Où sont passées les rayures blanches et noires caractéristiques des mouffettes ?
Longtemps reconnaissables grâce à leur pelage noir doté de deux bandes blanches, les mouffettes présentent aujourd'hui des caractéristiques de plus en plus variées. Une évolution étonnante qui pourrait bien être une conséquence de l'activité humaine.
Les mouffettes rayées peuvent arborer une grande variété de couleurs et de motifs. L'individu photographié ici est en captivité dans un centre de protection de la nature au Nouveau-Mexique.
Les recherches scientifiques nécessitent parfois de se rendre dans des endroits reculés, de prendre son courage à deux mains pour braver des bêtes sauvages, et de survivre à des conditions météorologiques difficiles. Mais d’autres fois, comme celle-ci, les chercheurs se retrouvent à peigner délicatement la fourrure de plusieurs centaines de mouffettes mortes.
« Ce qu’on est prêts à faire pour la science… », plaisante Ted Stankowich, expert en écologie comportementale évolutive à l’Université d’État de Californie, à Long Beach.
Stankowich étudie l’aposématisme, un mécanisme de protection qui consiste à arborer des couleurs destinées à avertir les prédateurs des dangers auxquels ils feront face s’ils s’approchent de trop près ; on retrouve par exemple ce mécanisme au travers des couleurs très vives que présentent les serpents corail et les grenouilles dendrobates. Les mouffettes rayées (Mephitis mephitis), une espèce originaire d’Amérique du Nord, arborent certaines des colorations les plus reconnaissables de la planète : une fourrure noire décorée de bandes blanches qui s’étendent de la tête à la queue de l’animal.
« Ces couleurs avertissent les prédateurs qu’elle dispose d’un moyen de défense puissant... et puant », explique-t-il.
Stankowich et d’autres chercheurs ont toutefois remarqué une caractéristique étonnante chez les mouffettes rayées : les motifs qu’elles présentent peuvent grandement varier d’un individu à l’autre, en passant par exemple d’une petite tache blanche sur la tête à d’audacieuses rayures blanches qui semblent dessiner une cape. Certaines mouffettes peuvent même être entièrement blanches, ou entièrement noires.
Ce phénomène est étrange, car « plus votre signal est constant [au sein de l’espèce], plus les prédateurs ont une image en tête » et savent qu’ils doivent vous éviter.
Une étude de Stankowich et ses collègues, publiée récemment dans Evolution, pourrait permettre d’expliquer ces variations ainsi que l’influence que nous, les humains, pourrions bien avoir sur ce mécanisme de protection.
DES COULEURS VARIABLES
Dotée de glandes odorantes capables de projeter des sécrétions à l’odeur nauséabonde dans les yeux de ses attaquants, la mouffette a la chance de ne pas avoir autant de prédateurs naturels que d’autres mammifères de taille similaire.
Les principaux ennemis des mouffettes sont généralement les pumas, les coyotes, les jaguars et les lynx roux qui, le plus souvent, décident de les attaquer soit parce qu’ils sont suffisamment affamés pour prendre le risque d’être aspergés, soit parce que le pelage de leur proie ne permet pas de les avertir de la menace qu’elle représente et ne leur donne donc aucune raison de s’inquiéter. Les grands-ducs d’Amérique tuent plus de mouffettes que la plupart des autres prédateurs, ce qui, selon Stankowich, pourrait s’expliquer par le fait qu’ils ne sont pas dotés d’un odorat très développé et ne sont donc pas très sensibles à leur mécanisme de défense.
Après avoir photographié 749 peaux de mouffettes rayées conservées dans des musées du continent américain, Stankowich et ses collègues se sont attelés à documenter plusieurs caractéristiques telles que la longueur des rayures et la symétrie des motifs, puis les ont comparées à d’autres variables, telles que l’environnement dans lequel vivaient les animaux ainsi que leurs prédateurs potentiels.
« Dans les zones où le risque de prédation était très élevé, que les prédateurs soient des oiseaux ou des mammifères, les mouffettes arboraient des couleurs bien plus classiques et constantes : du noir accompagné de deux longues bandes blanches le long du corps », décrit Stankowich.
« Mais ce que nous espérions découvrir, et ce que nous avons découvert, c’est que les rayures des mouffettes commencent à varier lorsque le risque de prédation diminue. » En effet, s’il n’y a pas beaucoup de prédateurs, la sélection génétique qui permet de favoriser la transmission de rayures d’avertissement fortes d’une génération à l’autre est bien moins importante.
« Ainsi, ces animaux [qui présentent des rayures plus variées survivent et] peuvent transmettre davantage de copies de leurs gènes à la génération suivante. Les variations dans les motifs des rayures sont donc de plus en plus importantes », explique Stankowich.
Selon Jim Barnett, écologiste comportemental au Trinity College de Dublin, les recherches sur les couleurs d’avertissement utilisées par les animaux se concentrent trop souvent sur des zones géographiques limitées, ou sur les interactions entre des prédateurs et des proies spécifiques. C’est pourquoi il admet être impressionné par la portée continentale de cette nouvelle étude.
« Les études de ce type laissent penser que l’Amérique du Nord abrite tout un ensemble de pressions de sélection », affirme Barnett, qui n’était pas impliqué dans l’étude de Stankowich.
Une mouffette passe par un trou dans la clôture qui sert de séparation entre une forêt et un terrain de golf.
UNE INFLUENCE HUMAINE ?
L’Homme ayant chassé, voire éliminé totalement, un grand nombre de prédateurs à travers les États-Unis, tels que les pumas et les loups, il est logique de se demander si l’activité humaine est à l’origine de cette curieuse évolution que connaissent aujourd’hui les mouffettes.
« Je ne veux pas aller jusqu’à dire que les humains sont la cause de cette variation parce qu’ils ont fait disparaître des prédateurs », reprend Stankowich. « Mais notre comportement ne doit certainement pas les aider. »
Selon le scientifique, l’étude a identifié un lien entre la diminution du nombre de prédateurs et la variation des rayures chez les mouffettes, mais pas un lien de cause à effet. En outre, les spécimens de musée ne représentant que les mouffettes des 100 dernières années, il est difficile de tirer des conclusions sur d’éventuelles tendances à long terme.
« L’Amérique du Nord a connu une histoire complexe, certains énormes superprédateurs ne sont plus là aujourd’hui. »
« Il est donc difficile de dire à quoi ressemblait la prédation il y a des milliers d’années et quel effet celle-ci pourrait avoir sur les mouffettes aujourd’hui », conclut Stankowich.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.