Hémisphère gauche et hémisphère droit : comment fonctionne notre cerveau ?

Michael Gazzaniga, neuroscientifique de renom, dévoile l'origine de ses découvertes révolutionnaires et explique ce qui, selon lui, nous rend réellement humains.

De Simon Worrall
Publication 26 nov. 2024, 09:38 CET
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Michael Gazzaniga, auteur et neuroscientifique, a découvert avec ses collègues que l'hémisphère droit du cerveau, que l'on voit ci-dessus, fonctionne indépendamment de l'hémisphère gauche.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

Michael Gazzaniga était encore étudiant lorsqu’il a contribué à réaliser l’une des découvertes les plus fascinantes des neurosciences modernes : les deux hémisphères du cerveau ont non seulement des fonctions différentes, mais peuvent également fonctionner de manière indépendante l’une de l’autre, un phénomène étonnant connu sous le nom de syndrome du cerveau scindé.

Amateur de débats et de bon vin, Gazzaniga, désormais professeur de psychologie à l’Université de Californie à Santa Barbara, est un scientifique inhabituel, car sa vie et son travail s’étendent dans le domaine des lettres.

En 2015, depuis son domicile à Santa Barbara, l’auteur de l’ouvrage Tales From Both Sides of the Brain: A Life in Neuroscience nous a parlé des grandes découvertes liées à notre compréhension du cerveau, des raisons pour lesquelles un blastocyste de quatorze jours ne peut pas être considéré comme un être humain, et de sa rencontre avec Groucho Marx.

 

Vous êtes connu pour la découverte de ce que l’on appelle le « cerveau scindé ». Pouvez-vous nous rappeler la fonction des deux hémisphères du cerveau ?

Nous avons suivi un certain nombre de patients atteints d’épilepsie sévère. La chirurgie qu’ils ont subie pour contrôler cette maladie nous a permis d’étudier chaque moitié du cerveau séparément, sans l’influence de l’autre. C’est là que résidait la grande avancée. Jusqu’alors, la neurologie classique étudiait des patients qui présentaient des trous d’un côté de la tête à la suite d’un accident vasculaire cérébral, d’une tumeur, d’une lésion ou d’autres types de traumatismes. Les scientifiques savaient que l’hémisphère gauche était principalement le centre verbal et analytique du cerveau, tandis que l’hémisphère droit s’occupait de nombreuses fonctions non verbales.

Nous avons pu découvrir que l’hémisphère droit ne connaissait pas les fonctions de l’hémisphère gauche, et que l’hémisphère gauche n’avait pas accès aux informations de l’hémisphère droit. C’est de là qu’est née la métaphore du cerveau gauche et du cerveau droit. Cette idée fait partie de notre culture depuis longtemps et, bien sûr, elle a été reprise et étendue à l’excès. Un jour, je faisais du ski dans le Colorado, j’avais un peu de mal, et un homme est passé à côté de moi en criant : « Utilise ton cerveau droit ! » [Rires] Bien sûr, c’est un peu plus complexe que cela.

 

Votre parcours de scientifique a commencé par une révélation il y a [soixante ans], alors que vous étiez à Caltech [California Institute of Technology]. Racontez-nous cette histoire.

C’était une expérience merveilleuse. J’étais doctorant à Caltech, dans le laboratoire de Roger Sperry, et ils allaient étudier un patient dont le cerveau était sur le point d’être scindé. On m’a confié la tâche d’essayer de déterminer si ce phénomène aurait un impact sur son comportement. À cette époque, dix années de recherches efficaces avaient déjà permis de mettre au jour le syndrome du cerveau scindé chez des chats et des singes, mais personne ne pensait qu’il pourrait s’appliquer aux humains.

L’une des raisons de leur scepticisme découlait d’une série d’études menées sur des patients dans les années 1940 qui n’avaient rien montré de concluant après la coupure de leur corps calleux, les fibres nerveuses qui relient les deux hémisphères du cerveau. Le premier patient venu à Caltech devait donc nous donner une nouvelle occasion de nous pencher sur cette question. Personne ne pensait qu’il se passerait quoi que ce soit ; c’est pour cela qu’ils ont confié cette tâche à un modeste étudiant comme moi. 

Nous avons testé le patient avant l’opération, et tout fonctionnait bien. Si l’on mettait un objet dans une main, l’autre main le savait. Si l’on plaçait un objet dans un champ visuel, l’autre champ visuel le savait aussi. Après l’opération, nous lui avons fait repasser exactement la même série de tests, et surprise : le patient pouvait facilement nommer les objets placés dans sa main droite, qui se projetaient dans l’hémisphère gauche, le centre verbal. Cependant, lorsque l’on plaçait le même objet dans sa main gauche, le patient affirmait ne rien avoir dans la main. Le résultat était le même pour le champ visuel. Je n’en reviens toujours pas.

 

Vous écrivez que « les grands moments mémorables de la vie sont disséminés parmi les nombreuses journées de travail difficiles et souvent ennuyeuses ». Cette idée n’est pas vraiment en accord avec la culture américaine, dans laquelle la gratification immédiate est le mot d’ordre.

Presque toutes les professions se composent d’éléments ennuyeux, de travail terne et difficile. Il y a aussi des moments de grand plaisir, de découverte et d’épanouissement. Il serait faux de croire que, dans ma profession, la recherche scientifique, la vie se résume à une joyeuse fête permanente. En réalité, il y a beaucoup de travail acharné.

Un jour, Steve Allen, humoriste, est venu au Caltech. Il s’intéressait à ces sujets. « Ce travail doit être fascinant », m’a-t-il dit, ce à quoi j’ai répondu : « Oui, ça l’est, mais environ 90 % du temps, c’est juste difficile. » Il a reconnu la même chose pour sa profession et, bien sûr, c’est vrai pour chacun et chacune d’entre nous.

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    Vous avez côtoyé certains des scientifiques les plus célèbres de l’époque, comme Linus Pauling et Richard Feynman. Vous vous êtes également lié d’amitié avec un certain nombre de grands noms du monde des arts et du journalisme...

    Lorsque j’étais à Caltech, j’ai obtenu un poste de conseiller auprès des étudiants doctorants. Mon travail consistait notamment à gérer le centre des étudiants, et j’ai remarqué que l’institution n’invitait jamais d’orateurs conservateurs. William F. Buckley, Jr. se faisait un nom à l’époque, je l’ai donc invité à donner une conférence. C’était un très bon moment, et c’est ainsi qu’a commencé une amitié qui a duré cinquante ans.

    Plus tard, j’ai organisé une série de débats. J’ai loué le Hollywood Palladium et j’ai tenu un débat entre Steve Allen et Bill Buckley sur la politique étrangère de John F. Kennedy. Il s’est tenu dans un auditorium de 3 000 places, mais le soir de la représentation, seuls 200 billets avaient été vendus, ce qui m’a donné des sueurs froides. Finalement, 3 000 personnes se sont présentées.

    Le débat était très animé et Groucho Marx était assis au premier rang. Buckley l’a aperçu et a lancé : « Regardons les choses en face. La politique étrangère de John F. Kennedy pourrait tout aussi bien avoir été écrite par les Marx Brothers ! » À ce moment-là, Groucho s’est levé et est monté sur scène en agitant son chapeau. La salle était en délire !

    J’ai aussi été longtemps ami avec le psychologue Leon Festinger. C’est lui qui a découvert le concept de dissonance cognitive. Il était l’un des plus grands psychosociologues des États-Unis, un cow-boy très, très intelligent, et il adorait discuter. Il savait parler de tous les sujets : politique, sociologie, sciences, lettres. Il aurait pu donner un discours entier sur un pancake. [Rires]

    L’amour de la conversation et du discours m’a été inculqué très tôt et a fait partie intégrante de ma vie sociale par la suite. C’est ce que l’on veut voir chez soi, on veut que ses enfants y soient exposés. On veut avoir des conversations, et les avoir avec un large éventail de personnes, et non pas s’enfermer dans un point de vue unique de notre société. Buckley était conservateur. Allen était très libéral. Il était fascinant d’avoir des conversations avec eux.

     

    Dans un précédent ouvrage, The Ethical Brain: The Science of Our Moral Dilemmas, vous suggérez que le cerveau pourrait contenir un sens de l’éthique intégré à la naissance. 

    Bien que ce soit difficile à croire avec toutes les horreurs que nous observons dans l’actualité, il y a sept milliards d’êtres humains sur Terre et, dans l’ensemble, la plupart d’entre eux parviennent à s’entendre. Seul un tout petit pourcentage de la population se déchire et rend le monde difficile pour beaucoup d’autres personnes.

    Mais comment toutes ces interactions sociales fonctionnent-elles ? Existe-t-il des mécanismes intégrés relatifs à l’équité et l’égalité, la confiance et l’altruisme ? À toutes ces choses qui déterminent nos réactions sociales dans un monde social ? Selon moi, oui. Les domaines de la psychologie morale et de la neuropsychologie morale cherchent à découvrir, parmi ces mécanismes, lesquels sont intégrés dans notre ADN. Nous commençons tout juste à mettre au jour une grande partie des processus neurobiologiques qui déterminent les réactions morales. Ce qui émerge de ces recherches, c’est l’ampleur de ce que les conventions sociales sont capables de limiter ou d’annuler chez nous. Cette histoire deviendra un élément crucial de notre perception de nous-mêmes.

     

    Vous avez également écrit sur le sujet de la nature de la conscience dans le cadre du débat sur l’avortement. P

    J’ai siégé au Conseil du Président [des États-Unis] pour la bioéthique, et l’une des questions clés qui se posaient était la suivante : un ovocyte fécondé, un blastocyste, est-il humain ? Ce que nous chérissons, en tant qu’êtres humains, ce sont les souvenirs et les actions que nous pouvons entreprendre, et ceux-ci sont gérés par le cerveau. Le blastocyste n’a pas de cerveau. Si l’on prend un microscope haute puissance et que l’on regarde un blastocyste, on n’y trouve pas de cellule cérébrale. Il paraît donc insensé de lui conférer un statut moral en tant qu’être humain fonctionnel.

    Être humain, c’est l’accumulation de nos expériences de vie et de la gestion de notre vie. C’est ça qui est humain. Au sein du Conseil, nous devions déterminer si un blastocyste de 14 jours pouvait être utilisé pour la recherche biomédicale. Est-ce un affront à la condition humaine ? Dix experts sur dix-sept n’y voyaient aucun problème moral. Et il est intéressant de noter que nous n’aurions pas pu prédire la réaction des participants en fonction de leurs croyances religieuses : d’un côté, certains catholiques affirmaient que ce n’était pas un problème, et d’un autre côté, des juifs athées répondaient l’inverse.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise en 2015.

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