Champignons : nos fascinants voisins fongiques
Ils sont partout : en nous, sur nous et tout autour de nous. Le monde des champignons est une mystérieuse dimension terrestre que nous apprenons tout juste à observer.
Oudemansiella mucida - Les mucidules visqueuses, comme celles-ci, poussant sur un hêtre du mont Olympe, en Grèce, peuvent mesurer de 2,5 à 8 cm.
Retrouvez cet article dans le numéro 295 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine
Anne Pringle était en train d’examiner des champignons en Californie, dans le parc d’État de la baie de Tomales, au nord de San Francisco, quand elle s’est trouvée cernée par une mer de champignons parmi les plus dangereux du monde: des amanites phalloïdes. «Impossible de poser le pied par terre sans en écraser, raconte-t-elle. C’était une infestation totale.»
La scène s’est déroulée il y a vingt ans, quand Anne Pringle, aujourd’hui mycologue à l’université du Wisconsin à Madison, faisait des recherches à l’université de Californie à Berkeley. En dépit de cette prolifération, la rumeur disait que ce champignon mortel n’avait pas pour origine la côte californienne. Six ans et de nombreux séquençages génétiques plus tard, la scientifique a démontré qu’elle était fondée: l’amanite phalloïde présente en Amérique du Nord était une envahisseuse, sans doute venue d’Europe.
Aujourd’hui implantées à des milliers de kilomètres hors de leur aire de répartition originelle, les amanites phalloïdes provoquent la majorité des intoxications dues à des champignons. Leurs puissantes toxines s’attaquent au corps humain six heures à peine après ingestion, provoquant des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements qui, faute de traitement, peuvent entraîner une insuffisance hépatique mortelle.
Pourtant, cette espèce n’a pas évolué dans le but de tuer des gens. Ce sont des champignons mycorhiziens, dont les « chapeaux », ou carpophores, émergent du mycélium souterrain, qui s’enroule autour des racines des arbres, les aidant à absorber les nutriments. Cette activité intrigue autant qu’elle préoccupe les scientifiques comme Anne Pringle, laquelle souligne notre maigre connaissance du règne fongique et de ce qui se passe quand ces réseaux souterrains se reconfigurent.
Macrolepiota procera - Délicieuses, les lépiotes élevées, ou coulemelles –ici dans des pins au soleil couchant–, peuvent être prises pour de toxiques amanites phalloïdes.
Au cours du siècle écoulé, notre monde est devenu plus interconnecté que jamais et les champignons ont été embarqués dans d’innombrables voyages internationaux, accrochés à des plantes importées ou portés par le vent sur des centaines de kilomètres. Aujourd’hui, le changement climatique permet à nombre de ces organismes de prospérer dans des écosystèmes autrefois trop froids et secs. Si nous nous fions au passé, nous ne sommes pas forcément prêts pour ce qui nous attend.
En un sens, le monde des champignons est une mystérieuse dimension terrestre que nous apprenons tout juste à observer. S’ils poussent dans le sol et présentent des « tiges » comestibles comme les plantes, nombre de leurs caractéristiques les en distinguent pourtant. Alors que les parois cellulaires des végétaux sont constituées de cellulose, celles des champignons sont faites de chitine, une fibre que l’on retrouve aussi dans l’exosquelette des insectes et des crustacés. De plus, ils sont hétérotrophes, c’est-à-dire capables de manger d’autres organismes, souvent en décomposant du bois et des végétaux morts grâce à la sécrétion puis à la réabsorption d’enzymes. Sans eux, la flore et la faune mortes s’accumuleraient dans les forêts, et la plupart des arbres peineraient à trouver les nutriments indispensables à leur survie.
«Ils sont probablement plus proches des animaux qu’on ne le croit», affirme même Rabern Simmons, conservateur au sein de l’Herbier de l’université Purdue, dans l’Indiana. Depuis plus d’un milliard d’années, ces organismes ont évolué de manière à vivre dans des milieux spécifiques, parfois en coopération avec une seule autre espèce. Mais, quand l’un d’eux est déplacé ailleurs, à des dizaines, voire à des milliers de kilomètres, ces relations complexes peuvent s’emballer. «Il en résulte un désordre parfait pour les champignons pathogènes», explique Stephen Parnell, épidémiologiste à l’université de Warwick, en Angleterre, qui modélise la propagation des maladies touchant les végétaux
Hericium clathroides - L’hydne rameux tombe en cascade d’un arbre dans la péninsule grecque de la Chalcidique.
Les champignons recourent à diverses stratégies de reproduction pour survivre. Portées par le vent, les spores de plusieurs espèces peuvent se mélanger dans un nouvel habitat; les champignons peuvent aussi fusionner les filaments, ou hyphes, qui forment leurs mycéliums ; mais, si besoin, beaucoup recourent simplement à la reproduction asexuée.
Dans un contexte où les climats et les paysages évoluent à une vitesse record, souligne Stephen Parnell, ces caractéristiques reproductives confèrent aux organismes fongiques une adaptabilité unique, mais aussi inquiétante. Dans de nouveaux milieux, des champignons non indigènes peuvent se propager très vite et transformer la topographie des alentours.