En Afghanistan, une série de séismes dévastateurs laisse les scientifiques perplexes
Face aux quatre séismes de magnitude 6,3 qui ont frappé l'Afghanistan en à peine plus d'une semaine, les scientifiques émettent l'hypothèse d'un effet domino qui pourrait encore se poursuivre.
À Siah Aab, un village du district de Zenda Jan dans la province d'Hérat en Afghanistan, un homme s'avance sur les ruines de son habitation emportée par l'un des quatre séismes de même intensité qui ont récemment frappé la région.
Le 7 octobre, à 11h11, heure locale, un séisme de magnitude 6,3 a secoué la province d'Hérat en Afghanistan. Une faille située à l'extrême ouest de la chaîne de l'Hindou Kouch a cédé ; les secousses ont provoqué de nombreux dégâts dans la grande ville d’Hérat et réduit en ruines plusieurs villages voisins. Puis, 23 minutes plus tard, un second séisme a été enregistré, toujours avec une magnitude de 6,3.
Le 11 octobre, alors que les secours s'efforçaient encore de retrouver les dépouilles des victimes parmi les décombres, un autre séisme de magnitude 6,3 a frappé la même région, un traumatisme de plus pour une population déjà dévastée. Le 15 octobre, le bilan s'élevait à 3 000 morts quand un quatrième séisme de magnitude identique a ébranlé la zone.
Cette série de quatre séismes puissants n'a pas manqué de semer la confusion dans le monde de la science. « J'étais déjà abasourdie face au doublet initial, » témoigne Judith Hubbard, sismologue rattachée à l'université Cornell. « Le troisième était stupéfiant et le quatrième encore plus. »
L'origine de cette cascade sismique improbable est au cœur du débat qui anime depuis plusieurs jours la communauté scientifique. Face au manque local de sismomètres, les événements restent difficiles à étudier, mais une théorie gagne peu à peu du terrain. La cause de ces séismes « est probablement un effet domino » indique Harold Tobin, le directeur du Pacific Northwest Seismic Network pour l'université de Washington.
Suite au premier séisme, la tension exercée sur la faille géologique qui a cédé s'est transférée sur une autre faille, elle-même déjà sous tension, ce qui a provoqué sa rupture et ce processus s'est répété deux fois de plus. Ce transfert des tensions se produit partout dans le monde, mais dans le cas qui nous intéresse, « ce qui est étrange, c'est l'intensité similaire de chaque événement et le bref intervalle qui les sépare », nous explique Tobin.
Les séries de séismes comme celle-ci sont rares, ce qui les rend d'autant plus difficiles à comprendre. Et à l'heure où les scientifiques s'interrogent encore sur ce dernier événement, ils mettent en garde contre une possible reprise du phénomène : de nouveaux séismes pourraient encore faire trembler la région dans les jours, les semaines ou les mois à venir.
« Il est impossible de savoir, à ce stade, si le dernier "domino" marquera ou non la fin de la série », déclare Hubbard.
UN PHÉNOMÈNE RARE
Le réseau de failles sur lequel repose une vaste partie de l'Afghanistan s'apparente à une immense toile de points de rupture potentiels, tissée sur plusieurs niveaux par l'inexorable mouvement des plaques arabique, eurasienne et indienne. Concrètement, cela signifie que le pays subit de nombreux tremblements de terre, pour certains dévastateurs. L'été dernier, un séisme de magnitude 6,1 a fait plus de 1 000 victimes à la frontière avec le Pakistan.
D'ordinaire, un duo de séismes n'aurait rien d'inhabituel en Afghanistan. Cette fois en revanche, le doublet a tout de suite attiré l'attention. « Cette région de l'Afghanistan est nettement moins sismique que la partie est, donc la localisation des deux premiers séismes était déjà assez surprenante, » indique Wendy Bohon, géologue spécialiste des séismes.
Ce qui a véritablement piqué l'intérêt des scientifiques, c'est plutôt la nature équivalente des magnitudes. « Lorsque les deux premiers séismes très similaires de magnitude 6,3 se sont produits, j'ai tout de suite pensé que c'était une série assez étrange, » indique Jascha Polet, sismologue et professeure émérite au sein de l'université d'État polytechnique de Californie à Pomona. « Lorsque la série s'est ensuite transformée en quadruplet de séismes, j'étais très surprise. »
Les séismes ne fonctionnent pas de cette manière habituellement. Généralement, il y a une secousse principale qui correspond à une rupture de faille importante, puis plusieurs secousses secondaires dont l'intensité diminue au fil du temps. Un autre séisme de magnitude équivalente peut se produire dans la même région, mais la probabilité pour que les deux événements se produisent en moins d'une semaine est d'environ 5 %.
La série de séismes survenue le 7 octobre a déjoué tous les pronostics. En sismologie, ce phénomène s'appelle un doublet sismique : deux séismes distincts d'intensité égale ou similaire se produisant dans un intervalle réduit et sur la même zone de faille ou sur des zones voisines. Chaque séisme déclenche ses propres répliques et compte tenu de leur proximité, les scientifiques pensent qu'ils seraient liés par un processus tectonique ou sismique sous-jacent.
Les doublets n'ont rien d'extraordinaire ; il s'en est d'ailleurs produit un le même jour en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie en février dernier formaient également un doublet. Les triplets sont plus rares, mais loin d'être inexistants. « Il y a un triplet dans le centre de l'Iran en décembre 2017 dans un intervalle de deux semaines », indique Edwin Nissen, sismologue à l'université de Victoria au Canada, en référence à une série de trois séismes de magnitude 6.
En revanche, « un quadruplet, surtout avec une magnitude aussi proche, voire identique, c'est à coup sûr une série très rare et improbable, » souligne Tobin.
Hubbard évoque un quadruplet survenu aux Philippines en 2019, où des séismes de magnitudes 6,4, 6,6, 6,5 et 6,8 avaient secoué l'île de Mindanao entre octobre et décembre. Celui qui a frappé l'Afghanistan se distingue par son intervalle très court et ses magnitudes identiques, ce qui le rend particulièrement préoccupant.
Mais alors, comment l'expliquer ?
QUATRE SÉISMES
Le fait qu'il y ait eu quatre séismes d'intensité modérée au lieu d'une seule secousse extrêmement puissante est probablement dû à la nature fragmentée des failles montagneuses de la région. « Elles sont interrompues par des lacunes, des relais et des virages, » explique Nissen. « Ces frontières entre les segments empêchent les séismes de se produire sur un plan de faille étendu, ce qui se traduirait par une magnitude très élevée. »
Les signaux sismiques nous montrent que les quatre séismes seraient l'œuvre d'un chevauchement, un mouvement tectonique par lequel un morceau de croûte en recouvre un autre. Cependant, le caractère limité des données empêche pour le moment les scientifiques d'identifier la ou les failles responsables.
Quoi qu'il en soit, le transfert de tension à travers la croûte semble être à la racine des quatre séismes. « Après un tremblement de terre, certaines zones voisines sont soumises à une tension accrue, ce qui augmente la probabilité d'un nouvel événement sur les failles de ces zones, » indique Bochon.
Dans le sillage du séisme de magnitude 6,3 qui a frappé la province d'Hérat, la population s'efforce de déblayer la zone à l'aide d'engins de chantiers ou de simples pelles.
Les épicentres de chaque séisme sont légèrement décalés vers l'est par rapport au précédent, ce qui suggère une multitude de failles rapprochées, ou plusieurs sections sur une seule et même longue faille fragmentée. « Ces failles sont peut-être superposées, comme des blocs, et le déplacement de l'une d'entre elles augmente la probabilité de mouvement des autres failles, » imagine Bochon.
Cela dit, cette théorie n'explique pas à elle seule pourquoi ces séismes présentent les mêmes magnitudes, indique Polet.
Il n'existe pas de règle absolue concernant la puissance des séismes qui composent un doublet, un triplet ou un quadruplet. Tout dépend des caractéristiques de dimensions et de comportement propres à chaque faille. Par conséquent, si ces quatre séismes partageaient la même magnitude, « c'était probablement une coïncidence » indique Hubbard.
DOMINOS OU ESSAIM ?
Cette première analyse ne fait pas l'unanimité. « Ce n'est pas forcément un effet domino, » objecte Zachary Ross, géophysicien au sein du California Institute of Technology. Le phénomène pourrait aussi être ce que les sismologues appellent un essaim de séismes : une série de secousses de tailles comparables se produisant au même moment et dans la même région, sans distinction de secousse principale.
Pour Ross, la série qui a frappé l'Afghanistan est « plutôt normale pour un essaim de séismes, au cours duquel nous observons des séismes de magnitude similaire. » Il précise toutefois que les essaims dont la magnitude est supérieure à 6 sont peu communs. Autre obstacle à cette théorie, les essaims sont souvent causés par le mouvement de roche en fusion ou de fluides surchauffés à travers le manteau, mais cette région de l'Afghanistan n'a jamais été associée à ce type d'activité géologique.
La majorité des scientifiques privilégie l'hypothèse de l'effet domino et à mesure que de nouvelles données émergeront, ils pourront dresser un portrait plus détaillé de la cause géologique sous-jacente. Quel que soit le résultat, une certitude subsiste : cette région n'était pas du tout préparée à l'apparition d'un quadruplet de séismes.
Dans les villages qui ont le plus souffert, les bâtiments étaient en terre, en brique ou en bois et complètement dépourvus de renforts, le type de construction qui s'effondre immédiatement lors d'un séisme puissant. Autre fait tragique, 90 % des victimes étaient des femmes et des enfants, plus susceptibles de se trouver à l'intérieur au moment où les séismes ont secoué la région. Les talibans ont restreint le droit des femmes à se déplacer librement dans l'espace public, exacerbant ainsi les inégalités face à la catastrophe.
Si les séismes frappent lorsque la croûte de notre planète tressaille, les catastrophes ont bien souvent des origines à la fois humaines et naturelles. C'est à nouveau le cas ici.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.