Comment nos photographes ont documenté une greffe totale de la face
Maggie Steber et Lynn Johnson nous racontent comment elles ont documenté le parcours éprouvant de Katie Stubblefield, la plus jeune patiente à avoir reçu une greffe totale de la face aux États-Unis.
Le visage, détaché du donneur, reposait sur un plateau. Les chirurgiens qui l'avaient enlevé l'ont fixé, marquant un temps d'arrêt avant de le transplanter. « C'était juste un moment à couper le souffle », se souvient la photographe Lynn Johnson. « Les gens étaient d'une certaine manière stupéfaits. »
Tout s'est arrêté pour un instant de « reconnaissance », explique-t-elle. « Et puis ils se sont rassemblés et se sont mis à le coudre. »
Cette photographie exceptionnellement forte est la principale image de couverture de la version américaine du magazine National Geographic du numéro de septembre 2018 portant sur l’opération.
Lynn Johnson était l'une des deux photographes historiques de National Geographic qui ont documenté le parcours de Katie Stubblefield, dont le visage a été gravement endommagé par une tentative de suicide au moyen d'une arme à feu, avant d'être reconstruit puis remplacé.
Pendant deux ans et demi, la photographe Maggie Steber a suivi Katie et sa famille, les déplacements entre sa maison à Miami, la clinique de Cleveland dans l'Ohio, où les chirurgiens ont soigné Katie et la Maison Ronald McDonald, où Katie a vécu quand elle n'était pas hospitalisée. Maggie Steber a suivi tout ce que les Stubblefield faisaient, leur laissant tout de même des moments de repos, et a fini par se considérer comme un membre de leur famille.
« Ils partageraient leurs pensées les plus profondes avec moi », explique Maggie Steber. « C'est une position privilégiée. Parfois, les photographes doivent poser leur appareil photo et simplement écouter leurs sujets. »
Mais lorsque Katie et sa famille ont appris qu'un donneur avait été trouvé, Maggie Steber se trouvait à des milliers de kilomètres de là, à Dubaï, trop loin pour revenir à temps pour documenter l'opération. « Ils n'allaient pas m'attendre, pourquoi l'auraient-ils fait ? » confie-t-elle. « Je suis tombé à genoux et j'ai pleuré. »
C'est à ce moment-là que Lynn Johnson est intervenue. « Lynn est une photographe très sensible et une très bonne amie, » déclare Maggie Steber. « Elle est comme ma soeur. Ce reportage est le nôtre et nous avons eu la chance de le partager. »
Au cours de la procédure qui a duré 31 heures, Lynn Johnson est passée des Stubblefield aux chirurgiens. « Il y avait une sorte de tension très sereine dans la pièce », se remémore-t-elle.
Lynn Johnson a documenté la transformation de Katie dans la salle d'opération, quand Maggie Steber, elle, signait la chronique d'une famille transformée par cet événement. « Ils ont eu le cœur brisé et ont été choqués par ce qu'il s’était passé, mais ils l’ont accepté », raconte Maggie Steber à propos des parents de Katie, Robb et Alesia. « Ce sont des guerriers. Des sortes d'aigles qui protègent un jeune oiseau. Et maintenant, Katie a une mission. Elle peut essayer de sauver d'autres jeunes vies. »
Elle a également été témoin de l'agonie physique et émotionnelle de Katie lorsqu'elle a subi ces interventions chirurgicales pour réparer ses blessures et qu'elle s'est ensuite lentement approprié son nouveau visage. L'expérience était si intense que Maggie Steber devait parfois appeler le rédacteur photo de National Geographic, Kurt Mutchler, pour qu'il l'encourage à continuer. « Il suffit de les écouter et d’avoir de l’empathie pour ce qu’ils vivent », lui répondait Mutchler.
La photographe faisait de longues promenades pour décompresser, repensant au geste de Katie et au prix qu'elle payait depuis : « Katie a payé encore et encore d'une manière extrêmement douloureuse. »
Une fois qu'elle a cessé de documenter cet éprouvant parcours, Steber a remis à Mutchler et à son équipe des milliers de clichés. « Il y avait probablement 4 000 ou 5 000 photos », note-il. S'il est souvent plus facile de construire un récit avec des photos fortes, dans ce cas créer un récit cohérent à partir de plusieurs années de photos était un véritable défi, et certains des clichés préférés de Mutchler et Steber ont dû être écartés.
On en est arrivés au cliché ci-dessus : une image de Katie assise seule sur son lit d'hôpital après la transplantation. Comme d'habitude, explique Maggie Steber, la salle était en « activité constante. Mais personne ne parlait à Katie. Elle était assise là dans un moment de réflexion. » C'était un moment privé rare. « En fin de compte, nous devons faire face à nous-mêmes. »
Pour Steber, le nouveau visage de Katie est bien plus qu’un miracle médical. « Il ne s'agit pas que de votre apparence », dit-elle. « Il s'agit de votre âme. Votre visage cartographie votre vie. »
Elle espère que l'histoire de Katie fera progresser les connaissances scientifiques et incitera les gens à réfléchir. « Les gens se détournent de tout, non ? », dit-elle. « Ils détournent le regard des photos d'enfants affamés, de la guerre. C'est leur choix. Mais je pense aussi à toutes les personnes qui seront très intéressées [par cette histoire]. Peut-être y a-t-il des enfants qui deviendront médecins un jour parce qu'ils auront vu cela. Nous devons penser aux personnes qui seront inspirées, informées et changées par ce reportage. »
Ce reportage a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.