À l'assaut du volcan le plus isolé de la planète

Une équipe National Geographic a réalisé la toute première ascension du mont Michael afin de localiser un lac de lave dans le cratère de ce lointain volcan.

De Freddie Wilkinson
Publication 4 mars 2023, 11:00 CET
Le mont Michael est un volcan actif des îles Sandwich du Sud. Point culminant de l'île ...

Le mont Michael est un volcan actif des îles Sandwich du Sud. Point culminant de l'île Saunders, il s'élève à 990 mètres d'altitude au-dessus de l'océan Atlantique Sud.

PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk, National Geographic

En posant les yeux sur le cratère d'un volcan isolé de l'Atlantique Sud, la volcanologue britannique Emma Nicholson découvrait une scène à laquelle personne n'avait jamais assisté avant elle. Sous ses pieds, les parois du cratère descendaient abruptement jusqu'à l'endroit où, invisible, s'étalait l'un des phénomènes les plus rares de la nature : un lac de lave.

Debout au sommet du mont Michael, un stratovolcan actif situé à moins de deux mille kilomètres des côtes de l'Antarctique, Nicholson tenait entre ses mains un écran affichant les images retransmises par le drone parti inspecter le bassin de lave bien plus bas.

« Soudainement, on pouvait voir ce petit lac de lave au creux du cratère, » se souvient la scientifique. « Ce n'était certainement pas le lac de lave qui vous viendrait naturellement à l'esprit… mais c'était de la lave proche de la surface, alimentant le nuage de gaz que nous étions en train d'analyser. »

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PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk, National Geographic

Au mois de novembre, Emma Nicholson a donc pris la tête d'une expédition de la National Geographic Society visant à réaliser la première ascension du mont Michael pour confirmer la présence d'un lac de lave au fond du cratère. La mission a également permis de réaliser diverses expériences au bénéfice de la recherche sur le comportement des volcans. Les scientifiques essaient toujours de perfectionner leur interprétation des signaux et des mécanismes récurrents. Lesquels pourraient annoncer une éruption ? Les signaux observés sur un volcan peuvent-ils être appliqués à un autre ? Les réponses à ces questions pourraient être apportées par les lacs de lave, notamment à travers leur activité au sein des cratères volcaniques.

 

ZOOM SUR LES VOLCANS

Les lacs de lave comptent parmi les structures géologiques les plus rares de la planète. Avec plus de 1 500 volcans actifs sur Terre, le mont Michael n'est que le huitième lac de lave découvert à ce jour. Certains d'entre eux ressemblent aux bains bouillonnants de magma en fusion dépeints dans les films, alors que d'autres sont plus instables, allant même jusqu'à se vider complètement selon les conditions de pression du système.

Généralement, après une éruption, la lave exposée à l'atmosphère refroidit pour former un couvercle de roche solide qui emprisonne la chaleur et les gaz du volcan. Comme nous l'explique Nicholson, « il faut un équilibre parfait entre la chaleur provenant de la cheminée du volcan et le rythme de refroidissement de la lave pour que celle-ci reste en fusion » et forme un lac de lave.

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    PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk, National Geographic

    « C'est une forme de système ouvert, » explique Nicholson, un type de volcan qui permet aux gaz produits en profondeur de s'échapper dans l'atmosphère. Du fait de cet échange, les scientifiques considèrent que ces volcans sont moins sujets aux éruptions explosives que les systèmes fermés. De plus, ils offrent une véritable mine d'informations aux volcanologues qui peuvent analyser la composition des gaz libérés pour étudier les mécanismes à l'œuvre sous la surface.

    Dominant de toute sa hauteur une île isolée de l'archipel des îles Sandwich du Sud, un territoire britannique d'outre-mer, le mont Michael a commencé à intéresser les scientifiques dans les années 1990, lorsque les explorateurs d'une expédition britannique en Antarctique ont remarqué l'aspect étrange du panache de fumée s'élevant du volcan. « Le nuage, déjà anormalement dense, était également irrégulier, » raconte John Smellie, un géologue britannique. En 2001, il publie un article dans le Journal of Volcanology and Geothermal Research à travers lequel il suggère l'existence d'un lac de lave dans le cratère du mont Michael. En 2019, son hypothèse est renforcée par une nouvelle étude utilisant l'imagerie satellite haute résolution. À ce stade, personne n'avait encore réellement vu le lac.

    « Les îles Sandwich du Sud, il est difficile de s'y rendre, difficile d'y accoster et difficile d'y travailler, » résume Smellie. « Il faut vraiment avoir une bonne raison pour y aller. »

     

    PAR-DELÀ LES CINQUANTIÈMES HURLANTS 

    Les quelques heures passées par Nicholson et son équipe au bord du cratère représentaient le point culminant de plusieurs mois de préparation et quelques semaines de voyage. Son altitude modeste, 990 mètres, le mont Michael la compense par son incroyable isolement.

    « Sur l'île Saunders, votre voisin le plus proche se trouve dans la Station spatiale internationale, » illustre Nicholson. « C'est la définition même de l'isolement. »

    L'équipe a levé l'ancre en novembre à Stanley, dans les îles Falkland, à bord de l'Australis, un voilier de 75 pieds à coque d'acier, avec Ben Wallis à la barre pour l'éprouvant voyage de 2 037 kilomètres vers l'île Saunders.

    Comme le dit Smellie, le simple trajet vers l'île pourrait bien être un plus grand défi que l'ascension du sommet recouvert de glace. Situé sur le 57e parallèle sud, le mont Michael se trouve directement sous le vent du passage de Drake, au beau milieu des « cinquantièmes hurlants », les latitudes connues des marins pour la rudesse de leurs vents et la fureur de leurs tempêtes.

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    L'équipe se repose brièvement à une centaine de mètres du sommet lors de la première ascension ...
    Gauche: Supérieur:

    Le cratère au sommet du mont Michael. Bien que les scientifiques aient depuis longtemps identifié la structure depuis l'espace, l'expédition National Geographic était la première à se rendre directement sur place.

    Droite: Fond:

    L'équipe se repose brièvement à une centaine de mètres du sommet lors de la première ascension du mont Michael. Dans ces conditions de vent et d'humidité, l'équipement et les vêtements étaient rapidement recouverts de givre, ce qui se traduisait par un risque permanent d'hypothermie.

    Photographies de Renan Ozturk, National Geographic

    « Je suis bien plus traumatisé par la navigation aujourd'hui qu'avant le départ, » plaisante Joao Lages, géochimiste et volcanologue de l'expédition, après avoir été malade pendant la quasi-totalité du trajet vers l'île.

    L'île Saunders est accessible uniquement par bateau, largement hors de portée des réseaux existants de soutien aérien. En cas d'urgence médicale, le délai d'évacuation serait donc de sept à dix jours… si la météo coopère.

    « Si les îles Sandwich du Sud sont si différentes, c'est parce qu'elles sont coupées du monde, » déclare Wallis. « Il n'y a personne pour vous aider si vous avez un problème. »

     

    DÉSERT BLANC 

    L'île a été découverte par le capitaine Cook en 1775, mais n'a jamais été habitée. Les membres de l'expédition National Geographic sont les premiers à avoir dormi sur l'île. « La Lune a reçu plus de visiteurs que l'île Saunders, » déclare Kieran Wood, ingénieur en aérospatiale et pilote de drone au sein de l'équipe. Après avoir installé le camp de base sur cette île balayée par les vents, le groupe a réalisé deux ascensions séparées du volcan en l'espace d'une semaine pour mener les premières expériences au sommet.

    Malgré les conditions extrêmes au bord du cratère, notamment des vents de 70 à 100 km/h et une humidité à 90 % sous la forme d'une brume épaisse et givrante, l'équipe est parvenue à recueillir ses échantillons de gaz, de neige et de roche, tout en faisant fonctionner les drones, les caméras thermiques, le système de prélèvement de gaz et d'autres instruments.

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    Le groupe décharge de l'équipement sur la plage de l'île Saunders, habitée par de nombreuses espèces marines, notamment le manchot à jugulaire, l'éléphant de mer ou le pétrel géant.

    PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk, National Geographic

    « Il y avait une fenêtre d'une ou deux heures où l'on pouvait attendre des vents plus faibles et une meilleure visibilité, » indique Nicholson. En revanche, pour profiter pleinement de cette fenêtre au sommet, l'ascension a dû se faire face à des vents d'une violence inouïe. « Le vent soufflait sans arrêt. Un mélange de cendre et de grêle nous fouettait le visage. On ne voyait presque rien devant nous, » témoigne Nicholson.

    Pour la volcanologue, ce type d'expédition est un grand pas vers la compréhension globale des volcans. À travers le monde, plusieurs volcans sont « bien instrumentés », indique-t-elle, de véritables laboratoires scientifiques à ciel ouvert. Malgré son isolement, le mont Michael a également pu jouer ce rôle, ne serait-ce que pour quelques jours. L'un des objectifs de l'expédition était d'optimiser l'exploitation des données satellite et, selon Nicholson, le volcan aurait comblé de nombreuses lacunes.

    « Nous disposons désormais d'un point d'ancrage dans le temps. À l'avenir, lorsque les données satellite arriveront, ce point d'ancrage fournira le contexte nécessaire à leur interprétation physique, » explique-t-elle. « Ce genre de projet permet d'établir un lien entre les observations faites depuis l'espace et les mesures prises sur le terrain, ce que nous pouvons voir concrètement. »

    En retour, cela permet aux scientifiques de mieux cerner le comportement du lac de lave, comme s'ils lisaient une jauge de pression en voyant la profondeur du lac augmenter ou diminuer. Qui plus est, le mont Michael a bien d'autres secrets à révéler.

    « En me tenant debout au bord du cratère, j'ai pu constater à quel point ses parois étaient abruptes et j'ai immédiatement compris que le volcan avait un passé bien plus explosif que ce qu'il nous donnait à voir ce jour-là, » déclare Nicholson. « C'est une force de la nature avec laquelle il va falloir compter. »

    Redécouvrez cette expédition en détail plus tard cette année dans National Geographic Explorer sur Disney+ et dans le magazine National Geographic.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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