La recette de la résurrection des espèces disparues
Ramener à la vie des espèces disparues n'est plus considéré comme de la science-fiction. Mais est-ce une bonne idée ?
Chaque carcasse de mammouth laineux tirée de la froideur du permafrost sibérien apporte avec elle de nouvelles spéculations sur la possibilité de faire revenir à la vie le géant de l'Âge de glace.
Les chercheurs ont désormais à leur disposition les outils qui leur permettraient de faire de cet espoir une réalité. En novembre dernier, une équipe menée par Teruhiko Wakayama, un biologiste de la reproduction basé à Kobe, au Japon, reportait qu'une souris clonée qui avait été congelée pendant 16 ans pourrait aider les scientifiques à utiliser les mêmes techniques pour cloner les espèces disparues et préservées par le permafrost. Quelques semaines plus tard, un groupe de l'université d'État de Pennsylvanie mené par Webb Miller et Stephan C. Schuster a publié 70 % du génome de mammouth laineux, donnant accès aux données les plus élémentaires nécessaires à la "fabrication" d'un mammouth.
« J'ai ri quand Steven Spielberg a déclaré que cloner des espèces disparues serait inévitable, » raconte Hendrik Poinar de l'université McMaster, qui fait autorité dans le domaine de la préservation de l'ADN et qui a été consultant scientifique pour le making of du film Jurassic Park. « Mais je n'en ris plus. Du moins pas pour les mammouths. Cela sera bientôt possible, il suffit de travailler aux derniers détails. »
Comme le souligne Hendrik Poinar, des détails manquent encore. Les deux étapes fondamentales pour le clonage d'un mammouth, ou de toute autre espèce disparue, nécessitent de retrouver un séquençage ADN complet - dans le cas des mammouths cela représenterait plus de 4,5 milliards de paires de chromosomes - et de reconstituer cet ADN en chair et en os. La publication du génome partiel du mammouth est un bon début mais les 30 % restants devront être reconstitués, et ce n'est pas chose facile après des siècles de dégradation. Les sources d'erreurs sont encore nombreuses. Les scientifiques devront ensuite "regrouper" cet ADN en paires chromosomiques, et pour le moment les scientifiques ne connaissent pas le nombre exact de chromosomes que possédaient les mammouths.
Pourtant aucune de ces tâches ne paraît insurmontable, au vu des récentes avancées scientifiques comme les séquenceurs nouvelle génération et une technique plus simple et peu coûteuse permettant de reconstituer un ADN à partir de poils de mammouths. « C'est une simple question de temps et d'argent, et plus de technologie, » explique Schuster.
Transformer ces données en un mammouth laineux sera sans doute plus complexe, malgré l'existence de descendants proches comme les éléphants d'Afrique et d'Asie. L'équipe de l'université d'État de Pennsylvanie est partie du génome de l'éléphant d'Afrique pour guider la reconstitution de l'ADN du mammouth dont ils ont prélevé des poils. Cet ancien ADN étant trop fragmenté pour recréer un organisme, il sera sans doute plus simple de modifier les chromosomes connus d'éléphants et d'agir sur les 400 000 éléments qui les séparent de leurs ancêtres laineux. Si les chercheurs parviennent à déterminer comment était séquencé l'ADN du mammouth, une autre stratégie serait de synthétiser le génome complet. Mais cette seconde option paraît moins probable : à ce jour seul 1/1000e de l'ADN d'un mammouth a pu être synthétisé.
Une fois que les scientifiques auront ces paires de chromosomes à disposition, ils pourront recréer des noyaux cellulaires artificiels. Ils pourront ensuite suivre l'approche qui avait été utilisée pour cloner la chèvre Dolly en 1996 : utiliser les noyaux cellulaires d'un ovule d'éléphante et les remplacer pour donner vie à un mammouth, stimulant électriquement l'ovule pour la division cellulaire initiale en un embryon. L'embryon pourra ensuite être replacé dans le ventre de l'éléphante pour la gestation.
Chacune de ces étapes comporte nombre d'incertitudes. À ce jour personne ne sait, par exemple, reconstituer un noyau cellulaire de mammouth. Récolter un ovule d'éléphant est difficile, et mener un fœtus de mammouth à terme dans le ventre d'une éléphante comporte des risques.
Certains scientifiques visent un défi moins insurmontable : cloner des espèces en danger ou récemment disparues. Le zoo de San Diego et le Centre Audubon pour la recherche des Espèces Menacées à la Nouvelle Orléans conservent les animaux dans un "zoo de glace" où le séquençage ADN d'un nombre croissant d'espèces menacées est consigné dans du nitrogène à -160°C. En 2003, les scientifiques de l'unité de biologie avancée a utilisé des cellules stockées à San Diego pour créer deux bantengs (Bos javanicus), un bœuf sauvage relativement petit vivant principalement en Asie du Sud-Est continentale. Pour ce faire, ils avaient modifié l'ADN d'un ovule de vache avec l'ADN de banteng avant de replacer l'embryon dans le ventre de la vache.
Des discussions sont menées pour cloner des pandas, des bongos (Tragelaphus eurycerus) ou des tigres de Sumatra, tous trois menacés d'extinction. Les scientifiques espèrent également pouvoir recréer les espèces disparues comme les bouquetins des Pyrénées ou le tigre de Tasmanie (Thylacinus cynocephalus).
Les points les plus controversés ne portent pas tant sur les questions techniques qu'éthiques. « Les mammouths, comme les éléphants, étaient doués d'intelligence et étaient très sociables, » explique Adrian Lister, paléontologue et spécialiste des mammouths au Muséum d'Histoire naturelle de Londres. « Le clonage donnera vie à un animal seul, qui passera son existence dans un parc, dans un zoo, ou un laboratoire. Pas dans son habitat naturel puisque celui-ci n'existe plus. Vous créez de fait une curiosité, pas un animal. »
Tom Gilbert, expert en ADN ancien à l'université de Copenhague qui défend l'hypothèse de séquencer un ADN de mammouth à partir de poils mis au jour, admet qu'il sera le premier curieux. Mais il questionne l'utilité et l'éthique du clonage des espèces disparues. « Si vous pouvez recréer un mammouth, vous pouvez recréer tout ce qui a vécu et n'est plus, y compris votre grand-mère. Mais dans un monde qui se réchauffe et qui dont les ressources sont limitées, ramener votre grand-mère à la vie est-il réellement souhaitable ? »