La pollution de l'air affaiblirait notre système immunitaire

Un nombre croissant d'études établissent un lien entre la pollution de l'air et la capacité de notre système immunitaire à réguler les réactions inflammatoires et à enrayer le développement de maladies graves.

De Emily Sohn
Publication 6 oct. 2023, 16:42 CEST
Flammes et fumée s'élèvent au-dessus de la raffinerie Energy Solutions de Philadelphie, en 2019. D'après de récents ...

Flammes et fumée s'élèvent au-dessus de la raffinerie Energy Solutions de Philadelphie, en 2019. D'après de récents travaux scientifiques, le fait de respirer un air pollué affecterait la capacité du système immunitaire à réguler les réactions inflammatoires.

PHOTOGRAPHIE DE Matt Rourke, AP

La qualité de l'air est depuis longtemps une source de préoccupation pour les quartiers sud de Philadelphie, où une raffinerie de pétrole en activité depuis plus de 150 ans est partie en fumée en 2019 à la suite de violentes explosions.

De nos jours, nombreux sont les habitants de cette zone défavorisée et densément peuplée, majoritairement issus des minorités, à souffrir de pathologies aussi variées que l'asthme, les cancers, les maladies cardiovasculaires, les diabètes ou encore la polyarthrite rhumatoïde. « Toutes ces maladies ont une origine inflammatoire, » indique Jane Clougherty, épidémiologiste à l'université Drexel de Philadelphie, qui travaille actuellement sur une étude visant à évaluer la qualité de l'air pendant le démantèlement de la raffinerie.

Comme le suggèrent un nombre croissant d'études scientifiques, l'exposition chronique à la pollution de l'air provoque une inflammation et augmente le risque de rencontrer divers problèmes de santé. À mesure que les incendies se multiplient sous l'effet du changement climatique et que les véhicules thermiques pullulent sur nos routes, la science découvre peu à peu les effets néfastes de cet air pollué sur la capacité de notre système immunitaire à réguler les réactions inflammatoires.

Pour les experts, ces études doivent donner lieu à des mesures en matière de soins et de santé publique. Ils insistent notamment sur le besoin de renforcer la réglementation visant à réduire la pollution de l'air, ou celui d'énoncer des directives claires pour protéger la population contre l'exposition avec des alertes spécifiant quand porter un masque ou rester en intérieur. Ils attirent également notre attention sur la nécessité d'approfondir les recherches pour lutter contre les nuisances liées à la pollution de l'air.

« La pollution de l'air est un problème majeur pour tous les pays, l'actualité nous le montre chaque jour, » déclare Juan C. Hernandez, immunologiste au sein de l'université coopérative de Colombie à Medellín. « Il est primordial de connaître les effets réels de ces polluants sur notre santé. »

 

UN AIR VICIÉ

La pollution de l'air désigne un ensemble de gaz et de particules de taille et de composition variables provenant d'une multitude de sources : les voitures et les usines qui consomment des énergies fossiles comme le gaz et le pétrole, mais aussi les phénomènes naturels comme les incendies, les volcans et les tempêtes de sable. Parmi les substances contribuant à la pollution de l'air figurent notamment le dioxyde de soufre, l'ozone, le plomb et les particules en suspension réparties selon leur taille en différentes catégories, de PM2.5 à PM10. L'inhalation régulière de ces polluants peut entraîner des problèmes de santé, comme le démontre le lien établi par plusieurs études entre la pollution de l'air et les maladies respiratoires ou cardiovasculaires, les problèmes neurologiques, les cancers ou encore les décès prématurés.

Un environnement pollué peut accroître la vulnérabilité de ses habitants aux maladies infectieuses, peut-être même à la COVID-19. Depuis 2020, plusieurs études ont fait état d'un taux potentiellement plus élevé d'infections, de complications et de décès des suites de la COVID-19 dans les lieux affichant un haut niveau de pollution atmosphérique, même de façon temporaire. D'après l'une de ces analyses, entre mars et décembre 2020, il y aurait eu 20 000 infections COVID supplémentaires et 750 décès supplémentaires dans certaines régions des États de Californie, d'Oregon et de Washington affectées par le phénomène de brume sèche émanant des incendies. Les feux de forêt produisent un grand nombre de petites particules appelées PM2.5 car elles se comportent aérodynamiquement comme des particules de taille inférieure ou égale à 2,5 micromètres (0,0025 mm). Une exposition prolongée à une quantité même limitée de PM2.5 a été liée par une autre étude à une hausse de 8 % du risque de décès pour la COVID-19.

L'inhalation d'air pollué induit une inflammation, affirme Clougherty. En s'introduisant dans notre organisme, la particule de pollution déclenche une réaction stéréotypée du système immunitaire, qui entraîne la production de cytokines et d'autres molécules responsables de l'inflammation afin de lutter contre l'envahisseur. Les virus et d'autres corps étrangers provoquent également des réactions inflammatoires. Cependant, contrairement aux virus, les particules peuvent se loger physiquement dans les poumons, où elles continuent de susciter la production de molécules inflammatoires. La pollution peut également introduire des métaux et d'autres substances toxiques dans le système sanguin.

Même si elle reste nocive, l'inflammation résultant d'une exposition ponctuelle à la pollution n'est que le reflet du fonctionnement normal de l'organisme. Les agressions permanentes sont quant à elles plus préoccupantes. « L'exposition aiguë est problématique, » indique Clougherty. « Si on les accumule, c'est encore pire. »

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PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario
Un nuage de pollution enveloppe le quartier Dari Ekh Ger d'Oulan-Bator en Mongolie.

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PHOTOGRAPHIE DE Matthieu Paley

 

DÉRÉGULATION IMMUNITAIRE

Comme nous l'explique Clougherty, même si les études ont montré que les personnes exposées de façon prolongée à différents types de pollution présentent des taux élevés de molécules inflammatoires dans le sang, il est difficile de comprendre les détails du phénomène en raison des variations naturelles qui affectent chaque jour le système immunitaire. Si une personne est enrhumée, si elle a mal dormi ou si elle se sent particulièrement stressée, il est possible qu'elle présente des taux élevés de molécules utilisées comme marqueurs de l'inflammation, à savoir les cytokines et la protéine C réactive.

Pour observer l'interaction entre la pollution de l'air et les réactions inflammatoires sans les interférences liées aux fluctuations de la vie, Clougherty et ses collègues ont prélevé des échantillons de sang chez des sujets d'âge moyen et avancé habitant la région de Pittsburgh avec différents niveaux d'exposition à la pollution de l'air. Les chercheurs ont ensuite pu montrer que les cellules des personnes exposées à long terme aux émissions de PM2.5 et de carbone suie produisaient des taux supérieurs de molécules inflammatoires lors d'une simulation de réaction immunitaire en laboratoire. Ils ont ainsi déclenché des réactions particulièrement prononcées chez les personnes qui respiraient depuis longtemps des particules contenant du plomb, du fer, du manganèse et du zinc, autant de métaux associés à la production d'acier.

Ces résultats suggèrent que le système immunitaire des personnes soumises à une exposition chronique à la pollution de l'air déploierait une réponse immunitaire dérégulée en présence d'une menace. Cette réaction inflammatoire pourrait à son tour entraîner des maladies cardiaques ou pulmonaires et d'autres problèmes. « Cela ressemble à une hyper-inflammation, » explique Clougherty. « Une réaction inflammatoire doit être suffisante pour lutter contre l'intrus sans pour autant perdre le contrôle. »

Selon leur taille ou leur nature, les particules et les gaz empruntent différentes voies pour s'introduire dans notre organisme, comme le démontrent Hernandez et ses collègues dans une étude publiée en 2021. En revanche, lorsque ces substances ont atteint les voies respiratoires, le système sanguin ou d'autres organes, leurs effets se superposent et s'entremêlent. Lors de ses études sur les animaux et les cellules en laboratoires, Hernandez a ainsi découvert que les particules, quelle que soit leur taille, peuvent dégrader et tuer les cellules pulmonaires par des processus inflammatoires. La mort cellulaire entraîne par la suite une aggravation de l'inflammation. À mesure que la dégradation, les contaminants et l'inflammation s'accumulent, le risque de maladie chronique et d'infection respiratoire augmente car la réponse immunitaire se trouve alors compromise.

De nos jours, les scientifiques peuvent compter sur les disciplines rassemblées sous l'appellation « omiques » pour observer simultanément l'activité de plusieurs centaines de gènes, en exploitant notamment les dernières technologies de séquençage. Ces outils leur permettent d'identifier avec précision les molécules impliquées dans le processus d'inflammation résultant de l'exposition à la pollution de l'air, tout en comprenant l'interaction entre ces molécules, nous explique Hernandez. Leurs travaux pourraient mener à la conception de médicaments dans le but d'interrompre ce processus et de protéger les poumons.

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    UNE QUESTION D'INÉGALITÉ

    L'impact de la pollution de l'air sur la santé est aussi une question d'inégalité sociale, ajoute Clougherty. Aux États-Unis, les personnes de couleur et disposant d'un faible revenu ont tendance à vivre et à travailler dans les quartiers situés à proximité des autoroutes et des zones industrielles, souvent parce que le coût de la vie y est inférieur. La pollution de l'air y est toutefois plus élevée. De plus, ces mêmes groupes présentent des taux supérieurs de maladies comme le diabète, ce qui ne fait qu'amplifier les coups portés à leur système immunitaire. Ils se heurtent également à des obstacles systémiques qui les éloignent des comportements favorisant la réduction de l'inflammation, comme la pratique d'une activité physique, un sommeil de qualité et une bonne alimentation.

    D'après une étude menée par Clougherty et ses collègues il y a plus de quinze ans sur un échantillon de centaines d'enfants vivant à Boston, l'adversité exacerberait le lien établi entre la pollution de l'air liée au trafic et l'asthme chez l'enfant. Parmi les enfants vivant avec le même niveau de dioxyde d'azote, un gaz émis par la combustion des combustibles fossiles, seul le groupe exposé à la violence présentait une augmentation des diagnostics d'asthme, ce qui suggère une altération du système immunitaire due au stress et donc une vulnérabilité accrue aux effets néfastes de la pollution de l'air. Depuis, la scientifique est parvenue à reproduire cette tendance avec des souris de laboratoire et étudie actuellement la façon dont les facteurs de stress chroniques aggraveraient les effets de la pollution sur d'autres maladies.

    En prenant simultanément des mesures pour lutter contre les facteurs aggravants, comme la violence, et réduire la pollution de l'air, nous pourrions atténuer les conséquences sur la santé des deux problèmes, ajoute-t-elle. « La réduction de l'un ou de l'autre nous offre plus de leviers politiques avec lesquels améliorer la santé publique et le bien-être, » indique Clougherty. « En s'attaquant de front aux deux problèmes, le bénéfice serait optimal. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Ami Vitale

    Une action politique est également nécessaire pour cibler la racine du problème, poursuit Clougherty. L'épidémiologiste faisait partie d'un comité d'experts chargé de remettre à l'Agence de protection de l’environnement des États-Unis un rapport sur l'état actuel des recherches, en vue d'une révision des normes relatives au seuil de sécurité des particules fines dans l'air. En s'appuyant sur les dernières données, l'agence pourrait choisir de revoir ce seuil à la baisse.

    La pollution de l'air est un problème mondial et nous partageons tous le même air, indique Hernandez. En documentant les effets de ce problème, il espère amener les législateurs de la scène internationale à prendre conscience de la façon dont la pollution de l'air affecte l'inflammation, la santé et la vie sur notre planète. « La meilleure piste est également la plus ardue : montrer aux législateurs les conséquences de cette pollution non seulement pour la santé humaine, mais aussi pour celle de l'environnement et des animaux. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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