D'où viennent vraiment les frites ?
Belgique, France ou Espagne : où a-t-on commencé à préparer des pommes de terre en frites ?
Stefan Bohnenberg s’est fait connaître grâce à sa croix d’or, faite avec deux frites de pomme de terre. Appelée « Pommes d’or », cette paire de frites avait sa propre salle dans la galerie d'art Mosel & Tschechow, à Munich, où, selon l’artiste, elle était censée illustrer la métamorphose d’un objet profane du quotidien en œuvre d’art sacrée. En 2005, on a découvert que les frites originales de l’œuvre, qui faisaient partie intégrante de l’exposition, avaient mystérieusement disparu. Bonhenberger a intenté un procès et a reçu la somme de 2 000 euros, probablement la plus grosse somme jamais dépensée pour deux lamelles de pomme de terre. Voilà un moment fort de l’histoire de la frite.
D'aucuns soutiennent que les frites sont originaires de Belgique, où les villageois qui habitaient le long de la Meuse mangeaient traditionnellement du poisson frit. En hiver, lorsque la rivière gelait, les villageois, alors privés de poisson, le remplaçaient par des pommes de terre, qu’ils faisaient frire. On raconte que ce plat a été découvert par des soldats américains en Belgique pendant la Première Guerre mondiale et, la langue dominante du sud de la Belgique étant le français, ils ont baptisé ces savoureuses pommes de terre « French fries » (frites françaises).
PEU IMPORTE LEUR ORIGINE
Les frites pourraient aussi réellement être d'origine française, puisque l'on sait qu'elles étaient vendues sur le Pont Neuf à Paris dans les années 1780. Il se pourrait même qu'elles soient espagnoles, les Espagnols ayant été les premiers Européens à goûter aux pommes de terre d'Amérique du Sud.
Dans l'État d'Utah, on trempe ses frites dans un mélange de ketchup et de mayonnaise.
On date leur première mention écrite à 1533, quand Pedro Cieza de Leon, un conquistador adolescent devenu historien, qui a publié un mémoire de ses expériences intitulé « Chronique des Incas, ou le voyage de dix-sept ans de Pedro Cieza de Leon au puissant royaume du Pérou ».
Il y décrit la pomme de terre, l'un des principaux aliments des indigènes, comme « une sorte de noix de terre qui, une fois bouillie, devient aussi tendre que des châtaignes cuites ». Ramenées en Espagne, les pommes de terre incas auraient très bien pu être servies frites puisque faire frire sa nourriture dans l’huile fait partie des traditions culinaires espagnoles. Cependant, le résultat final n'aurait pas vraiment ressemblé à une frite car les premières pommes de terre étaient grumeleuses et pas plus grosses que des balles de golf.
On attribue généralement à Thomas Jefferson, qui était sûrement le premier gastronome américain, l'introduction de la frite aux États-Unis. Dans son cas, les frites étaient bel et bien françaises, Jefferson les ayant découvertes alors qu'il était ministre des États-Unis en France de 1784 à 1789. Jefferson a fait former son esclave James Hemings, frère de la célèbre Sally Hemings, comme chef cuisinier pendant son séjour en France. Environ 150 recettes qu'il a apprises à l'époque ont subsisté, certaines écrites de la main même de Jefferson, d'autres transcrites et transmises par ses petites-filles. Parmi ces recettes, on trouve des plats très appréciés des Américains comme la glace à la vanille, les macaronis au fromage, pour lesquels Jefferson a fait faire une « machine à macaronis » à Naples, et les pommes de terre frites, qui portaient le nom de « pommes de terre frites à cru en petites tranches » lorsque Jefferson les a goûtées à l’origine.
VOUS PRENDREZ DES FRITES AVEC CECI ?
On retrouve cette recette de frites dans le livre de cuisine et d’entretien ménager The Virginia House-Wife (1824) de Mary Randolph, belle-sœur de la fille de Jefferson. La recette nous indique que les « petits morceaux » n'avaient pas la forme de la frite que l’on connaît aujourd'hui, mais qu'ils étaient soit ronds et plats, soit en forme de spirale. Randolph recommandait de couper les pommes de terre « en les faisant tourner, comme on épluche un citron ».
Malgré l’enthousiasme de Jefferson, les frites ne semblent pas avoir été adoptées par le grand public avant les années 1870 et ne sont devenues vraiment populaires que dans les années 1900. Selon le linguiste Stuart Berg Flexner, elles ont été officiellement connues aux États-Unis sous le nom de « French fried potatoes » (pommes de terre frites françaises) jusqu'à la fin des années 1920. Le nom a ensuite été raccourci, d'abord en « French frieds », puis en « French fries », et enfin, dans les années 1960, en simples « fries ». Elles font désormais partie intégrante des habitudes culinaires des Etats-Unis.
Les pommes de terre nature sont sans aucun doute bien plus saines pour nous que les frites. Une pomme de terre de taille moyenne ne contient qu’environ 150 calories, pas de graisse et constitue une excellente source de glucides complexes, source majeure d'énergie pour l'organisme. Une portion équivalente de frites contient plus de 500 calories, dont plus de 30 % proviennent des graisses, et plus d'une dizaine d'additifs soigneusement calibrés pour les rendre appétissantes. Cela fonctionne, on a du mal à leur résister. Le Français moyen mange 18 kilos de frites par an, soit environ 150 grosses portions de frites McDonald's, et selon les sondages, la frite est le légume préféré des tout-petits.
LES FRITES DE LA LIBERTÉ
Partout dans le monde on consomme des frites, mais pas de la même façon. Si les Américains les mangent généralement avec du ketchup, les Français préfèrent la moutarde et les Britanniques le vinaigre. Les Japonais assaisonnent parfois leurs frites avec du curry vert ou de la sauce soja. Les Canadiens les servent sous forme de poutine, garnie de sauce et de fromage en grains, et les Malaisiens les mangent avec de la sauce chili. En Pennsylvanie, j’ai appris avec consternation il y a peu que si vous commandez une salade au poulet, elle sera accompagnée de frites et de fromage fondu.
Les Belges, qui revendiquent être les créateurs des frites telles que nous les connaissons, mangent les leurs avec de la mayonnaise. Il est presque certainement trop tard pour changer leur appellation américaine car les « French fries » sont désormais ancrées dans la langue anglaise comme ce qui pourrait être une erreur géographique, au même titre que d'autres maladresses linguistiques comme « amérindien » ou « dames chinoises ». À mon avis, c’est aux Belges que la gloire devrait revenir.
Ces derniers, qui ont demandé à l'UNESCO de faire de la frite un symbole officiel du patrimoine immatériel belge, mangent non seulement plus de frites que les Français, mais comptent également plus de vendeurs de frites (fritkots) par personne que n'importe quel autre pays au monde. Et si cela ne suffit pas à vous convaincre, le premier, et jusqu'à présent unique, musée de la Frite au monde se situe en Belgique.
Pendant quelques années honteuses, les Américains, du moins leurs représentants au Congrès, ont voulu remplacer le nom « French fries » au profit de « Freedom fries » (frites de la liberté), parfaitement patriotique. Ce nom a été inspiré par Bob Ney (représentant de l’Ohio) qui, dans le même esprit que les Américains chauvins qui surnommaient la choucroute allemande « Liberty cabbage » (chou de la liberté) pendant la Première Guerre mondiale, a supprimé le « French » des frites et du pain perdu (« French bread ») pour contester le refus de la France de soutenir l'invasion de l'Irak par l'Amérique. Un sondage Gallup a montré que 66 % des Américains trouvaient cette décision stupide, et les frites de la liberté sont doucement redevenues françaises en 2006.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.