est possible que certains de ces médicaments aient des effets positifs sur la santé du cerveau », ajoute Spira.

Selon le chercheur, des études ont exploré les effets potentiellement protecteurs de certains somnifères contre la maladie d’Alzheimer ; mais ici aussi, des recherches beaucoup plus approfondies sont nécessaires avant de pouvoir affirmer quoi que ce soit avec certitude.

Cela dit, le consensus scientifique semble être que les somnifères ne permettent pas de reproduire les mêmes effets que le sommeil naturel. C’est pourquoi il est essentiel, si vous en avez la possibilité, de peser le pour et le contre avec l’aide d’un médecin spécialiste avant d’avoir recours à l’un de ces médicaments.

En outre, d’après les experts, une alternative non médicamenteuse mérite d’être envisagée : la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (TCC-I), est recommandée par les spécialistes comme traitement de première intention pour les insomnies persistantes, car souvent plus efficace à long terme et plus apte à offrir un sommeil de qualité que les somnifères, sans les nombreux effets secondaires possibles.

Malgré les questions qui subsistent, les nouvelles découvertes de Nedergaard et Hauglund soulignent que tous les types de sommeil ne se valent pas… et nous comprenons progressivement ce que ces différences impliquent pour la santé de notre cerveau.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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