Un paquet de chips a perturbé un écosystème tout entier
Vous savez sûrement qu'il ne faut "pas laisser de traces" derrière vous lors d'une randonnée. Mais au-delà de cela, il est crucial de veiller à ne pas perturber les espaces naturels que vous traversez.
Les touristes du sanctuaire des papillons monarques « El Rosario », au Mexique, se promènent dans le parc sur un sentier aménagé. Outre le ramassage des ordures et des déchets, le fait de se déplacer dans les limites des visiteurs permet de s'assurer qu'aucune trace nocive n'est laissée derrière soi.
Un paquet de chips laissé par terre a perturbé l'écosystème entier d'une grotte dans le parc national des grottes de Carlsbad, au Nouveau-Mexique, comme l'ont reporté les responsables du parc il y a peu sur Facebook.
Cette grotte est presque entièrement coupée du monde extérieur, alors y introduire un quelconque élément étranger peut s'avérer catastrophique. « La grotte présente des taux d'humidité de 90 à 100 %, les choses se détrempent donc assez rapidement », explique Ashley Parsons, guide du parc. Des aliments détrempés attirent les microbes et la moisissure se répand très rapidement. Bientôt, des grillons, des araignées et des chauves-souris viennent s'y nourrir, devenant à leur tour vecteurs de contamination.
Les gardes-forestiers ont trouvé les chips quatre ou cinq heures après qu'elles ont été jetées. « Mais cela peut suffire », déplore Ashley Parsons. « Je suis sûr que les Rhaphidophoridae ont pris un petit en-cas. »
Avec plus de 500 millions de visiteurs chaque année, les grands parcs nationaux américains ne peuvent être préservés que si chacun d'eux veille à les préserver. « Quand on regarde l'échelle, c'est incroyable », déclare Dana Watts, directeur exécutif du centre Leave No Trace dans le Colorado, aux États-Unis.
NE LAISSEZ PAS DE DÉCHETS ALIMENTAIRES DERRIÈRE VOUS
Si les chips jetées ont rapidement été retirées des grottes de Carlsbad, les déchets alimentaires peuvent prendre beaucoup de temps à se décomposer, en particulier dans certains environnements. « La décomposition d'un trognon de pomme ou d'une peau de banane est beaucoup plus longue dans un désert que dans une zone humide ou une forêt boréale », souligne Clara-Jane Blye, professeure adjointe en tourisme durable à l'université de l'Utah et membre du conseil d'administration de Leave No Trace Canada.
Les emballages sont des traces de votre passage encore plus désastreuses. « Si on laisse tomber des sacs en plastique ou des canettes en métal ou autres dans l'océan, ils peuvent mettre plusieurs siècles à se décomposer, si ce n'est des millénaires », pointe Carlos Duarte, professeur de sciences marines à la King Abdullah University of Science and Technology en Arabie Saoudite.
L'abandon de déchets peut aussi modifier le régime alimentaire et le comportement des animaux sauvages, avec des conséquences parfois catastrophiques. Lorsque des oiseaux ou des poissons prennent du plastique pour de la nourriture, cela remplit leur estomac de telle sorte qu'ils ne peuvent plus manger. « Ils meurent de faim », soupire Clara-Jane Blye.
Les ours qui prennent goût aux déchets et deviennent une "nuisance" pour les humains peuvent être abattus. « Les ours peuvent s'habituer à la nourriture humaine en trois semaines », explique Dana Watts. « Tout le monde y perd dans ce cas. »
Les déchets biologiques posent également problème. Les excréments de chiens domestiques introduisent de nouveaux agents pathogènes dans un écosystème et la trace de ce prédateur perturbe les espèces d'ongulés, comme les cerfs et les élans. Par ailleurs, les excréments humains et le papier toilette introduisent la bactérie Escherichia coli dans les sources d'eau. « Cela peut nous rendre très, très malades », prévient Clara-Jane Blye.
Les experts recommandent de se soulager dans un sac en plastique et de le prendre avec soi en partant. « Je sais que cela semble vraiment bizarre de se soulager dans un sac », reconnaît-elle. « Mais c'est tout aussi étrange de se soulager dans un trou. »
RESTER SUR LES SENTIERS DE RANDONNÉE
Dans les parcs nationaux, les sentiers désignés sont soigneusement conçus pour éviter les zones sensibles. S'éloigner du sentier, même pour une prendre une photo, peut faire fuir la faune. « Ils cessent de chercher de la nourriture, quittent les sites de nidification et de mise bas les plus propices et ont moins de chances de revenir », explique Clara-Jane Blye.
Les impacts cumulés de nombreux visiteurs entraînent des perturbations à long terme pour la nature et la faune. Mais les gens ne pensent pas à cela lorsqu'ils voient l'occasion parfaite de prendre une photo. « C'est tellement difficile de résister », admet-elle.
Le risque pour les écosystèmes sensibles, comme les croûtes biologiques, n'est pas visible à l'œil nu. « C'est plutôt simple de se dire "Oh, il y a des fleurs sauvages par là. Je ne devrais pas marcher dessus" », estime Clara-Jane Blye. Cela est d'autant plus important que ces biocroûtes discrètes regorgent d'organismes microscopiques essentiels à la vie dans le désert.
Ces minuscules écosystèmes offrent de nombreux avantages, notamment en réduisant le risque d'érosion, car ils participent à absorber les précipitations. S'ils sont endommagés, ils peuvent mettre des centaines d'années à retrouver leur état d'origine.
NE RAPPORTEZ PAS DE SOUVENIRS
Lorsque l'on visite des milieux marins, il est important de se demander « comment on y arrive ? Comment partons-nous ? », explique Carlos Duarte. Les bateaux peuvent rejeter du pétrole ou des produits chimiques toxiques dans l'eau et jeter l'ancre peut détruire les récifs coralliens.
Les touristes eux-mêmes peuvent introduire des produits chimiques nocifs. « Nous nous enduisons de gammes de crèmes solaires dont il a été prouvé qu'elles étaient toxiques, non seulement pour les coraux, mais aussi pour nous », relève Carlos Duarte. Ou alors ils peuvent endommager les coraux en les frappant ou en les touchant. En cassant accidentellement un minuscule morceau de corail, « on peut causer des dommages qui dureront des décennies », explique-t-il.
« Le principe le plus difficile pour beaucoup de gens est probablement de laisser ce que l'on trouve », dit Dana Watts, car les gens aiment garder des souvenirs. Mais prendre un souvenir, c'est dépouiller l'écosystème de ses ressources. Par exemple, le tourisme de masse a rendu plus difficile la recherche de coquillages.
Pour Dana Watts, l'expérience de la nature est bénéfique pour la santé mentale et physique, mais ce paquet de chips abandonné « illustre la nécessité pour les gens de comprendre leur propre impact ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.