Japon : des décennies de constructions anti-sismiques
Grâce à ses lois parasismiques et à sa culture de la prévoyance, fruits des enseignements tirés de précédentes catastrophes, le pays a la réputation d’être l’une des nations les mieux parées au désastre.
Cinq jours après un tremblement de terre majeur qui a frappé la côte ouest du Japon, la difficile recherche de rescapés se poursuit. Le séisme de magnitude 7,6 survenu au large de la péninsule de Noto a produit les secousses les plus puissantes que la région ait connues depuis des décennies et, en raison du risque de tsunami, près de 100 000 personnes ont reçu l’ordre d’évacuer. Alors que les évaluations des dégâts arrivent au compte-gouttes, on estime d’ores et déjà que des centaines de maisons auraient été détruites par le séisme et par les incendies qui s’en sont suivis. En outre, plus de 80 décès ont été confirmés à cette heure.
Selon la sismologue Lucy Jones, l’intensité du séisme et sa survenue au large des côtes auraient pu avoir des effets bien plus dévastateurs si le pays avait été moins préparé. Sur X, elle a loué « le sérieux des codes du bâtiment [du Japon] et leur bonne application ». Cela a selon elle permis que les dégâts soient « bien moindres que ce qu’ils auraient pu être ».
Le Japon est l’un des pays les plus actifs du monde sur le plan sismique. De par son emplacement à la frontière de quatre plaques tectoniques, les tremblements de terre ne sont pas affaire de « si », mais affaire de « quand ». Bien que les personnes qui marchent au-dessus d’elles ne s’en rendent bien souvent pas compte, les secousses sismiques surviennent quotidiennement dans ce pays qui, selon l’EarthScope Consortium, serait frappé par 1 500 séismes perceptibles chaque année. Étant donné ce risque, le Japon a intégré, dans le tissu physique et social de ses communautés, des façons de vivre avec les tremblements de terre.
S’ADAPTER AUX SÉISMES MAJEURS
Selon Keith Porter, ingénieur en chef de l’Institut canadien pour la réduction des pertes catastrophiques, c’est souvent à la dure que l’on finit par comprendre comment se préparer au mieux aux séismes importants, en tirant des enseignements de catastrophes passées. Au Japon, on a pour la première fois introduit des régulations sismiques dans les codes de construction en 1923 après qu’un séisme de magnitude 7,9 a tué plus de 140 000 personnes et réduit en poussière des centaines de milliers d’édifices. Ces premières régulations étaient axées sur le renforcement des nouveaux bâtiments construits dans les aires urbaines et accroissaient la surveillance de la construction des édifices en bois et en béton.
Le code sismique a subi un certain nombre de modifications importantes au cours du siècle qui s’est écoulé. Parmi les plus célèbres figurent la Loi sur les normes de construction de 1950 et l’Amendement sur les nouveaux bâtiments résistants aux séismes de 1981. En plus de fournir des détails de construction, ces lois ont imposé des attentes en ce qui concerne la manière dont les bâtiments sont censés se comporter durant les tremblements de terre. La loi de 1950 a créé une norme qui prévoit que les bâtiments doivent pouvoir supporter des séismes de magnitude 7 sans subir de graves dégâts. L’amendement de 1981 est un peu plus précis quant à la nature de ces dégâts, il indique que lorsqu’un séisme atteint une magnitude de 7, un bâtiment ne devrait subir que des dégâts mineurs tout en continuant de fonctionner normalement. Pour les tremblements plus puissants, la loi japonaise dit que le bâtiment ne devrait tout simplement pas s’effondrer.
Des personnes s’accroupissent lors d’un séisme aux studios Universal d’Osaka. La loi japonaise exige que les nouveaux bâtiments répondent à certains critères pour supporter les séismes ; le fait d’être paré aux catastrophes est un mode de vie au Japon.
Dit autrement, lorsqu’il s’agit de faire face à un séisme majeur comme celui survenu le premier jour de 2024, « le bâtiment est considéré comme une réussite s’il ne s’effondre pas et ne tue personne, même si les dégâts sont si vastes qu’ils ne peuvent être économiquement réparés », explique Keith Porter. Il ajoute que les standards de cette nature sont la norme en Amérique du Nord, où l’on met davantage l’accent sur le fait de sauver des vies que sur l’intégrité structurelle du bâtiment à long terme. Selon lui, si cela constitue une priorité claire, l’acceptation d’un certain niveau de dégâts peut toutefois conduire à des coûts plus élevés ainsi qu’à davantage de problèmes et de dégâts liés à l’entretien.
CONÇUS POUR TREMBLER
Il existe un certain nombre de techniques qui permettent d’atteindre ces normes au Japon. Le choix de celles que l’on utilise dépend souvent du type de bâtiment construit (gratte-ciel, maison individuelle…) et du budget disponible ainsi que d’autres considérations. Au niveau des fondations, les bâtiments sont renforcés à l’aide de poutres, de piliers et de murs plus larges pour mieux supporter les secousses.
Certaines techniques permettent également de découpler les bâtiments du mouvement d’un sol qui tremble. Une méthode populaire consiste à installer des tampons fabriqués à partir de matériaux absorbants comme le caoutchouc à la base d’un bâtiment afin d’atténuer le choc provoqué par le mouvement au sein de la structure même. Une autre approche, l’isolement bas, consiste non seulement à installer ces tampons à la base, mais également à construire la structure tout entière sur un épais rembourrage de sorte qu’une couche entière sépare l’édifice et la terre qui tremble.
Keith Porter fait observer que beaucoup de bâtiments japonais anciens, construits avec une ossature traditionnelle de poteaux et de poutres, « ont tendance à être particulièrement fragiles » et vulnérables aux séismes. Après un autre tremblement meurtrier en 1995, le Japon a entrepris de moderniser son architecture ancienne afin d’être plus résilient face aux séismes.
Bien entendu, rien de tout cela n’est infaillible. Des défis spécifiques se présentent selon l’emplacement d’un bâtiment, notamment si celui-ci se trouve en zone de liquéfaction, c’est-à-dire à un endroit où le sol peut finir par ne plus supporter du tout le poids de l’édifice. À cela il faut encore ajouter les conséquences secondaires qui suivent souvent un séisme important, comme la survenue d’incendies ou de dégâts liés à un tsunami.
Voilà pourquoi la sécurité des bâtiments ne constitue qu’une partie de l’approche japonaise de la résilience face aux tremblements de terre.
Des pompiers effectuent des recherches à Suzu, où un puissant tremblement de terre est survenu le jour de l’an.
Toshitaka Katada, professeur à l’Université de Tokyo, a confié à l’Associated Press croire qu’il n’y a « probablement aucun peuple sur Terre plus paré à la catastrophe que les Japonais » étant donné toutes les mesures de prévention considérées comme relevant de la routine dans le pays (les plans et exercices d’évacuation, par exemple). Les centres d’évacuation, souvent des écoles ou d’autres espaces communautaires, sont équipés de fournitures d’urgence et leurs résidents reçoivent l’instruction de disposer de fournitures d’urgence chez eux également. Le pays possède également un solide système d’alerte qui a été déclenché cette semaine, pendant le séisme, puis en prévision du risque de tsunami.
D’après James D. Goltz, professeur invité et chercheur à l’Institut de recherche sur la prévention des catastrophes de l’Université de Kyoto, il s’agit d’un autre exemple de la façon dont les leçons tirées de précédentes catastrophes ont contribué au façonnement de ce système d’urgence. Selon lui, après le séisme du Tohoku en 2011, tremblement de terre de magnitude 9 responsable d’un tsunami particulièrement meurtrier, on a mis « un réel accent sur l’éducation » et sur l’importance non seulement des « stratégies dures de limitation des risques » (améliorations structurelles des bâtiments), mais aussi des « stratégies douces » (amélioration des alertes et identification des endroits sûrs en cas de tsunami).
Koichi Kusunoki, professeur à l’Institut de recherche sur les tremblements de terre de l’Université de Tokyo, est déjà en train de réaliser des enquêtes de terrain avec ses collègues dans la péninsule de Noto. Celles-ci permettront de mieux comprendre les effets de cet important séisme. Ainsi que l’ont prouvé les catastrophes passées, ces recherches peuvent constituer un premier pas pour comprendre comment renforcer encore davantage la sécurité des habitants la prochaine fois que la terre se mettra à trembler.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.