Les Vikings nous ont-ils vraiment transmis la maladie de Dupuytren ?
Les origines de cette affection débilitante de la main seraient bien plus anciennes qu'on ne le pensait.
La maladie de Dupuytren déforme les doigts de manière permanente, comme dans l'exemple illustré ici.
Les hommes modernes ont probablement croisé les Néandertaliens en Europe il y a environ 45 000 ans - et ils se seraient même rapprochés. Environ 21 500 générations nous séparent de nos cousins homininés disparus, mais les Néandertaliens ont laissé derrière eux un sillage génétique de maladies dont des millions de personnes souffrent aujourd'hui, notamment une affection invalidante de la main, appelée maladie de Dupuytren.
Cette maladie se caractérise par une rétraction anormale d'un ou plusieurs doigts de la main ou par des boules ou rétraction de la plante des pieds se contractant progressiment, et déformant ces membres de manière permanente. Dans une étude publiée dans la revue Molecular Biology and Evolution, une équipe de chercheurs a révélé que deux variantes génétiques héritées des Néandertaliens figurent parmi les principaux facteurs de risque de développement de la maladie de Dupuytren.
LA FAUTE DES VIKINGS
Cette maladie invalidante était connue sous le nom de « maladie des Vikings » : le chirurgien John Hueston avait observé la forte prévalence d'Européens du Nord et de personnes d'origine nord-européenne parmi ses patients atteints de la maladie de Dupuytren et l'avait associée, à tort, aux invasions vikings à travers l'Europe. Le nom officiel de la maladie vient de Guillaume Dupuytren, qui a conçu et réalisé en 1831 la première opération visant à apaiser les symptômes de la maladie qui porte son nom.
La maladie de Dupuytren a tendance à être héréditaire, ce qui crée des poches géographiques de malades dans des pays comme la Norvège et le Royaume-Uni, où respectivement 30 % des hommes de plus de 60 ans et 20 % des personnes de plus de 65 ans sont atteints de la maladie. Alors que l'on pensait que cette prévalence géographique était due aux populations vikings qui s'étaient installées en Europe du Nord, la communauté scientifique a fini par identifier la maladie dans des régions où les Vikings n'ont probablement pas passé beaucoup de temps, comme l'Asie du Sud, et en a conclu que son origine n'était pas celle que l'on croyait.
Au-delà des étroites relations de nos ancêtres homininés avec les Néandertaliens, les autres facteurs de risque de la maladie de Dupuytren sont le fait d'être un homme, d'avoir plus de 50 ans, d'être diabétique, de fumer beaucoup ou de consommer régulièrement de l'alcool. La maladie est incurable, mais il existe des traitements tels que des injections et des interventions chirurgicales pour gérer les symptômes.
UNE QUÊTE GÉNÉTIQUE
L'équipe de chercheurs, dirigée par Hugo Zeberg du Karolinska Institutet en Suède et du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology en Allemagne, s'est lancée dans une quête génétique des origines de la maladie de Dupuytren, en analysant des centaines de milliers de données provenant de biobanques du Royaume-Uni, de Finlande et des États-Unis. Ils ont identifié soixante-et-une variantes génétiques liées à la maladie de Dupuytren, et non seulement trois de ces variantes génétiques provenaient de notre plus proche parent connu, l'homme de Néandertal, mais deux d'entre elles étaient considérées comme les facteurs de risque les plus importants.
Ces résultats expliquent également pourquoi la prévalence de la maladie est si élevée aujourd'hui parmi les Européens du Nord et leurs descendants : des altérations génétiques dans cette population spécifique peuvent accroître les chances d'un individu de développer la maladie de Dupuytren.
UN FACTEUR DE RISQUE MAJEUR
Les génomes humains modernes contiennent des ensembles de variantes d'ADN similaires à celles trouvées chez les Néandertaliens, et ce pour deux raisons : ils ont probablement hérité de ces variantes génétiques d'un ancêtre très ancien communs aux Néandertaliens et aux Homo sapiens, ou parce que les humains modernes se sont mêlés aux Néandertaliens lorsqu'ils se sont rencontrés il y a moins de 100 000 ans.
Et ce n'est pas la première fois que des variantes génétiques néandertaliennes sont identifiées comme un facteur de risque considérable pour une maladie : en 2020, Hugo Zeberg a cosigné une étude novatrice parue dans la revue Nature, identifiant un fragment d'ADN néandertalien qui augmentait le risque d'une nouvelle maladie balayant les populations du monde entier.
« Ce qui est surprenant dans l'étude sur la maladie de Dupuytren, ce sont les associations très fortes » explique Hugo Zeberg. « Nous n'avons observé ce type d'association avec l'ascendance néandertalienne que pour le principal facteur de risque génétique de la maladie de Dupuytren. »
Une étude antérieure parue dans Science a mis au jour des associations entre les génomes des Néandertaliens et des humains modernes qui présentaient toute une série de problèmes de santé, notamment l'hypercholestérolémie, la schizophrénie, la polyarthrite rhumatoïde et les troubles de l'alimentation.
L'équipe de Zeberg prévoit ensuite d'étudier quelle part l'ADN d'un autre cousin homininé, les Dénisoviens, a pris dans la construction de notre patrimoine génétique moderne.
« Dans une perspective plus large, ces découvertes nous renseignent sur l'histoire de l'Homme », assure M. Zeberg. « Les événements qui se sont produits dans le passé ont des implications très actuelles. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.