Provence : les champs de lavande s’adaptent au changement climatique
Les champs de lavande, image de carte postale qui ensoleille nos réseaux sociaux chaque été, doivent changer pour survivre à une double menace : maladies et changement climatique.
Des champs de lavande fleurissent sur le plateau de Valensole, en Provence. Les agriculteurs modifient le mode de culture de cette plante aromatique emblématique afin de lutter contre les effets du changement climatique.
Chaque été, des millions de voyageurs s'aventurent en Provence, région baignée de soleil. L'un de ses principaux attraits ? Ses champs de lavande. Pourpres, parfumés et symétriques, les photos de ces champs ensoleillent nos réseaux sociaux de fin juin à juillet. Si l’on veut toutefois que cette plante aromatique, et tout ce qu'elle représente dans la culture française, continue à prospérer, ce décor de carte postale doit changer.
En raison des températures élevées, des faibles précipitations et des infestations de ravageurs, l'industrie de la lavande, d'une valeur de 50 millions d’euros, arrive à son point de rupture. Pour protéger cette précieuse fleur et la place qu’elle occupe dans la culture française, des producteurs locaux, des scientifiques et des chefs d'entreprise se sont réunis. Ils ont créé le Fonds de dotation pour la Sauvegarde du Patrimoine Lavandes en Provence (Fonds SPLP), qui finance la protection des pollinisateurs, la plantation d'hybrides résistants aux ravageurs et l'installation de systèmes d'irrigation.
Pour les visiteurs, le changement le plus tangible sera l'aspect des champs de lavande. À l’avenir, ceux-ci ne seront plus symétriques et d’un pourpre immaculé. D'autres fleurs pousseront à côté des plants, ce qui permettra de les nourrir, de régénérer le sol et d'augmenter la teneur de celui-ci en carbone.
« Il s'agit d'une nouvelle manière de concevoir la lavande », explique Justine Humbert, ingénieure et responsable du service Biodiversité & Ingrédients Durables chez L'Occitane en Provence, marque de produits de beauté dont le siège est situé en Provence.
Voici comment aller à la découverte de ces fleurs de manière responsable.
UNE IMAGE EMBLÉMATIQUE
En France, la lavande est devenue une culture commerciale avec l'essor de l'industrie du parfum au 19e siècle à Grasse, ville de Provence. Aujourd'hui, près de 1 700 producteurs répartis dans toute la région cultivent environ 25 000 hectares de deux variétés de cette fleur : d’une part la lavande, utilisée dans les parfums et les cosmétiques, et d’autre part le lavandin (Lavandula x intermedia), un hybride à plus longue tige qui parfume les produits ménagers.
Les visiteurs peuvent visiter le Musée de la Lavande Luberon et le Château du Bois qui s'étend sur 350 hectares afin de découvrir l'art de la lavande fine (Lavandula angustifolia) et son histoire, de la production à la récolte, en passant par la distillation de l'huile.
Le changement climatique entraîne toute une série de problèmes pour les cultivateurs de lavande, ou bien aggrave ceux qui existaient déjà. À cause des étés plus chauds, les population d'insectes augmentent, notamment les Cixiidae, une famille du groupe des cicadelles, apparentées à la cigale. Elles dévastent les cultures, à la fois en mangeant les plantes et en transmettant une maladie appelée stolbur, découverte pour la première fois en 1970. Cette dernière abîme les plantes et réduit leur durée de vie, normalement de dix ans, à seulement trois ou quatre ans.
Le changement climatique a d'autres conséquences. « La sécheresse a un impact sur les cultures de lavande », explique Justine Humbert. « Même si la [lavande] est adaptée à des territoires difficiles, elle a besoin d'un minimum d'eau. »
UNE NOUVELLE VISION
Fondé en 2012, le Fonds SPLP a contribué au développement de deux nouvelles variétés de lavande tolérantes au dépérissement, appelées MILA et ETERNELLE. « Toutes deux sont actuellement en phase de test auprès des producteurs », indique Charlotte Bringer-Guerin, coordinatrice du Fonds SPLP.
Par ailleurs, l'agroécologie, consistant ici à installer des plantes de couverture entre les rangs de lavande, apparaît comme un moyen de protéger ces précieuses fleurs. « Les plantes de couverture ont l'avantage de retenir l'humidité et d’acclimater les parcelles pour les rendre plus résistantes », explique Justine Humbert. D'autres plantes, notamment les noix, les légumineuses et les céréales, agissent comme des barrières entre la lavande et les Cixiidae, empêchant la transmission du stolbur et protégeant le sol de l'érosion et du vent.
À mesure qu'elles poussent, ces plantes de couverture transforment l'esthétique habituelle des champs de lavande. Connus pour leur pourpre immaculé, ils laissent désormais entrevoir des traînées de jaune, de vert et d'autres couleurs.
RÉSISTER AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
À un peu plus d'une heure de route au nord-est de Marseille, le plateau de Valensole, qui s'étend sur 777 kilomètres carrés, est l'une des principales zones de culture de la lavande et de tourisme en Provence. Après avoir vu ses récoltes décliner à cause des maladies et de la sécheresse, Yann Sauvaire est l'un des rares producteurs de la région à avoir adopté l'agroécologie.
Dans certains champs, il plante des arbres indigènes ou laisse l'herbe pousser entre les plants de lavande. Dans d'autres, il plante du sainfoin, une légumineuse qui augmente les taux d'azote dans le sol.
L'ajout de plantes et d'arbres a également profité à la vie animale : les oiseaux reviennent dans les champs et les moutons broutent les touffes d'herbe entre les plants de lavande.
Le coût à l'achat et celui de l'entretien des cultures de couverture a toutefois empêché de nombreux agriculteurs d'adopter pleinement l'agroécologie.
Nombre d’entre eux ont néanmoins en partie adopté cette approche en installant des plantes de couverture pendant quelques mois de l'année seulement. « Cette année, jusqu'à [400 hectares] ont été semés en automne, puis arrachés au printemps, parce que le "syndrome de la carte postale" reste une barrière », explique Yann Sauvaire.
Au-delà de la protection des cultures, les habitants souhaitent préserver la lavande en tant que symbole de la Provence. « C'est un patrimoine culturel qu'il faut sauver », déclare Charlotte Bringer-Guerin.
Cela a cependant un coût pour les touristes qui viennent dans la région dans le but de prendre les emblématiques photos imprégnées de pourpre. Pour profiter pleinement de ce spectacle, Justine Humbert les encourage à poser leur téléphone. « Ne regardez pas la scène à travers votre écran. Écoutez, respirez, utilisez tous vos sens », exhorte-t-elle. « Nous avons l’habitude de voir des champs parfaitement alignés, mais les gens vont devoir s’habituer à de nouveaux paysages. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.