Qui étaient les "Hobbits" de Florès ?

En 2003, les archéologues ont découvert un squelette d'un mètre de hauteur sur une île tropicale. Vingt ans plus tard, le mystère de l'Homme de Florès reste entier.

De Riley Black
Publication 31 oct. 2024, 10:31 CET
D'après une étude réalisée en 2013, Homo floresiensis possédait un cerveau trois fois plus petit que celui d'Homo sapiens.

D'après une étude réalisée en 2013, Homo floresiensis possédait un cerveau trois fois plus petit que celui d'Homo sapiens.

PHOTOGRAPHIE DE Ira Block, Nat Geo Image Collection

Il y a bien longtemps, sur l'île de Florès en Indonésie, au beau milieu des échassiers géants et des éléphants miniatures, vivaient d'étranges humains à la stature modeste.

Lors de sa présentation par les chercheurs il y a vingt ans ce mois-ci, Homo floresiensis semblait tout droit sorti d'une nouvelle d'heroic fantasy, un être extraordinaire vivant dans un monde perdu entouré de mystérieuses créatures. À l'époque, Peter Jackson venait d'adapter Le Seigneur des Anneaux sur grand écran et les Hobbits avaient le vent en poupe. Entre ces héros de petite taille et Homo floresiensis, la ressemblance était frappante.

Après deux décennies de recherche et d'innombrables controverses, nous avons désormais la certitude que l'Homme de Florès n'avait rien d'un petit humain aux grands pieds avec un sérieux penchant pour les gâteaux de graines. Nos cousins de Florès représentent une lignée humaine à part entière, apparue à une époque où plusieurs espèces du genre Homo se partageaient le monde, un parent énigmatique qui n'a pas fini de confondre les scientifiques.

 

QUI A DÉCOUVERT CES FOSSILES ?

La rencontre de la science avec Homo floresiensis remonte à 1999. Les archéologues s'intéressaient à la migration des premiers peuples de l'Asie vers l'Australie et se demandaient si Florès avait pu leur servir d'escale dans leur course d'île en île à travers le Pacifique. Dans les hauteurs verdoyantes de Florès, une grotte appelée Liang Bua semblait être l'endroit idéal pour trouver les traces de personnes ayant vécu sur l'île. Bordée par deux rivières, la grotte offrait une pierre adaptée à la fabrication d'outils et avait tout du lieu où nos ancêtres aimaient à élire domicile.

Des chercheurs transportent les artefacts recueillis dans la grotte de Liang Bua à travers une rizière.

PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

Les fouilles ont débuté deux ans plus tard et les experts ont rapidement mis au jour les ossements d'une espèce d'éléphant disparue, le Stegodon, mais aussi ceux d'un échassier géant, de rongeurs et de plusieurs dragons de Komodo. Puis, en 2003, les archéologues sont tombés sur une tout autre curiosité.

Selon la légende, alors que l'équipe fouillait une couche de sédiments déposée dans la grotte au Pléistocène, un ouvrier local en sortit les os d'un crâne humain. Ce jour-là, les fouilles étaient supervisées par Wahyu Saptomo, archéologue au Centre d'Archéologie nationale indonésien (Arkenas). « Sans même savoir ce que c'était, je pressentais qu'il s'agissait d'une découverte majeure », se souvenait-il en 2018 dans les pages du South China Morning Post.

Saptomo s'empressa d'apporter la nouvelle à Thomas Sutikna, l'archéologue responsable de la campagne, alité par une fièvre dans un hôtel voisin. À l'annonce de la découverte du crâne, la fièvre de Sutikna se dissipa immédiatement, comme il le racontait à la revue Nature en 2014. Dès le lendemain, il alla retrouver son équipe sur le site et élabora un plan pour extraire les ossements fragiles sans les endommager.

D'après les mensurations du squelette, l'individu avoisinait le mètre de hauteur et pesait environ 15 kg. Baptisé LB1 par les scientifiques, le fossile reçut également le surnom affectueux de « Flo ». Compte tenu de sa petite taille, les chercheurs ont d'abord pensé qu'il s'agissait d'un enfant, mais il est rapidement apparu que l'équipe avait fait une découverte bien différente. L'identité de cet individu d'un autre temps constituait le premier grand mystère.

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    Les archéologues Wahyu Saptomo et Mike Morwood examinent des artefacts en pierre découverts dans la grotte de Liang Bua. 

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

     

    QUI ÉTAIENT CES « HOBBITS » ? 

    Tout d'abord, l'âge des ossements a soulevé de nombreuses interrogations. Une étude géologique antérieure les situait dans une couche âgée de 18 000 ans, bien après l'émergence des premiers humains, il y a environ 300 000 ans en Afrique. Une analyse plus approfondie a permis de réfuter leur éventuel lien avec l'enfant humain moderne. Les fossiles appartenaient à une espèce humaine encore inconnue, plus proche des premiers membres du genre Homo, nés il y a deux millions d'années, que des humains de la dernière glaciation, comme l'Homme de Néandertal ou nous-mêmes. En 2004, l'équipe de Liang Bua donne à cet humain de petite taille le nom officiel d'Homo floresiensis.  

    Aussitôt officialisée, la découverte inattendue était déjà entachée de controverses. Fin 2004, l'anthropologue indonésien Teuku Jacob fait retirer l'essentiel de la collection associée à l'Homme de Florès du Centre d'Archéologie nationale indonésien de Jakarta. Jacob soutient que les os sont ceux d'humains modernes atteints de troubles du développement et non pas ceux d'une nouvelle espèce humaine. Qui plus est, des rumeurs prétendent que l'extraction des fossiles fragiles ne s'est pas faite dans le respect des normes scientifiques. Quelques mois plus tard, Jacob finit par rendre les ossements. Alors que plusieurs d'entre eux ont été endommagés durant le transport entre les laboratoires, l'équipe de Liang Bua et Jacob se renvoient la responsabilité. Le scandale est tel que les autorités indonésiennes décident d'interdire l'accès à la grotte pendant deux ans.

    Le fémur d'Homo floresiensis (en bas) est bien plus petit que celui d'Homo sapiens. D'après les estimations des scientifiques, les habitants préhistoriques de Florès mesuraient entre 100 et 110 cm. 

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

    À la réouverture des fouilles, la grotte a livré encore plus de fossiles de l'Homme de Florès. En 2015, les archéologues avaient mis au jour les restes d'au moins 15 individus préhistoriques sur le site. Une nouvelle datation au radiocarbone situait les homininés de la grotte de Liang Bua dans une période allant de -60 000 à -100 000 ans. Des outils en pierre découverts sur un autre site suggéraient que les premiers Hommes étaient arrivés sur l'île il y a un million d'années. Une autre étude publiée en août 2024 affirme que des humains de petite taille auraient émergé sur Florès il y a au moins 700 000 ans. 

    La découverte de nouveaux fossiles d'Homo floresiensis a joué un rôle essentiel dans la clarification de l'identité de ces premiers humains. Tout comme Jacob, certains experts suggéraient que les ossements de Liang Bua appartenaient à des humains modernes souffrant de problèmes médicaux, comme la microcéphalie ou la trisomie 21, ce qui aurait expliqué leur petite taille et la forme de leur crâne. Cependant, les squelettes des différents individus présentaient des caractéristiques communes persistantes, signe révélateur de leur appartenance à une espèce distincte plutôt que de la présence d'une maladie. Une énigme subsiste toutefois pour les anthropologues : comment Homo floresiensis est-il arrivé sur Florès et quelle est sa place dans l'arbre de l'évolution ?

     

    D'OÙ VENAIENT LES HUMAINS DE FLORÈS ?

    Au départ, l'équipe de Liang Bua pensait que l'Homme de Florès était issu d'une population de l'espèce Homo erectus qui aurait rapetissé suite à son isolement sur l'île. Homo erectus était l'un des premiers représentants du genre Homo à quitter l'Afrique il y a deux millions d'années ; il aurait ensuite atteint l'Indonésie avant de disparaître il y a 110 000 ans. La nature extrême des autres fossiles mis au jour dans la grotte de Liang Bua semble concorder avec le phénomène appelé loi de Foster par les biologistes, ou règle insulaire, selon laquelle les animaux isolés sur une île deviendraient plus petits ou plus grands au fil des générations. L'aire géographique restreinte, l'absence de grands mammifères prédateurs comme les grands félins et d'autres facteurs seraient à l'origine de cette évolution atypique. H. floresiensis semblait donc indiquer que les humains pouvaient eux aussi être sujets à ce phénomène en cas d'isolement insulaire. 

    La grotte de Liang Bua a également révélé les restes d'autres animaux. La vertèbre, le fémur et la mâchoire présentés ci-dessus appartiennent à une espèce éteinte de dragon de Komodo.

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

    Cependant, les plus vieux fossiles d'Homo erectus découverts dans la région sont à peu près aussi âgés que les plus vieux fossiles d'Homo floresiensis. En outre, lorsque les anthropologues ont analysé les os des humains de Florès, ils ont constaté des similitudes avec des espèces humaines bien plus anciennes. Les pieds, les poignets et d'autres parties du squelette d'Homo floresiensis le rapprochent plutôt de parents de l'espèce humaine apparus il y a 2 millions d'années, comme les Australopithèques ou Homo habilis. L'Homme de Florès serait donc le représentant d'une lignée humaine primitive arrivée en Indonésie par un processus qui reste à déterminer. Pourtant, à ce jour, aucun fossile attribué à des espèces humaines aussi anciennes n'a été découvert en dehors du continent africain par les anthropologues. Les deux hypothèses présentent des lacunes et seules les découvertes à venir nous aideront à raconter l'histoire de ces petits humains dans son intégralité.

    « Ceux pour qui l'Homme de Florès est un descendant d'Homo erectus pensent que sa petite taille résulte de l'isolement insulaire », résume Matt Tocheri, un anthropologue de l'université Lakehead au Canada qui a étudié les fossiles. Là encore, il y a un problème : il n'existe aucune série de fossiles nous permettant de conclure que la taille d'Homo floresiensis ou de ses ancêtres a diminué au fil du temps. « D'autres, comme moi-même, sont plus ouverts à l'idée qu'Homo floresiensis était petit parce que ses ancêtres hominines avaient eux-mêmes un corps et un cerveau plus petit », nous explique Tocheri, tout en admettant que cette alternative est conditionnée par l'existence de fossiles de tels ancêtres en dehors de l'Afrique. 

    Les fouilles dans la grotte de Liang Bua ont débuté en 1999. Les chercheurs espéraient alors trouver les traces de la migration des humains modernes à travers le Pacifique. 

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garret, Nat Geo Image Collection

     

    QUI ÉTAIENT LES AUTRES HABITANTS DE L'ÎLE ? 

    Dans l'attente des futures trouvailles qui nous emmèneront aux origines des humains de Florès, l'analyse de la grotte et de sa faune a permis de reconstituer le monde dans lequel ils vivaient. 

    La découverte d'un humain primitif sur une île volcanique tropicale fut une réelle surprise pour la communauté scientifique. « Florès présentait une écologie inhabituelle par rapport aux autres régions renfermant des fossiles d'hominines, comme l'Afrique », indique Hanneke Meijer, paléontologue à l'université de Bergen en Norvège. Les forêts denses de l'île sont radicalement différentes de la représentation traditionnelle des premiers humains évoluant à travers les vastes prairies d'Afrique de l'Est. L'île de Florès abritait des éléphants nains, des lézards géants et toute une ménagerie d'animaux fantastiques avec lesquels Homo floresiensis a probablement vécu de nombreux tête-à-tête.

    La règle insulaire a poussé aux extrêmes les espèces établies sur l'île de Florès. Si certaines d'entre elles ont gagné en envergure, d'autres sont devenues plus petites, comme le Stegodon, un éléphant nain. 

    PHOTOGRAPHIE DE Gregory Harlin, Nat Geo Image Collection

    Les fossiles d'oiseaux comptent parmi les plus utiles pour reconstituer l'écologie de la Florès préhistorique. « Les oiseaux fournissent des informations essentielles sur l'environnement, la végétation et la dynamique interespèces au sein d'un écosystème », indique Meijer.

    Avec ses deux mètres de hauteur, l'échassier géant Leptoptilos robustus aurait dominé Homo floresiensis. Même si sa taille n'a rien d'exceptionnel par rapport à d'autres fossiles de l'espèce, l'oiseau était l'un des plus grands carnivores de Florès et à ce titre, il traquait probablement les rongeurs de l'île en visitant de temps à autre la carcasse d'animaux plus imposants comme le Stegodon. « Les échassiers géants et les vautours dépendaient du Stegodon pour se nourrir, tout comme les dragons de Komodo et H. floresiensis », nous raconte Meijer, ce qui implique que la vie de plusieurs espèces reposait sur cet éléphant nain. La disparition de l'éléphant a donc dû provoquer une réaction en chaîne qui a mené à l'extinction des carnivores de l'île, Homo floresiensis y compris. « Pour moi, cela montre que les hominines s'inscrivaient dans un écosystème bien plus étendu », conclut Maijer.

    Le dragon de Komodo vit encore de beaux jours sur l'île de Flores.

    PHOTOGRAPHIE DE Stefano Unterthiner, Nat Geo Image Collection

    Malgré toutes les informations glanées par les anthropologues à son sujet, nous ne savons toujours pas comment cet ancêtre de l'Homme s'est retrouvé sur Florès ni pourquoi il a disparu. Si nous limitons son existence à une simple bizarrerie de la lignée humaine, nous n'obtiendrons jamais les réponses à ces questions. Pour cela, nous devons étudier l'Homme de Florès en tant que maille du filet de la préhistoire. « Pour comprendre l'évolution d'Homo floresiensis, nous devons comprendre l'évolution de la faune de Florès, car c'est dans cet environnement qu'il a émergé et survécu pendant plus de 700 000 ans », déclare Meijer. Comment les hominines sont-ils arrivés là ? D'où venaient-ils ? Que sont-ils devenus ? Toutes ces questions en suspens seront éclairées par les recherches menées sur d'autres sites, comme cet endroit appelé Malahuma dans le bassin de So'a sur l'île où des os de Stegodon et des outils en pierre ont été retrouvés. 

    « S'il existait un livre retraçant l'histoire des humains de Florès, nos connaissances actuelles représenteraient une poignée de pages arrachées ne laissant deviner que quelques phrases incomplètes », illustre Tocheri. Nous savons qu'ils ont existé et qu'ils étaient différents des autres espèces humaines, mais il nous reste bien plus à découvrir à leur sujet que nous ne comprenons à présent. « Après tout, s'amuse Tocheri, Gandalf ne disait-il pas : "On peut bien tout apprendre des Hobbits, ils finissent toujours pas vous surprendre ?" »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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