La Terre a perdu et gagné des océans au fil des millénaires

Les plaques tectoniques de notre planète sont en mouvement perpétuel. Elles ne se chargent pas seulement de soulever des montagnes et de creuser des vallées, elles ouvrent et ferment aussi les océans par cycles.

De Maya Wei-Haas
Oceans

Un plongeur nage près de l’île Espíritu Santo située dans le golfe de Californie. Cette masse d’eau en expansion s’est formée il y a tout juste 10 millions d’années, lorsque les mouvements tectoniques ont séparé la Basse-Californie de ce qui est aujourd’hui le Mexique.

PHOTOGRAPHIE DE Thomas P. Peschak, Nat Geo Image Collection

Dans une salle sombre du musée américain d’histoire naturelle à New York, un mur de pierres à l’allure plutôt ordinaire s’étend presque jusqu’au plafond. Au premier abord, on aurait pu croire qu’il s’agissait d’une dalle destinée à un îlot ou un comptoir de cuisine. Le noir, le blanc et le rose des roches se mélangent dans des bandes minérales qui se prolongent bien au-delà de ma tête. Soudain, la lumière change. Du blanc, elle passe au noir, et cette roche de 10 tonnes s’illumine maintenant d’orange et de vert fluorescents.

« On ne peut pas s’empêcher de rester bouche bée », assure George Harlow, le conservateur de la section Mignone Halls of Gems and Minerals du musée, où les roches sont exposées.

L’éclat stupéfiant de ces minéraux témoigne de leur unicité. Ils se sont formés au fond d’un océan disparu il y a 1,2 milliard d’années. À cette époque, les formes de vie les plus répandues étaient des algues plus petites qu’un grain de riz. Au sein de cet océan ancestral, des particules riches en métal jaillissaient des cheminées hydrothermales et se déposaient sur le plancher océanique par couches. De fait, elles ont créé un mélange d’éléments qui aujourd’hui sont bioluminescents lorsqu’ils sont exposés à la lumière ultraviolette.

Ces roches nous rappellent combien nos océans ont changé ces derniers milliards d’années, influencés par le réseau de plaques tectoniques de la planète, sans cesse en mouvement. Ces déplacements peuvent entraîner des réactions en chaîne sur les systèmes géologiques, atmosphériques et biologiques. Ils influencent tant la diversité des minéraux de la Terre que la trajectoire des courants océaniques ou encore les flux atmosphériques. Tous ces éléments influencent à leur tour la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Sterling Hill Fluorescent Rock Panel

Ce mur de roches fluorescentes, en provenance d’Ogdensburg, dans le New Jersey, représente une partie d’un océan aujourd’hui disparu qui existait il y a environ 1,2 milliard d’années.

PHOTOGRAPHIE DE D. Finnin, © AMNH

« Les changements dans l’ensemble du système terrestre qui surviennent dans ce cadre de géographie en constante évolution sont profonds », déclare Shanan Peters, géoscientifique à l’université du Wisconsin à Madison, spécialisé dans la coévolution de la vie et des systèmes terrestres.

Les dalles de plancher océanique préservées comme celle exposée dans ce musée, couplées avec une multitude d’autres indices géologiques, aident les scientifiques à retracer l’histoire complexe des océans perdus dans le temps : le Iapetus, le Rhéique, le Téthys, la Panthalassa, l’Oural et bien d’autres. À l’instar de ces masses d’eau ancestrales, nos océans actuels finiront eux aussi par se fermer et d’autres se formeront de nouveau.

Comme le dit si bien M. Harlow : « Les choses ne se sont jamais arrêtées. »

 

DES INDICES GRAVÉS DANS LE PLANCHER OCÉANIQUE

Les plaques tectoniques de notre planète sont en mouvement perpétuel. Elles ne se chargent pas seulement de soulever des montagnes et de creuser des vallées, elles ouvrent et ferment les océans par cycles, « presque comme un accordéon », explique Andrew Merdith, modélisateur de la tectonique à l’université de Leeds.

Ce mouvement est en partie induit par les zones de subduction, lorsqu’une plaque plonge sous une autre. Ce phénomène permet de recycler le plancher océanique situé dans les entrailles de notre planète et de remonter les terres situées en dessous, réduisant ainsi l’espacement entre les continents.

Par exemple, la dalle de roche du musée américain d’histoire naturelle provient d’Ogdensburg, dans le New Jersey. Elle a été préservée lors d’une ancienne collision entre le prédécesseur de l’Amérique du Nord et un autre continent ancestral. La rencontre des deux continents a fait disparaître l’océan qui se situait entre ces deux masses terrestres. Les sédiments du plancher océanique ont chauffé à de très hautes températures et se sont incrustés dans la roche actuelle sous l’effet de la pression.

Toutefois, les quelques morceaux de plancher océanique préservés sur de la terre ferme, tels que les roches du New Jersey ou encore une portion du manteau terrestre exposée dans le Maryland, ne peuvent fournir que peu d’indices sur les mouvements des océans dans le temps. Pour mieux les comprendre, certains scientifiques se sont penchés vers des enregistrements gravés dans le plancher océanique : les minéraux magnétiques.

Les plaques océaniques se forment le long de la plus longue chaîne de montagnes sous-marine du monde : la dorsale. Elle s’étend sur plus de 65 000 km et marque le lieu où les plaques tectoniques se séparent. De la roche en fusion en provenance du manteau remonte alors pour combler le manque. À mesure qu’elle refroidit, certains de ses minéraux s’alignent avec le champ magnétique terrestre. Ainsi, ce phénomène donne naissance à une sorte de code-barre géologique le long du plancher océanique, dans lequel s’ajoute une nouvelle ligne chaque fois que le champ subit des changements. Les scientifiques se servent de ces codes-barres pour suivre l’évolution des mouvements de nos océans.

 

DES VESTIGES DU PASSÉ DES OCÉANS

Toutefois, l’enregistrement magnétique n’est pas parfait. « Plus nous remontons dans le temps, moins nous trouvons de roches océaniques à analyser », explique Grace Shephard, géophysicienne et experte des reconstructions des plaques tectoniques à l’université d’Oslo. À l’exception d’une petite portion de roche située sous la Méditerranée, qui atteint remarquablement les 340 millions d’années, la plupart des fonds marins datent tout juste de 100 millions d’années. La majorité d’entre eux ont moins de 200 millions d’années.

Néanmoins, les scientifiques ont trouvé le moyen d’identifier quels planchers des océans aujourd’hui disparus auraient sombré dans le manteau de la Terre. Ils se cacheraient désormais dans ce que l’on pourrait surnommer un cimetière océanique.

Pour ce faire, il faut analyser la vitesse des ondes sismiques des tremblements de terre qui frappent notre planète. Les portions des anciens planchers océaniques peuvent rester relativement froides pendant 250 millions d’années. Les signaux sismiques sont différents lorsqu’ils traversent des dalles froides par rapport aux entrailles bouillantes de la Terre.

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    « Il y a toujours eu une boîte noire sous nos pieds », affirme Douwe van Hinsbergen, spécialiste des plaques tectoniques à l’université d’Utrecht aux Pays-Bas. Aujourd’hui, ces analyses sismiques permettent aux scientifiques d’étudier ces dalles ancestrales et de remonter l’horloge géologique. Elles permettent de démystifier les forces souterraines qui régissent notre monde. Ces vestiges fantomatiques du plancher océanique se cachent sous la quasi-totalité des continents. M. Hinsbergen et ses collègues en ont catalogué près d’un millier dans leur Atlas of the Underworld (Atlas du monde sous-terrain).

    Parmi les portions les plus anciennes, certaines atteignent les 250 millions d’années. Ces plaques océaniques ancestrales se trouvent désormais à la frontière entre le manteau et le noyau de notre planète. Elles faisaient partie du Paléotéthys, un océan disparu qui s’est échoué sur les côtes du Gondwana, un supercontinent principalement composé de l'Amérique du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Arabie, l’Australie et l’Antarctique modernes.

    Assemblés, ces morceaux de plancher disparu, ces codes-barres magnétiques et une multitude d’autres indices géologiques ont permis à une équipe de chercheurs d’élaborer une remarquable reconstruction de notre planète il y a un milliard d’années.

    M. Meredith, l’un des modélisateurs, souligne qu’il ne s’agit pas de la version définitive des prémices de notre planète. Elle pourrait continuer d’évoluer en fonction des nouvelles données apportées. Lancer la vidéo de ce ballet entre les continents et les océans illustre la nature hypnotique de la surface protéiforme de notre planète.

    « Tout cela fait partie du puzzle planétaire », s’exclame Mme Shephard.

     

    DES MODIFICATIONS DANS LES HABITATS TERRESTRES

    Lorsque les océans s’ouvrent et se ferment et que les continents dérivent, l’évolution environnementale induit des transformations dans le cours de la vie. Par exemple, la formation d’un nouvel océan peut être une véritable bénédiction pour la biodiversité, comme démontré par une étude de M. Peters et ses collègues sur la séparation de la Pangée.

    La Pangée abritait les groupes ancestraux des principales créatures terrestres modernes. Après la séparation du continent en plusieurs morceaux, les animaux terrestres ont évolué en termes de couleur, taille et mode de vie sur leurs parcelles respectives. Les nouvelles voies de circulation océaniques ont également apporté de l’humidité à l’intérieur des continents, gorgeant d’eau les ceintures auparavant desséchées. Pendant ce temps, de nouvelles étendues d’eaux peu profondes et ensoleillées se sont ouvertes le long des nouveaux plateaux continentaux, où la vie marine a pu prospérer.

    « Les côtes de ces plateaux sont une aubaine pour les palourdes, les poissons ou les autres espèces de ce genre », explique M. Peters. La fracture de la Pangée a permis à la vie sur Terre de prospérer.

    Même des mouvements tectoniques minimes peuvent engendrer des impacts majeurs à la surface. Un exemple particulièrement surprenant est la formation de l’isthme de Panama, une bande de terres qui relie l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Il y a environ 20 millions d’années, l’eau coulait de l’Atlantique au Pacifique par cette artère océanique. Mais à mesure que la plaque pacifique plongeait sous la plaque caraïbe, le plancher océanique se soulevait et des volcans sous-marins remontaient à la surface.

    La connexion d’eau entre les deux océans a commencé à se rétrécir pour totalement disparaître. Ce changement a poussé les eaux chaudes vers le nord dans un courant désormais connu sous le nom de Gulf Stream. Les températures ont alors grimpé dans le nord-ouest de l’Europe. Cette région a donc pu profiter d’un climat doux, bien qu’elle se trouve aussi loin de l’Équateur que les régions glaciales du Canada.

    Cette nouvelle disposition a également ouvert la voie aux courants océaniques modernes, qui régissent les schémas de tempête, les flux de nutriments et bien plus encore. « La fermeture de l’isthme de Panama a eu des conséquences considérables », assure M. Peters.

     

    DES OCÉANS EN DEVENIR

    L’avenir de notre planète réserve bien d’autres bouleversements tectoniques qui changeront la face du monde. D’ici 250 millions d’années, les masses terrestres pourraient toutes converger une nouvelle fois pour former un nouveau supercontinent : La Pangée prochaine. Dans ce scénario hypothétique, élaboré par Christopher Scotese, directeur du PALEOMAP Projetc, l’océan Atlantique se refermera presque et ne formera plus qu’une petite mer intérieure.

    Cependant, l’avenir géologique demeure incertain. Il est possible que l’inverse se produise. L’océan Pacifique pourrait se refermer et former un supercontinent sur la face opposée du globe surnommé nouvelle Pangée. En outre, d’autres modèles suggèrent que certaines associations de changements pourraient induire la fermeture des océans Atlantique et Pacifique et en créer un nouveau en Asie.

    Quel que soit le scénario que l’avenir nous réserve, les mouvements tectoniques sont déjà en cours. Les scientifiques estiment que le prochain océan pourrait se former dans le rift est-africain. Cynthia Ebinger, géophysicienne à l’université Tulane, a conduit des recherches très poussées dans la région. Selon ses résultats, les panaches de roches en fusion qui s’élèvent là-bas engendrent petit à petit une séparation d’une bande de terre le long de la côte est du continent.

    Cette division a déjà des conséquences aujourd’hui, comme en atteste l’activité volcanique très virulente dans cette partie du globe. Récemment, l’éruption du Nyiragongo en République démocratique du Congo a forcé près de 400 000 personnes à fuir et au moins 32 personnes ont perdu la vie.

    Les impacts d’un autre volcan, situé sur les côtes de l’Érythrée, sont très différents. Il permet de maintenir la mer Rouge à distance, protégeant des inondations les zones du nord-est de l’Éthiopie qui se trouvent sous le niveau de la mer, explique Mme Ebinger. Un petit océan se situait autrefois dans la région. Bien que l’eau ait séché depuis, le déplacement des plaques terrestres pourrait un jour engendrer de nouvelles inondations.

    Certes, les mouvements tectoniques ont été un facteur clé du passé et le sont pour l’avenir géologique de notre planète. Seulement, une autre puissance perturbe aujourd’hui les processus terrestres : nous-mêmes. Les Hommes rejettent des gaz à effet de serre dans l’atmosphère à des niveaux sans précédent. La circulation océanique et atmosphérique se voit altérée, entraînant des conséquences mortelles. Les Hommes mélangent les écosystèmes à force d’importations et de voyages, à un niveau jamais atteint auparavant.

    « C’est un processus que la Terre n’a jamais vécu auparavant, jamais. Pas une fois », déplore M. Peters.

    À l’échelle géologique, l’ère des Hommes n’est qu’un petit sursaut dans le temps. Pourtant, nos actions laisseront sans l’ombre d’un doute des traces indélébiles sur le monde, en particulier sur la biosphère.

    « [Nos conséquences] ser[ont] présentes dans tous les organismes qui existeront dans le futur », assure Shanan Peters. « De la même manière que la Pangée existe dans presque tous les organismes présents sur Terre aujourd’hui ».

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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