Force surhumaine, réaction combat-fuite : comment votre corps réagit en situation de stress extrême
Dans les situations comportant un péril pour la vie, le corps mobilise instantanément les fibres musculaires les plus grosses et les plus réactives, pour les rediriger sur la survie immédiate.
Les soldats du corps des marines des États-Unis (USMC) doivent pouvoir se porter les uns les autres si nécessaire. La caporale Gabrielle Green a l’un de ses compagnons d’armes sur les épaules, à Camp Lejeune (Caroline du Nord). La science montre qu’il existe plusieurs garde-fous qui empêchent les muscles d’être surchargés. En situation d’urgence, cependant, le cerveau passe outre ces garde-fous pour maximiser la puissance musculaire.
Un garçon de seize ans soulève une Volkswagen pour libérer un voisin immobilisé. Une mère repousse un ours polaire pour protéger ses enfants. Une fille fait basculer un tracteur qui s’était renversé sur son père. Ces prouesses sont rendues possibles par une décharge d’adrénaline et par un déblocage de systèmes corporels et de capacités musculaires qui ne sont pleinement accessibles qu’en situation de détresse intense.
Ces démonstrations de « force surhumaine » sont bel et bien réelles, mais le phénomène est difficile à étudier en laboratoire, car la reconstitution de telles situations pourrait s’avérer dangereuse pour les participants. À la place, les neuroscientifiques s’appuient sur ce que l’on sait sur la réaction combat-fuite du cerveau et du corps et sur les mécanismes rétroactifs du stress qui y sont associés et qui sous-tendent ces manifestations de force extrême.
Ces mêmes systèmes de réaction servaient à nos ancêtres lorsqu’ils rencontraient un tigre à dents de sabre et devaient choisir entre la confrontation et la fuite. Mais ces systèmes ont ainsi évolué que des mécanismes moins extrêmes sont déclenchés par les situations de la vie contemporaine : recevoir un texto troublant d’un proche, devoir freiner brusquement quand un animal traverse la route à toute vitesse ou devoir s’exprimer en public.
Dans chaque cas, « il s’agit de la même réaction de stress, mais celle-ci est aujourd’hui plus fréquemment activée dans des situations ne présentant pas de danger pour la vie », explique Marc Dingman, maître de conférences en santé biocomportementale à l’Université d’État de Pennsylvanie.
Ces mécanismes trouvent leur origine dans le système nerveux autonome, qui peut être envisagé comme un continuum, comme le suggère Andrew Huberman, célèbre chercheur et neuroscientifique de la Faculté de médecine de l’Université Stanford. « D’un côté de ce continuum, vous avez la panique absolue et les réactions physiologiques qui sont associées à cela, explique-t-il. Et de l’autre côté, vous avez le coma. »
Entre ces deux extrêmes existe une gamme de réponses biologiques au stress qui, pour certaines, sont familières ; par exemple, perdre l’appétit ou avoir du mal à s’endormir. D’autres réactions sont connues d’un cercle bien plus restreint d’initiés, le cercle de ceux qu’une force surhumaine a habité un instant.
COMPRENDRE LA FORCE SURHUMAINE ET LA RÉACTION COMBAT-FUITE
« Force surhumaine » est un terme que l’on emploie parfois pour décrire des « prouesses physiques se produisant dans des situations de stress intense qui dépassent largement les capacités que l’on attribuerait normalement à une personne et qui seraient impossible à reproduire dans des circonstances plus calmes », explique E. Paul Zehr, professeur de neurosciences sensorimotrices de l’Université de Victoria, au Canada.
Nous sommes susceptibles d’être sujets à ce phénomène lorsque nous nous trouvons en situation de danger extrême : passer à travers la glace d’un lac gelé, se faire attaquer par un humain ou par un animal, être piégé par un objet ou être confronté à une catastrophe humaine ou naturelle, par exemple.
« La même réaction peut également survenir lorsque l’on intervient pour protéger une autre personne en danger, donc cela ne concerne pas uniquement l’auto-protection », fait observer Massimo Testa, médecin du sport du Groupe médical Intermountain, dans l’Utah.
La recherche montre que dans de telles circonstances, des structures cérébrales complexes, des neurotransmetteurs et des systèmes corporels spécifiques entrent en action pour libérer un flot d’hormones qui permettront de mieux recruter la capacité musculaire et d’accroître le flux sanguin en direction des membres et des organes les plus indispensables pour faire face à l’urgence.
Pour aider encore davantage le corps à atteindre cet état de suractivation, l’énergie normalement utilisée dans d’autres systèmes du corps, comme celle allouée à la recherche et à la digestion de nourriture, à la gestion de la santé reproductive ou à la régulation de la température corporelle, est détournée pour être redirigée sur la survie immédiate.
« Tout organisme, humain ou autre, possède en substance trois réactions élémentaires face à un facteur de stress quelconque : rester en place, aller de l’avant ou reculer », indique Andrew Huberman. Si des ressources corporelles sont nécessaires pour n’importe laquelle de ces réactions, ce sont les options de combat et de fuite qui les mobilisent le plus et qui concentrent toute l’attention sur le même objectif.
« Dans cet état, la vitesse séquentielle de votre perception du temps augmente de manière spectaculaire et vous vous mettez à diviser le temps en micro-tranches et absorbez bien plus d’informations qu’en temps normal, et ce bien plus rapidement », explique Andrew Huberman.
En situation de stress aussi intense, nous sommes en outre susceptibles de mobiliser davantage nos muscles, de les activer bien plus qu’on ne le pourrait d’ordinaire. « Nous n’utilisons généralement qu’une fraction de la force et de la puissance maximale de nos muscles et il y en a généralement une bonne réserve qui demeure inexploitée », révèle Gordon Lynch, directeur du Centre de recherche musculaire de l’Université de Melbourne, en Australie.
Des études montrent qu’il existe plusieurs garde-fous sous-jacents qui empêchent spécifiquement les muscles d’être trop sollicités. Cependant, en situation d’urgence, explique-t-il, ces garde-fous peuvent « être outrepassés pour permettre le recrutement instantané des fibres musculaires les plus grosses et les plus réactives, celles sans qui il n’y aurait ni explosivité de la force, ni réalisation du vrai potentiel musculaire. »
LE RÔLE JOUÉ PAR LES HORMONES
Les réactions combat-fuite comme celles-ci trouvent leur origine dans l’amygdale, une structure cérébrale complexe « qui intègre vos expériences du point de vue de leur contenu émotionnel », ainsi que l’explique Donald Katz, psychologue et neuroscientifique spécialiste du comportement de l’Université Brandeis, dans le Massachussetts. Selon lui, lorsque cette structure est soumise à un facteur de stress, elle envoie un signal de détresse en direction de l’hypothalamus, une autre région du cerveau.
L’hypothalamus fait office de centre de commande pour le système nerveux autonome, un système qui se divise en deux parties : le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique.
Ces systèmes contrôlent plusieurs fonctions corporelles machinales telles que la performance cardiovasculaire et respiratoire et la constriction et la dilatation de vaisseaux sanguins et de petites voies respiratoires cruciales dans les poumons.
Lorsqu’une réaction de stress est activée dans l’hypothalamus, des neurotransmetteurs sont libérés par les neurones dans l’ensemble du corps et un signal est envoyé aux glandes surrénales, qui se situent sur les deux reins.
À partir de là, il se produit une sécrétion rapide de deux hormones, l’adrénaline (épinéphrine) et la noradrénaline (norépinéphrine).
Cette libération d’hormones « fait augmenter le rythme cardiaque et la tension artérielle, dilate les voies respiratoires afin de maximiser l’oxygénation et fait se contracter les vaisseaux sanguins, ce qui contribue à la redirection du sang vers des groupes musculaires importants, comme le cœur et les poumons », explique Holly Blake, professeure de médecine comportementale de la Faculté de médecine de l’Université de Nottingham, en Angleterre.
Les sensations liées au toucher, à la vue et à l’ouïe sont également exacerbées par la sécrétion de ces hormones (et d’autres) qui nous aident toutes à mieux traiter les changements soudains survenant au sein de notre environnement et à mieux à y faire face, et ce quelle que soit leur nature.
Particulièrement importante, l’adrénaline peut également réduire de manière passagère la sensation de douleur. « L’adrénaline peut influencer la perception de la douleur en inhibant les chemins de la signalisation de cette dernière », explique Mihail Zilbermint, médecin et directeur du programme hospitalier endocrinien de l’hôpital Johns-Hopkins. Elle y parvient en partie en interceptant et en bloquant les signaux de douleurs voyageant dans le cerveau et dans la moelle épinière. Sont également impliqués des torrents d’endorphines, dont on sait grâce à la science qu’elles agissent comme des analgésiques naturels.
C’est grâce à ces hormones que l’on peut surmener ou sursolliciter un muscle en situation de stress immense. « Les chemins empruntés par les boucles rétroactives de la douleur dans votre corps fonctionnent d’ordinaire de sorte à vous protéger, mais lorsque ces chemins s’inhibent, vous n’avez plus à vous soucier de vous déchirer un biceps ou de vous déloger une épaule, car vous êtes en fait en train d’essayer de vous défendre ou de défendre un proche face à un préjudice catastrophique », explique Andrew Huberman.
LES RÉACTIONS AU STRESS TOUCHENT TOUT LE MONDE
Les réactions extrêmes de type combat-fuite en situation de stress peuvent s’avérer bénéfiques, voire même cruciales s’il y a urgence, mais les hormones sécrétées dans ces contextes peuvent également l’être en plus petites quantités dans des circonstances plus ordinaires.
« Tout ce qui se produit dans ce système de réaction existe sur un continuum, donc une personne un petit peu stressée va en éprouver partiellement les effets, tandis qu’une personne en pleine panique va débloquer tous les effets de ce système », détaille Andrew Huberman.
Des recherches ont montré que la plupart d’entre nous sécrétons souvent des hormones du stress, comme le cortisol, l’adrénaline et la noradrénaline. « L’adrénaline est produite chaque fois qu’il y a du stress », explique Melissa Leber, médecin et directrice du Service d’urgence de médecine du sport du Système de santé Mount Sinai de New York. « Cela peut se produire lors d’une compétition ou d’une performance, à cause d’un test ou d’une présentation importants, lors d’une bagarre ou quand votre corps fait face à une maladie ou à une infection. »
Certaines personnes qui éprouvent déjà du stress plus souvent que les autres ont tendance à voir surgir des réactions de stress plus fréquemment, et souvent à des degrés plus importants.
Une personne occupant un emploi exigeant ou une personne qui manque régulièrement de sommeil est par exemple, ainsi que le formule Andrew Huberman, davantage susceptible d’être « fatiguée et d’être toute désignée au stress » qu’une personne qui n’est pas aux prises avec ces choses-là.
Inversement, plus haut dans le continuum, « les athlètes pratiquant l’endurance ou la force à des niveaux extrêmes activent davantage ce système de stress, et ce pour de plus longues périodes que n’en a l’habitude le commun des mortels », affirme E. Paul Zehr.
Quoiqu’il en soit, s’il est vraisemblable qu’un individu donné tire des avantages à court terme de la sécrétion d’hormones du stress, les conséquences à long terme d’une inondation fréquente de son système par ces hormones peuvent s’avérer préoccupantes. « Nous avons besoin de ces hormones pour faciliter les réponses physiologiques, mais en excès, elles peuvent causer notre ruine », prévient Gordon Lynch.
LES CONSÉQUENCES D’UN ÉPISODE DE STRESS EXTRÊME
Gordon Lynch explique que le stress chronique, associé à des sécrétions soutenues et élevées d’adrénaline, de noradrénaline et de cortisol, « peut laisser des séquelles sur les organes et les systèmes du corps et conduire à des issues physiologiques préjudiciables. » Tension artérielle élevée, troubles du sommeil, diabète, obésité et cardiopathies figurent notamment au rang des effets secondaires indésirables du stress chronique.
Le stress peut également affecter la région du cerveau où les souvenirs sont stockés. « Tandis que le stress affecte spectaculairement votre mémoire sur le court terme et en particulier dans les situations de combat-fuite, probablement parce que votre cerveau souhaite se souvenir de la façon d’éviter une telle situation à l’avenir, sur le long terme, le stress chronique peut grandement altérer votre mémoire », prévient Andrew Huberman.
De plus, l’extrémité du continuum de la réaction de stress, celle qui concerne la puissance surhumaine et le combat-fuite, peut conduire à des issues particulièrement préoccupantes.
« De par leur nature même, les cascades physiologiques qui conduisent à la manifestation d’une ‘puissance surhumaine’ abolissent les barrières de sécurité et peuvent donc être extraordinairement dangereuses, met en garde E. Paul Zehr. Si nous étions au maximum tout le temps, nous ne vivrions pas bien longtemps. »
Selon Holly Blake, même la sécrétion incidente d’une trop grande quantité d’adrénaline, comme lorsque le corps anticipe une menace qui ne manifeste jamais, « peut entraîner la survenue de symptômes tels que des vertiges, de l’insomnie, de la nervosité et de la fébrilité et, dans les cas les plus graves, faire des dégâts au niveau du cœur ».
Dans les cas où un traumatisme vient s’ajouter à l’expérience d’un extrême du continuum de réaction de stress, une personne risque de souffrir de troubles de stress post-traumatique (TSPT) et d’être affectée pendant longtemps.
Même sans diagnostic de TSPT, l’épreuve d’une vive réaction de stress peut être difficile à surmonter émotionnellement pour bon nombre de personnes. Andrew Huberman explique que les mécanismes de combat-fuite s’activent nécessairement très rapidement, « mais le désamorçage de ces réactions a tendance à prendre bien plus longtemps et certaines personnes continuent de ruminer ce qu’elles ont vécu pendant des heures, voire des jours. »
Ces personnes-là sont susceptibles d’avoir du mal à se concentrer, de voir leur appétit changer et d’avoir du mal à s’endormir le soir.
« Nous sommes humains, conclut Andrew Huberman. Et parfois, quand nous sommes stressés, nous ne pouvons pas empêcher [ces réactions]. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.