COVID-19 : pourquoi et à quelle vitesse les virus mutent-ils ?
Même si techniquement les virus ne sont pas vivants, ils mutent et évoluent comme le font les cellules vivantes, en produisant constamment de nouveaux variants.
Cette vue colorisée au microscope montre une cellule mourante (en bleu) infectée par le virus SARS-CoV-2 (en vert). À chaque réplication du virus dans la cellule, il a une chance de muter et parfois ces mutations deviennent des caractéristiques fixes dans la population virale.
Sans mutation génétique, pas d'êtres humains, pas d'êtres vivants ; ni mammifères, ni insectes, ni plantes, ni même bactéries.
Ces petites erreurs, commises chaque fois qu'un virus ou une cellule se réplique, sont la matière première de l'évolution. Les mutations engendrent des variations au sein d'une population, ce qui permet à la sélection naturelle d'amplifier les caractéristiques qui aident les créatures à s'épanouir : allonger le cou d'une girafe pour atteindre les hautes branches, donner l'apparence de fiente à une chenille pour qu'elle échappe à l'attention des oiseaux.
Cependant, en pleine pandémie, le terme « mutation » prend une tournure autrement plus inquiétante. Bien qu'ils ne soient techniquement pas vivants, les virus mutent et évoluent lorsqu'ils infectent les cellules d'un hôte et se répliquent. Les transformations ainsi apportées au code génétique du virus peuvent l'aider à passer plus facilement d'un humain à l'autre ou à échapper aux défenses de notre système immunitaire. À ce jour, les mutations du SARS-CoV-2 ont donné naissance à trois variants qui justifient, aux yeux des experts, de redoubler d'efforts pour freiner la propagation du coronavirus.
Cela dit, ces trois versions du virus ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan des variants du SARS-CoV-2 qui ont vu le jour depuis le début de la pandémie. « Nous sommes en train de créer des variants à tout va en raison du très grand nombre d'humains infectés par le SARS-CoV-2, » résume Siobain Duffy, biologiste spécialiste de l'évolution virale au sein de la Rutgers School of Environmental and Biological Sciences de New Brunswick, dans le New Jersey, aux États-Unis.
La plupart de ces variants ont depuis disparu. Mais alors, pourquoi certaines versions disparaissent-elles ? Et pourquoi le virus évolue-t-il en premier lieu ? Quels mécanismes tirent les ficelles de cette évolution ?
« Le virus change en raison de mécanismes biologiques fondamentaux, » explique Simon Anthony, virologue spécialiste des maladies infectieuses au sein de l'université de Californie à Davis. « Il faut plutôt se demander si ces changements ont de l'importance pour nous. »
FAUTE DE FRAPPE
Un virus prospère est un virus qui se réplique. Cependant, à elles seules, ces minuscules entités ne peuvent pas faire grand-chose. Un virus, c'est un brin de matériel génétique inséré dans une coquille de protéine, parfois recouvert d'une enveloppe externe. Pour se répliquer, ils doivent à tout prix trouver un hôte. Le virus se fixe alors sur les cellules de sa cible pour y injecter du matériel génétique qui pirate la machinerie cellulaire de l'hôte afin de produire une nouvelle génération de progéniture virale.
À chaque nouvelle copie, il y a un risque d'erreur, ou de mutation. Les mutations sont des fautes de frappe dans la chaîne de « lettres » qui constituent le code d'un brin d'ADN ou d'ARN.
La majorité des mutations nuisent au virus ou à la cellule en limitant la propagation d'une erreur au sein d'une population. Par exemple, comme nous l'explique Duffy, les mutations peuvent modifier les composantes de base des protéines encodées dans l'ADN ou l'ARN, ce qui altère la forme finale de la protéine et l'empêche de fonctionner normalement.
« Elle n'adopte plus la jolie forme en hélice alpha qu'elle est censée avoir, » dit-elle d'une structure secondaire courante des protéines. « Idem pour les feuillets bêta. »
Il existe également des mutations neutres, sans effet sur l'efficacité avec laquelle se reproduit un virus ou une cellule. De telles mutations se propagent de façon aléatoire, lorsqu'un virus porteur de ladite mutation s'immisce dans une population qui n'a été exposée à un aucun autre variant du virus. « C'est l'enfant unique du quartier, » illustre Anthony.
Enfin, quelques mutations triées sur le volet vont quant à elle se montrer utiles pour le virus ou la cellule. Ainsi, certains changements peuvent faciliter la transmission du virus d'un hôte à l'autre ou l'aider à surpasser les autres variants de la région. C'est ce qui s'est produit avec le variant B.1.1.7 du SARS-CoV-2 identifié au Royaume-Uni et désormais présent dans plusieurs dizaines de pays. D'après les scientifiques, ce variant serait environ 50 % plus transmissible que les formes précédentes du virus, ce qui lui confère un avantage sélectif.
RYTHME D'ÉVOLUTION
Les mutations peuvent se produire de manière aléatoire, mais le rythme auquel elles surviennent dépend du virus. Les enzymes qui copient les virus à ADN, appelées ADN polymérases, peuvent relire et corriger les erreurs commises lors de la réplication dans la chaîne de lettres génétiques, ce qui laisse peu de chances aux mutations à chaque nouvelle génération de copies.
En revanche, les virus à ARN comme le SARS-CoV-2 sont les joueurs invétérés du monde microscopique au casino de l'évolution. Les compétences de relecteur font généralement défaut à l'ARN polymérase responsable de la copie des gènes du virus à ARN, ce qui les rend particulièrement sujets à un taux de mutation élevé, jusqu'à un million de fois supérieur à celui des cellules à ADN de leurs hôtes.
Le taux de mutation des coronavirus est légèrement en deçà de la plupart des autres virus à ARN, car ils peuvent tout de même réaliser un semblant de relecture génétique. « Ce n'est toutefois pas assez pour empêcher l'accumulation des mutations, » déclare le virologue Louis Mansky, directeur de l'Institute for Molecular Virology de l'université du Minnesota. Il était donc inévitable de voir apparaître toute une série de variants du coronavirus au fil de son incontrôlable propagation à travers le monde.
Le véritable taux de mutation d'un virus reste cependant difficile à mesurer. « La plupart de ces mutations seront létales pour le virus et on ne les verra jamais dans la population virale qui ne cesse de grandir et d'évoluer, » explique Mansky.
Par contre, les analyses génétiques des personnes malades peuvent nous aider à établir le taux de fixation, une mesure de la fréquence à laquelle les mutations deviennent « fixes » au sein d'une population virale. Contrairement au taux de mutation, cette grandeur se mesure sur une période donnée. Plus un virus se propage, plus il aura d'occasions de se répliquer, plus son taux de fixation sera élevé et plus le virus évoluera.
En ce qui concerne le SARS-CoV-2, les scientifiques estiment qu'une mutation s'installe au sein de la population tous les 11 jours environ. Cela dit, ce processus ne suit pas toujours un rythme régulier.
En décembre 2020, le variant B.1.1.7 a attiré l'attention des scientifiques lorsque ses 23 mutations ont semblé surgir soudainement alors que le virus déferlait sur le comté du Kent, en Angleterre. À en croire les spéculations de certains scientifiques, un patient atteint d'une forme chronique de la maladie aurait offert un terrain favorable aux réplications et à la mutation du virus, sans oublier le recours à des thérapies utilisant du plasma de personnes convalescentes qui aurait pu forcer le virus à évoluer. Toutes les mutations n'étaient pas nécessairement utiles au virus, observe Duffy, mais certaines d'entre elles ont permis au variant de se propager plus rapidement.
UN MONDE DE VIRUS
Les mutations sont le moteur de l'évolution, mais ce n'est pas l'unique moyen pour un virus de changer au fil du temps. Certains virus, comme la grippe, font appel à d'autres stratégies pour étoffer leur diversité.
La grippe se compose de huit segments génétiques pouvant être réarrangés lorsque plusieurs virus infectent une seule cellule afin de se répliquer simultanément, un processus appelé réassortiment viral. Lorsque la nouvelle génération de virus est encapsulée dans son enveloppe de protéine, les segments d'ARN des virus parents peuvent être mélangés et réassortis comme de véritables Lego viraux. Ce processus peut entraîner un changement rapide de la fonction virale. Par exemple, le réassortiment de souches grippales circulant chez les porcs, les oiseaux et les humains a donné lieu en 2009 à la pandémie de grippe A (H1N1).
Contrairement à la grippe, les coronavirus ne possèdent pas la segmentation physique nécessaire au réassortiment viral. En revanche, ils peuvent subir certains changements fonctionnels à travers un processus appelé recombinaison, au cours duquel les segments d'un génome viral sont échangés par l'enzyme responsable de la réplication. À l'heure actuelle, les chercheurs s'affairent à déterminer la part attribuable à ce processus dans l'évolution du SARS-CoV-2.
La compréhension des dynamiques évolutives du SARS-CoV-2 est cruciale pour garantir que les traitements et les vaccins ne soient pas distancés par le virus. Pour le moment, les vaccins disponibles parviennent à empêcher efficacement les formes sévères de la maladie pour l'ensemble des variants viraux.
Par ailleurs, l'étude de l'évolution du SARS-CoV-2 pourrait apporter la réponse à une autre question fondamentale : d'où nous vient ce virus ? Alors que l'OMS vient tout juste de réaffirmer que l'hypothèse la plus probable restait la transmission depuis un animal, l'enquête menée par son équipe d'experts à Wuhan n'a toujours pas permis d'identifier un scénario précis. En comblant ces lacunes, nous pourrions apprendre à nous protéger à l'avenir.
« En tant que société, mondialement, il faut à tout prix éviter que cela se reproduise, » déclare Mansky.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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