Vaccins : comment les adjuvants stimulent-ils notre système immunitaire ?
Des additifs comme l'aluminium peuvent renforcer l'efficacité des vaccins, en créant suffisamment d'inflammation pour lutter contre la maladie.
Dans cette illustration, un vaccin à ARN messager ordonne aux cellules de produire les protéines virales nécessaires au déclenchement d'une réponse immunitaire. L'ajout d'adjuvants aux vaccins permet de stimuler leur efficacité.
Dans les années 1920, le vétérinaire français Gaston Ramon a fait une curieuse découverte en étudiant les vaccins contre la diphtérie : l'ajout de chapelure, de tapioca ou d'autres ingrédients quelconques semblait améliorer leur efficacité.
Adjuvant, c'est le nom donné par le Dr Ramon à ces additifs, un terme dérivé du latin « adjuver », qui signifie « aider ». De nos jours, il en existe environ une dizaine utilisés dans divers vaccins ; et les scientifiques continuent d'étudier la façon dont ces petites mains prennent le contrôle du système immunitaire pour optimiser l'inflammation. D'après les experts, la recherche pourrait nous offrir une nouvelle génération de vaccins capables de combattre un plus grand nombre de maladies, plus longtemps.
Le fonctionnement des vaccins repose déjà sur la stimulation des processus inflammatoires pour lutter contre les infections, rappelle Bali Pulendran, immunologiste à l'université Stanford de Palo Alto, en Californie. Les adjuvants poussent le processus un peu plus loin en aidant notre organisme à moduler l'inflammation : « Ni trop ni trop peu, le bon type d'inflammation au bon endroit » déclare Pulendran. « C'est là toute la magie des adjuvants. »
INCENDIE SOUS CONTRÔLE
Le principe fondamental du vaccin est d'imiter la maladie contre laquelle il est censé vous protéger afin de déclencher une certaine réponse du système immunitaire, indique Larry Corey, expert en virologie, immunologie et développement de vaccin au Fred Hutchinson Cancer Center de Seattle. Pour cela, bon nombre de vaccins font appel à une version inactive ou affaiblie de l'agent infectieux, ou à un fragment toxique de celui-ci, le tout dilué dans une solution injectable. Une fois injecté, généralement dans le bras, le vaccin déclenche une réponse du système immunitaire dès que l'agent perturbateur, connu sous le nom d'antigène, pénètre dans l'organisme. Pour un antigène inconnu de l'organisme, il faut environ deux semaines pour mobiliser une réponse mesurable.
La réponse immédiate à un antigène étranger correspond à l'immunité innée ; elle implique des cellules spécialisées, comme les cellules dendritiques et les monocytes, qui libèrent des cytokines, des prostaglandines et d'autres protéines à l'origine des processus inflammatoires, indique Corey. Cette inflammation immédiate se manifeste par une douleur, un gonflement ou une rougeur au niveau du site d'injection. Il arrive également que le patient se sente malade dans les jours qui suivent.
Pendant ce temps-là, les cellules immunitaires transportent l'antigène du vaccin vers les ganglions lymphatiques voisins, ce qui déclenche une réponse immunitaire « adaptative », plus durable, pendant laquelle des cellules hautement spécialisées, comme les lymphocytes T et B, produisent des anticorps et développent une mémoire de l'antigène. Comme nous l'explique Corey, c'est grâce à ce système immunitaire adaptatif que la protection peut durer plusieurs mois, voire plusieurs décennies.
Qu'elle soit innée ou adaptative, la réponse immunitaire repose sur les processus inflammatoires et les vaccins sont précisément conçus pour induire la juste dose d'inflammation. « La vaccination est une forme d'inflammation », résume Corey. « L'objectif est de déclencher une réponse immunitaire contre un antigène inconnu de manière contrôlée pour vous éviter de tomber malade. »
Des enfants font la queue pour recevoir un vaccin contre la diphtérie injecté par les infirmières d'une école de New York, dans les années 1920.
BESOIN D'AIDE
Certains vaccins parviennent à conférer une immunité simplement en présentant au système immunitaire un fragment de l'agent infectieux ciblé, c'est notamment le cas des vaccins contre les méningocoques. Toutefois, il existe des maladies pour lesquelles le développement de vaccins est particulièrement difficile. Le VIH, par exemple, utilise différentes stratégies pour échapper à la reconnaissance par les cellules immunitaires et enrayer leur contre-attaque. La grippe et le SARS-CoV-2 évoluent en variants pour se soustraire à cette même reconnaissance immunitaire. Le parasite à l'origine du paludisme présente une histoire complexe et ses impacts sur le système immunitaire soulèvent encore de nombreuses questions.
Afin de mettre au point des vaccins contre ces agents infectieux et d'autres rois de l'évasion, les scientifiques exploitent les subtilités de notre système immunitaire, dont la plupart restent entourées de mystères. Ainsi, pour les virus en perpétuelle évolution comme le SARS-CoV-2 et la grippe, certains chercheurs travaillent sur des vaccins universels qui parviendraient à reconnaître les parties des antigènes qui restent stables alors que leur voisinage mute pour produire de nouvelles souches.
Les adjuvants jouent un rôle majeur dans les efforts visant à contrôler l'inflammation à l'aide des vaccins, notamment grâce aux travaux datant de l'époque du Dr Ramon. La découverte du vétérinaire est née d'une procédure commune pour l'époque. Pendant des décennies, la méthode scientifique impliquait d'injecter à un cheval une toxine issue de la bactérie responsable de la diphtérie pour induire une réponse immunitaire. Ils prélevaient ensuite le sang du cheval, désormais chargé d'anticorps, et en utilisaient le sérum pour soigner les malades.
Au cours de ses recherches, le Dr Ramon a fait le constat suivant : lorsque les chevaux développaient une infection autour du site d'injection, ils produisaient un sérum antidiphtérique plus puissant. Il a alors eu l'idée d'ajouter de la chapelure et d'autres éléments aux vaccins pour stimuler la réaction inflammatoire et renforcer l'immunité.
À la même période, l'immunologiste britannique Alexander Glenny, qui travaillait également sur les injections de toxine diphtérique, a découvert qu'il pouvait accentuer leurs effets chez le lapin en ajoutant des sels d'aluminium. L'aluminium était le premier adjuvant intégré à des vaccins homologués aux États-Unis et le seul utilisé en continu dans ces vaccins pendant les 70 années qui ont suivi. De nos jours, il reste l'adjuvant le plus répandu, indique Pulendran, comptabilisant plusieurs milliards de doses à son actif.
La biologie des adjuvants a connu un nouvel essor au milieu des années 1990 avec la découverte sur les cellules immunitaires innées de récepteurs agissant tel « le sixième sens de notre organisme », comme l'illustre Pulendran, en référence à leur capacité à reconnaître des fragments d'envahisseurs infectieux, à initier une réponse inflammatoire et à stimuler le système immunitaire adaptatif. Cette découverte a également permis aux scientifiques de commencer à cibler des récepteurs spécifiques, ce qui a mené au développement d'au moins une demi-douzaine d'adjuvants supplémentaires. L'un d'entre eux est un lipide incolore appelé squalène parfois complété de vitamine E ou d'autres ingrédients et notamment utilisé dans le vaccin antigrippal Fluad, homologué chez l'adulte âgé de 65 ans ou plus en France. Autre cas, un adjuvant entrant dans la composition du vaccin Shingrix contre le zona est quant à lui issu du bois de Panama.
Le bois de Panama (Quillaja saponaria) contient un composé ajouté en tant qu'adjuvant au vaccin Shingrix indiqué contre le zona.
ADJUVANTS DU FUTUR
À l'heure actuelle, certains adjuvants sont mieux compris que d'autres par les chercheurs, témoigne Darrell Irvine, immunologiste au Massachusetts Institute of Technology de Cambridge, aux États-Unis. Parfois, leur découverte est accidentelle, comme celle du Dr Ramon. Par exemple, les vaccins à ARNm produits par Pfizer et Moderna intègrent un ingrédient, les nanoparticules lipidiques, qui semble se comporter comme un adjuvant selon des mécanismes encore à l'étude. Certains adjuvants sont sélectionnés de manière plus intentionnelle. Ainsi, pour le vaccin Shingrix, les scientifiques ont incorporé une molécule qui compose certains types de bactéries infectieuses.
« Votre système immunitaire est entraîné pour reconnaître cette molécule et produire un certain type d'inflammation lorsqu'elle se présente », indique Irvine. « Cela revient à tromper votre système immunitaire en lui disant : "Il y a un danger et c'est peut-être une bactérie. Tu devrais déclencher une réponse immunitaire." »
Un jour, les adjuvants pourraient être en mesure de reprogrammer l'activité génétique des cellules immunitaires pour combattre simultanément une multitude de maladies au lieu de se concentrer sur une cible unique, comme le fait un vaccin classique, indique Pulendran, qui travaille actuellement sur la technique. Différentes études, dont celle menée dans son laboratoire, suggèrent que cette alternative est possible.
Ainsi, d'après diverses études impliquant des sujets murins et humains, le vaccin BCG conçu pour la tuberculose pourrait protéger contre la grippe, les candidoses, les infections à staphylocoques et les infections respiratoires. De plus, les chercheurs étudient actuellement son utilité contre la COVID.
En s'appuyant sur ces travaux, ainsi que sur les données attestant de la présence des molécules inflammatoires associées à ces réactions, plusieurs groupes de recherche développent actuellement des adjuvants visant à introduire sur le long terme de faibles niveaux d'immunité antivirale, telles des braises qui conserveraient un semblant de chaleur plusieurs semaines à plusieurs mois dans le but de renforcer notre résistance à toutes sortes d'intrus. « C'est un peu comme une inflammation sans virus qui pourrait contribuer à la lutte contre diverses infections » précise Pulendra, dont l'équipe travaille également sur le sujet. « Ces adjuvants permettent de maintenir les braises de la bonne inflammation à un niveau tolérable, pas trop intense. »
LE CANCER EN LIGNE DE MIRE
La recherche portant sur les adjuvants qui contrôlent l'inflammation de manière précise ouvre la voie au développement de vaccins pour des maladies jusqu'à présent exclues du champ des possibles offert par la vaccination, notamment les cancers, souligne Irvine. Des essais actuellement menés sur les vaccins à ARNm pour le mélanome et le cancer du pancréas suggèrent que l'association d'adjuvants et de protéines produites par la propre tumeur du patient pourrait aider l'organisme à développer une immunité contre le cancer. « Nous ne disposons pas de vaccins thérapeutiques réellement efficaces contre le cancer à ce stade, mais ils pourraient voir le jour », assure-t-il. « Les données récentes sont prometteuses. »
Derrière ces efforts pour concevoir de meilleurs adjuvants et nous protéger de la maladie se cache une idée simple : pour vaincre une affection, notre organisme doit produire juste ce qu'il faut d'inflammation pour combattre l'infection sans nous rendre extrêmement malades. Si notre système immunitaire est incapable de parvenir seul à cet équilibre, pourquoi ne pas créer des solutions qui l'aident à y parvenir ?
Comme le reconnaissent les spécialistes, les adjuvants du futur vont probablement évoluer au gré de notre compréhension des mécanismes de l'inflammation. À terme, ils pourraient nous aider à enrayer les maladies qui tourmentent l'humanité depuis bien trop longtemps : le VIH, le paludisme, les nouvelles souches de grippe ou de SARS-CoV-2… et celles qui émergeront entretemps.
« La recherche actuelle sur les vaccins est axée autour d'une seule et même question : comment produire la juste dose d'inflammation, au bon endroit, de façon à stimuler la réponse immunitaire sans occasionner de sentiment d'infection chez le patient ? » interroge Irvine. « Les adjuvants joueront probablement un rôle majeur dans le développement de vaccins pour certains des scénarios les plus complexes. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.