COVID-19 : je suis enceinte, dois-je me faire vacciner ?

Alors que les femmes enceintes hésitent à se faire vacciner en l'absence de données cliniques relatives à la grossesse, les experts recommandent d'évaluer individuellement les risques et les bienfaits de la vaccination.

De Amy McKeever
Publication 9 févr. 2021, 14:54 CET
Traditionnellement exclues des essais cliniques, les femmes enceintes manquent souvent de données sur l'innocuité des vaccins ...

Traditionnellement exclues des essais cliniques, les femmes enceintes manquent souvent de données sur l'innocuité des vaccins ou des médicaments. Dans le cas du vaccin contre la COVID-19, les données récoltées par les scientifiques sur les campagnes de vaccination passées pourraient aiguiller leur prise de décision.

PHOTOGRAPHIE DE GETTY IMAGES

Chez les femmes enceintes, le déploiement des vaccins contre la COVID-19 soulève une question angoissante : est-il plus sûr de se faire vacciner ou de risquer l'infection ? Malgré l'émergence de preuves attestant de l'efficacité et de la sécurité des vaccins dans la population générale, il n'existe quasiment aucune donnée concernant les femmes qui attendent un enfant alors même qu'elles encourent un risque accru de complications des suites de la maladie.

Vaccins contre la COVID-19 et grossesse ont pu donner lieu à des déclarations sensiblement différentes de la part des diverses agences de réglementation. Début janvier, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis indiquaient que les vaccins seraient accessibles aux femmes enceintes, mais que la décision finale reviendrait aux futures mères et à leur médecin. Quant à l'Organisation mondiale de la santé, elle recommandait récemment aux femmes enceintes de ne pas recevoir le vaccin à moins d'être particulièrement vulnérables à la COVID-19.

Mais alors, en l'absence de données sur l'innocuité des vaccins, comment une femme enceinte peut-elle prendre une décision éclairée ? « Il faut revenir au cas par cas, » indique Ruth Faden, fondatrice du Johns Hopkins Berman Institute of Bioethics dans le Maryland. Chaque personne doit mesurer ses propres risques d'infection par rapport à ce que nous savons actuellement du vaccin.

Bien que les experts préconisent de consulter un professionnel de la santé pour évoquer ces décisions, voici un aperçu des données disponibles, de celles qui prêtent encore à débat et des raisons qui incitent à un certain optimisme.

 

CE QUE NOUS SAVONS

Les scientifiques disposent de vastes connaissances sur les vaccins et la grossesse, même si, historiquement, ces informations ont mis plus de temps à émerger que les données générales sur l'innocuité des vaccins. Compte tenu des complexités éthiques de la grossesse, pendant laquelle la mère et son fœtus font face à des risques interconnectés, et des craintes de responsabilité légale, les femmes enceintes sont généralement exclues des essais cliniques randomisés nécessaires à l'approbation d'un médicament ou d'un vaccin.

Comprendre : La grossesse

Dans le passé, il fallait attendre plusieurs années après l'homologation d'un vaccin pour une utilisation générale avant de récolter suffisamment de données sur leur fonctionnement pendant la grossesse. La plupart de ces études de suivi restent observationnelles et impliquent peu de participants. Par conséquent, les femmes enceintes hésitent parfois à se faire vacciner et les médecins ont plutôt tendance à ne pas le leur recommander.

« Le résultat ? Ce sont des dizaines d'années d'injustice envers les femmes enceintes, » déclare Faden, investigatrice en chef du projet PREVENT, Pregnancy Research Ethics for Vaccines, Epidemics, and New Technologies, une initiative visant à intégrer les femmes enceintes et leurs enfants aux efforts de la recherche médicale. Même si, parfois, il peut être justifié de ne pas inclure les futurs parents aux premiers essais cliniques, explique-t-elle, « nous avons eu tendance à surprotéger les femmes enceintes. »

Pourtant, les scientifiques ont accumulé des preuves incontestables démontrant que les vaccins sont sûrs, efficaces et dans certains cas, absolument nécessaires. Aujourd'hui, les femmes enceintes sont vivement encouragées à se faire vacciner contre la grippe, une maladie connue pour ses complications graves chez la femme enceinte. Les professionnels de santé recommandent également le vaccin contre la coqueluche, une maladie potentiellement mortelle pour les nouveau-nés. Les futurs parents peuvent aussi être immunisés contre une poignée d'autres maladies, notamment l'hépatite et la méningite.

Les leçons tirées de ces vaccins ont montré qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter des injections qui utilisent un virus inactivé pour déclencher une réaction immunitaire, puisqu'ils ne peuvent infecter ni le parent, ni l'enfant, indique Geeta Swamy, professeure d'obstétrique et de gynécologie à l'école de médecine de l'université Duke en Caroline du Nord et chercheuse de premier plan dans le domaine de l'immunisation maternelle.

D'un autre côté, les vaccins utilisant une petite quantité de virus vivant, comme ceux contre la rougeole, les oreillons, la rubéole et la varicelle, peuvent provoquer des infections mineures qui pourraient nuire au fœtus, comme le craignent certains scientifiques. Cependant, reprend Swamy, « ces craintes s'appuient uniquement sur des risques théoriques » et non pas sur des preuves empiriques.

 

EN QUOI LES VACCINS CONTRE LA COVID-19 SONT-ILS DIFFÉRENTS ?

Les vaccins contre la COVID-19 mis au point par Moderna et Pfizer-BioNTech posent un nouveau défi. Jusqu'à présent, la technologie de l'ARN messager qu'ils utilisent n'avait pas été homologuée pour un usage chez l'Homme. Ainsi, les données actuellement disponibles liées à la grossesse proviennent soit d'études précliniques en laboratoire sur des animaux, soit des quelques participantes aux essais cliniques ayant découvert plus tard qu'elles étaient enceintes.

Cela dit, nous savons comment fonctionnent les vaccins à ARNm. Au lieu d'utiliser un virus inactivé ou vivant, ces vaccins contiennent des extraits de code génétique encapsulés dans des lipides, ou globules gras, qui empêchent la dégradation du code. Une fois injecté, l'ARNm apprend à nos cellules à produire la protéine Spike (S) du SARS-CoV-2, ce qui déclenche la réaction immunitaire de l'organisme.

Théoriquement, ce processus est prometteur, car à l'instar de précédents vaccins, il n'utilise pas de virus vivant. « L'ensemble des caractéristiques biologiques des vaccins à ARNm est incroyablement rassurant, » déclare Faden. « Ils ne devraient avoir aucun impact sur le déroulement de la grossesse et son issue. »

Le conseiller médical en chef de la Maison blanche, Anthony Fauci, a par ailleurs indiqué que les données ne présentaient « aucun signe d'alerte à ce jour » pour les femmes enceintes.

Les scientifiques s'interrogent tout de même sur le fonctionnement concret des vaccins à ARNm. Leur plus grande préoccupation concerne la possibilité pour l'ARNm de traverser le placenta et d'entraîner la production de protéine S chez le fœtus. Le cas échéant, cela ne serait pas nécessairement néfaste et il n'y aurait pas d'anomalies congénitales, mais le fœtus pourrait subir des effets indésirables tels que des douleurs, des gonflements et de la fièvre. Swamy indique que les études menées sur les animaux ne montrent aucun signe d'effets indésirables physiques, mais cela doit encore être testé chez l'Homme.

Les effets indésirables chez la mère peuvent également poser problème. Spécialiste en épidémiologie périnatale de l'université de Californie à San Diego, Christina Chambers conduit actuellement une étude sur les femmes enceintes vaccinées contre la COVID-19. Ce qui peut être dangereux pour l'enfant, ce sont par exemple les fortes fièvres chez la mère, indique-t-elle. « Si cet effet indésirable se présentait, il faudrait y être attentif et consulter un médecin pour obtenir un traitement visant à réduire la fièvre, » explique-t-elle.

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    Des essais cliniques sont en cours pour étudier les effets des vaccins sur les femmes enceintes. 

    « On se sentait un peu comme une paire de tambours solitaires à s'agiter désespérément au milieu d'un vaste silence, » illustre Faden. « Désormais, nous avons toute une section de percussions qui appelle à plus de données et d'inclusion des femmes enceintes dans le déploiement des vaccins. Et c'est une très bonne chose. »

     

    LES RISQUES

    D'un autre côté, nous avons tout à fait conscience des risques de la COVID-19 pour les femmes enceintes. « Il ne fait aucun doute que les femmes enceintes sont bien plus vulnérables que la population générale, » assure Swamy.

    Des études ont montré que les femmes enceintes atteintes de la COVID-19 couraient un plus grand risque d'hospitalisation, d'admission en unité de soins intensifs et de ventilation mécanique. En janvier, une étude publiée dans la revue JAMA Internal Medicine montrait que la COVID-19 était associée à un risque accru de problèmes de pression artérielle et de naissance prématurée, sans toutefois constater d'augmentation du risque de mortinatalité. Une autre étude parue en octobre indiquait qu'une femme enceinte sur quatre était susceptible de développer une forme longue de la COVID-19, dite « covid long », avec des symptômes persistant plusieurs semaines voire plusieurs mois.

    Cependant, le risque de maladie grave est plus faible pour les femmes enceintes que pour les autres groupes à haut risque, comme les personnes âgées ou celles atteintes d'une pathologie cardiaque. Il est donc primordial de s'attarder sur les facteurs individuels qui augmentent les risques propres à chaque personne, notamment le nombre quotidien de contacts, l'accès aux tests et à des équipements de protection individuelle de qualité ou encore les comorbidités comme l'asthme et l'obésité, puis de se demander ce qui peut être fait pour réduire ces risques.

    Le facteur temps est également à prendre à compte. D'après Swamy, il n'y a aucune preuve que le vaccin puisse causer des problèmes de développement ou des fausses-couches durant le premier trimestre de la grossesse. Cependant, les femmes dont le risque d'infection est faible peuvent choisir de ne pas se faire vacciner durant cette période qui est vitale pour le développement des organes du fœtus et pendant laquelle surviennent généralement les fausses-couches. Pour ce qui est du vaccin contre la grippe, il reste sûr à n'importe quel stade de la grossesse.

    Pour les femmes enceintes au risque d'exposition élevé sans possibilité de le réduire, il peut être raisonnable d'envisager une vaccination dès que les critères d'éligibilité le permettront. Mais pour en être sûr, indique Chambers, « l'urgence est de recueillir les données sur les personnes qui se font vacciner. »

     

    CE QU'IL RESTE À DÉMONTRER

    Il y a des raisons de penser que les scientifiques amélioreront bientôt leur compréhension du fonctionnement des vaccins contre la COVID-19 durant la grossesse. À court terme, les chercheurs attendent avec impatience les données sur les professionnelles de la santé enceintes dont la vaccination a commencé début décembre aux États-Unis. Faden affirme que ces données devraient être solides, puisque plus de 15 000 grossesses ont été signalées aux CDC parmi les personnes vaccinées en date du 20 janvier.

    Outre les vaccins à ARNm, des solutions alternatives sont sur le point de voir le jour. La société Johnson & Johnson a soumis sa demande d'approbation à la FDA le 4 février, alors que les compagnies AstraZeneca et Novavax ont récemment publié des données essentielles sur la troisième phase de leurs essais cliniques. Ces trois vaccins font appel à des technologies déjà étudiées chez la femme enceinte, ce qui selon Swamy devrait apporter de nouvelles assurances.

    Par ailleurs, de récentes études suggèrent que la vaccination pourrait s'avérer bénéfique lors de la grossesse. L'une d'entre elles, parue dans la revue JAMA Pediatrics, montre que les femmes qui ont contracté la COVID-19 transfèrent efficacement leurs anticorps protecteurs à l'enfant, notamment en cas d'infection à un stade précoce de la grossesse. Cette étude ne suggère pas que le transfert se produira également après la vaccination, précise Karen Puopolo, coauteure de l'étude et néonatologiste au Pennsylvania Hospital. Néanmoins, pour Swamy le fait que les anticorps traversent le placenta lors d'une infection naturelle est une bonne nouvelle ; et elle s'attend à ce que la vaccination induise une réaction similaire.

    « Cela suggère que la vaccination des femmes pourrait avoir un effet "deux pour le prix d'un" », illustre-t-elle, « le vaccin serait à la fois bénéfique pour la femme et les premières années de son enfant. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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