Invasion de pythons en Floride : la chasse est-elle une solution adaptée ?
Depuis plus que 40 ans, la Floride subit une invasion de pythons birmans qui dévastent les populations de nombreuses espèces indigènes. Pour lutter contre ce problème, l'État a mis en place un projet controversé : la chasse aux pythons.
Amy Siewe, chasseuse de pythons, a attrapé ce python de plus de 3 mètres de long en août 2023. Les pythons birmans envahissants ont ravagé la faune indigène de la Floride et, à l'heure actuelle, la solution la plus efficace consiste à les chasser. Mais fonctionne-t-elle vraiment ?
Naples, en Floride – « C’est une bonne nuit pour chasser le python. »
L’air est épais et lourd. Selon Amy Siewe, chasseuse professionnelle, les pythons semblent aimer l’air orageux et humide, et l’ouragan Idalia est sur le point de toucher terre en Floride.
En neuf heures étalées sur deux nuits, Siewe attrape et tue quatre jeunes pythons birmans. Elle les repère du haut de son « pont à serpents », une plateforme équipée de projecteurs construite sur la benne de son pick-up blanc. Tandis que nous roulons doucement sur les autoroutes 29 et 41 de Naples, la chasseuse cherche des serpents dans l’herbe.
En 2019, Amy Siewe, 46 ans, a laissé derrière elle une entreprise immobilière florissante dans l’Indiana après avoir participé à une chasse au python lors de vacances en Floride. « C’est ma vocation », confie-t-elle. Elle a alors commencé à travailler pour le programme de chasse au python de l’État ; son salaire n’était cependant pas suffisant pour vivre. Aujourd’hui, elle mène des petits groupes de deux à quatre personnes dans le cadre de chasses guidées pour 1 800 dollars (environ 1 670 euros) la nuit afin d’enseigner à des civils les méthodes à utiliser pour tuer ce reptile envahissant qui s’est installé à travers la Floride.
Siewe m’explique ce qu’il faut chercher : les serpents sont généralement immobiles et leurs yeux ne brillent pas à la lumière, mais leur peau brille comme du plastique. Le plus efficace est de tomber sur un serpent en train de lever la tête. Sur son téléphone, elle me montre la photo d’un python qu’elle a trouvé récemment. Le serpent est entouré en jaune, mais j’ai tout de même du mal à le repérer.
En août 2023, Amy Siewe, qui a fermé son entreprise immobilière dans l'Indiana en 2019 pour se consacrer à la chasse aux pythons à plein temps, recherche des serpents depuis l'arrière de son pick-up blanc équipé d'une plateforme d'observation et de projecteurs.
« Python ! », crie-t-elle. Dave Roberts, son partenaire de vie et de chasse, freine brusquement, et la chasseuse saute du véhicule. Le jeune serpent se débat entre ses mains, la bouche grande ouverte. Elle le tient juste derrière la tête afin de ne pas se faire mordre.
Pour la chasseuse, c’est une victoire. Pourtant, d’environ 60 cm de long, ces jeunes serpents sont minuscules en comparaison au python de presque 6 mètres qu’elle a aidé à attraper l’année dernière. Selon Siewe, il faut environ 200 proies et 3 ans à un python pour atteindre les 3 mètres. « Chaque python que nous tuons permet de faire la différence. »
Je filme la capture avec mon smartphone, mais au moment de l’abattage, Siewe me demande d’arrêter l’enregistrement ; ce n’est pas un spectacle. « C’est vraiment malheureux de devoir faire ça à ces pythons. » Elle aime les serpents depuis très jeune et leur voue un « grand respect ».
« Malheureusement, c’est la seule solution. » Le couple utilise généralement un pistolet d’abattage, mais ce serpent est trop petit. Cette fois, Roberts utilise donc un fusil à plomb tandis que la chasseuse tient fermement le reptile. Il est tué sur le coup.
En août 2023, lors d'une chasse, Siewe attrape un python et le tient derrière la tête afin de ne pas se faire mordre. Bien que les pythons ne soient pas venimeux, leurs morsures sont douloureuses.
Mike Kimmel a trouvé ce python de 1 mètre de long près de Miami en 2020. Capturer des petits individus est une vraie réussite, selon Siewe, car cela évite qu'il continue à grossir et à se nourrir de la faune indigène.
Depuis au moins 1979, les pythons birmans envahissent la pointe sud de la Floride, dont le parc national des Everglades, et étendent progressivement leur aire de répartition sur près d’un tiers de l’État. Originaire du sud-est de l’Asie, l’espèce serait arrivée là au milieu du 20e siècle par le biais du commerce d’animaux exotiques. Il est désormais illégal d’acheter un python birman comme animal de compagnie en Floride.
Bien que cet État abrite de nombreuses autres espèces envahissantes, la présence des pythons est particulièrement difficile à réguler. Dans une étude réalisée en janvier, l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS) a qualifié la situation de « l’une des invasions d’espèces les plus difficiles à réguler à travers le monde ». Plusieurs facteurs permettent d’expliquer pourquoi ces serpents prospèrent aussi bien en Floride, tels que leur couleur, qui rend leur repérage difficile, mais aussi leur tendance à être principalement actifs pendant la nuit et à passer du temps immergés sous l’eau ou cachés dans la végétation. Les Everglades constituent en outre une zone humide largement inhabitée, et s’étendent sur des milliers de kilomètres, ce qui ne fait qu’aggraver le problème. « Ils ne se laissent pas piéger facilement », commente Melissa Miller, écologue à l’Université de Floride qui travaille sur un programme de suivi des pythons.
Au cours des dernières décennies, ces serpents constricteurs ont fait des ravages dans les écosystèmes de l’État, décimant des populations d’espèces indigènes, telles que des opossums, des lapins, des rats et des renards, dont certaines ont subi un déclin de pas moins de 99 %. Ils ont dévoré des animaux domestiques, comme de nombreux chats, mais aussi un husky de Sibérie de 30 kg. Les scientifiques tiennent une liste de toutes les espèces menacées ou en voie de disparition qui ont été retrouvées dans l’estomac des pythons : l’aigrette bleue, la spatule rosée, une sous-espèce d’écureuil-renard, le tantale d’Amérique, et des espèces de rongeurs. Ils sont également en concurrence avec d’autres prédateurs, tels que les lynx roux, les panthères de Floride et les espèces de serpents indigènes.
Eleanor, un chien pointer, mène une recherche de pythons en mars 2021. Selon Mike Kirkland, responsable du programme d'élimination des pythons du South Florida Water Management District, « la détection et l’élimination constituent les moyens les plus efficaces dont nous disposons pour gérer le problème des pythons », même si d'autres méthodes ont été essayées.
À l’âge adulte, les pythons birmans n’ont que peu de prédateurs : les alligators et crocodiles d’Amérique, les lynx roux, d’autres serpents, et peut-être les panthères de Floride, selon l’étude de l’USGS.
« Nous nous trouvons dans une situation d’urgence », s’inquiète Mike Kirkland, biologiste spécialiste des animaux envahissants et responsable du programme d’élimination des pythons pour le South Florida Water Management District.
UNE TÂCHE « INTIMIDANTE », MAIS NÉCESSAIRE
Le nombre total de pythons birmans en Floride est difficile à déterminer, les estimations allant de quelques dizaines de milliers à pas moins de 300 000 individus. Pour Siewe, ces dernières sont loin du compte, et de nombreux experts déclarent qu’avec les méthodes dont ils disposent actuellement, l’objectif d’élimination des pythons envahissants, qui peuvent vivre plus de 30 ans, est tout bonnement irréalisable.
Chaque semaine, Kirkland, 48 ans, reçoit de nombreux e-mails, lettres, appels, et même des visites de personnes qui lui affirment que son travail ne pourra pas porter ses fruits. « Nombreux sont ceux qui nous disent que nous ne parviendrons jamais à reprendre le contrôle de la situation. »
Par ailleurs, du bombardement des Everglades avec des porcs-épics à l’introduction d’éléphants d’Afrique pour piétiner les pythons, en passant par l’inondation de tout le sud de la Floride, toutes sortes de théories farfelues lui ont également été proposées. « J’essaie de répondre à tout le monde », explique Kirkland. « Certains ont des idées assez absurdes. »
Certaines données montrent qu’à l’heure actuelle, l’option la plus efficace reste de tuer les pythons un par un.
Le concours annuel de chasse aux pythons de Floride, lancé en 2013, est particulièrement controversé. Il offre aujourd’hui des milliers de dollars de prix aux participants qui éliminent le plus de serpents.
L'événement est « conçu pour encourager le public à s’engager », explique Kirkland. La compétition de 2016, photographiée ici, a attiré plus d'un millier de participants.
En 2017, l’État a commencé à payer des chasseurs de pythons jusqu’à 18 dollars (environ 17 euros) de l’heure pour rechercher et tuer ces reptiles. Kirkland admet recevoir une centaine de candidatures par semaine en moyenne ; seule une poignée des candidats, principalement ceux qui ont déjà de l’expérience dans la capture de serpents, arrivent toutefois à l’étape de l’entretien. Depuis, les chasseurs ont tué plus de 13 000 individus en Floride, et l’équipe de Kirkland est responsable de plus de la moitié de cet effort. Les chasseurs sont également autorisés à euthanasier d’autres serpents envahissants, tels que le python de Seba, le python réticulé et le boa constricteur.
L’équipe est constituée de cinquante chasseurs, et la Commission de conservation de la faune et de la flore (FWC) de Floride en compte cinquante autres. Les membres de l’équipe de Kirkland ont d’autres métiers en plus de cette activité, ils ne chassent donc pas à plein temps. Ils ont toutefois toutes et tous un point commun : ils aiment les serpents et sont doués pour les attraper.
Même si la tâche est « intimidante », Miller estime qu’il est important que les personnes qui font de la recherche ou sont responsables de la gestion d’espèces envahissantes « gardent espoir ». « Si nous ne faisons rien, alors que se passera-t-il ? Nous n’aurons plus d’espèces indigènes à l’état sauvage. »
ABATTRE SANS CRUAUTÉ
Tout près de Miami se trouve une route le long d’une digue sur laquelle seules les personnes travaillant pour le gouvernement peuvent circuler afin de chasser des pythons.
Par un soir de début septembre, Kirkland rate la sortie qui mène à cette route. « Je ne suis pas du tout nerveux lorsque National Geographic vient nous observer », plaisante-t-il. Il fait demi-tour et s’engage sur la route.
Kirkland a de bonnes raisons d’être nerveux : depuis qu’il a commencé à diriger le programme de chasse il y a près de sept ans, la Floride a fait l’objet de nombreuses critiques de la part de journalistes et d’associations de protection des animaux.
Clifford Warwick, biologiste indépendant et expert en reptiles à Londres, qualifie la chasse aux pythons de « perte de temps ». Si les populations de pythons continuent à croître pour l’instant, selon lui, elles finiront par se stabiliser. « Je ne suis pas contre le contrôle en général », tempère-t-il, « mais il faut vraiment évaluer l'étendue des dégâts et déterminer s’ils valent la violence de la solution. »
Justin Matthews, participant au concours de chasse aux pythons de 2013, cherche des serpents dans la réserve nationale de Big Cypress.
Le concours annuel de chasse au python, lancé en 2013 par la FWC de Floride, est particulièrement controversé. Il offre aujourd’hui plus de 30 000 dollars (environ 28 000 euros) de prix et attire plus d’un millier de participants, dont certains n’ont jamais chassé un python de leur vie, ainsi qu’une quantité astronomique de journalistes. L’événement est « conçu pour encourager le public à s’engager », explique Kirkland. Et il s’avère efficace. Cette année, la chasse a attiré 1 050 participants et a permis d’éliminer 209 serpents au cours des dix jours de la compétition.
Selon l’association PETA, le concours est un événement « grotesque » qui « permet à des non-initiés de tuer des pythons sans réelle méthode ». Lors du premier concours organisé en 2013, National Geographic avait déjà décrit le manque d’expérience apparent de certains des participants, dont certains « n’avaient jamais vu de python birman auparavant » ; l’un d’entre eux avait même recommandé de « prendre un serpent par la queue et de frapper sa tête contre un arbre » pour l’assommer.
La FWC de Floride se réfère aux normes d’euthanasie sans cruauté de l’American Veterinary Medical Association destinées aux reptiles, qui consiste à assommer, puis à détruire le cerveau. La décapitation compte également parmi les méthodes approuvées d’euthanasie, à condition que le serpent soit inconscient et que l’acte soit suivi d’une ablation immédiate du cerveau à l’aide d’une aiguille ou d’une tige métallique.
Warwick qualifie la décapitation de méthode « brutale et cruelle », et estime qu’il est peu probable que les chasseurs civils prennent réellement la peine de retirer le cerveau des serpents. « La tête reste en vie pendant 30 minutes à 1 heure [après la décapitation]. Il est parfaitement conscient et ressent toute la douleur de la coupure », révèle le biologiste.
Bien que les pythons soient protégés par les lois anti-cruauté de l’État, les coupables de violences sont difficiles à identifier.
« Nous encourageons l’élimination sans cruauté des pythons », affirme Kirkland. « Bien sûr, c’est un problème. » Le responsable du programme indique par ailleurs que l’État a mené des actions de sensibilisation pour informer le public sur les méthodes à utiliser pour tuer ces animaux sans cruauté ; les chasseurs sous contrat et les participants au concours sont également tenus de limiter leurs souffrances au maximum.
« Je ne travaillerai pas avec des personnes qui veulent les tuer par plaisir. » Lorsqu’il examine les candidatures, Kirkland évite celles qui indiquent souhaiter tuer les pythons « parce qu’elles les détestent ». Il précise qu’il s’agit d’un « programme de conservation des espèces indigènes, pas d’un programme d’abattage de serpents ».
Un python birman traverse la route. « Lorsque je prendrai ma retraite, j’aimerais vraiment que les Everglades soient dans un meilleur état qu’aujourd’hui », confie Kirkland. « J'ai bon espoir que nous parviendrons à réduire suffisamment la population de pythons pour permettre aux animaux indigènes de revenir. »
« Le jour où je serai désensibilisé à cette violence, je quitterai le projet. C’est très, très dérangeant, mais je suis très heureux d’être responsable de ce programme, car nous veillons à ce que les animaux soient traités avec respect. »
LES PROJETS EN COURS
En moyenne, Kirkland admet ne dormir « qu’une nuit sur deux ». Plutôt que de se reposer, il regarde des points en mouvement sur une carte, représentant les emplacements de ses chasseurs, repérables grâce à leurs téléphones portables. Il les surveille chaque nuit, jusqu’à ce qu’ils rentrent chez eux, parfois à 4 heures du matin.
Kirkland confie être marié depuis vingt-cinq ans à une femme très compréhensive, mais n’a jamais eu d’enfants. « J’ai déjà cinquante enfants », plaisante-t-il en parlant de ses chasseurs.
Bien que ces derniers attirent l’attention du public, environ 75 % du budget annuel de Kirkland, qui s’élève à 1,1 million de dollars (environ 1 million d’euros), est consacré à la recherche de nouvelles méthodes d’élimination.
Des chercheurs de l’U.S. Fish & Wildlife Service et de l’Université du Sud de l’Illinois ont par exemple équipé des opossums et des ratons laveurs (des proies des pythons) de colliers de repérage munis de capteurs qui se déclenchent à la mort de l’animal. Ainsi, les experts peuvent retrouver le prédateur et l’éliminer plus facilement.
Une équipe de l’Université de Floride a également essayé d’installer des enclos de lapins vivants pour faire sortir les pythons de leur cachette. Pour éviter toute cruauté, les scientifiques s’assurent de bien nourrir les lapins, de leur donner des jouets et de les proposer à l’adoption par la suite.
De plus, Kirkland a cofinancé des projets visant à suivre les mouvements et le comportement des pythons, tels que celui de Miller, de l’Université de Floride, qui est parvenue à trouver un serpent posé sur un nid de 111 œufs, et qui en attendait encore 25 autres. Les femelles pondent généralement entre 40 et 100 œufs tous les deux ans.
Le biologiste travaille même avec des généticiens. L’une des idées les plus ambitieuses de ces derniers consiste à modifier les gènes des pythons de Floride afin de s’assurer qu’ils ne puissent donner naissance qu’à des mâles. Ce projet coûterait cependant très cher, prendrait des dizaines d’années pour réellement porter ses fruits, et requerrait de convaincre les contribuables de la pertinence d’une action destinée à élever, héberger et relâcher dans la nature des milliers de serpents génétiquement modifiés. « Mais ce n’est pas parce que c’est difficile que nous ne devons pas le faire, n’est-ce pas ? »
DOUTES ET ESPOIRS
« Parfois, je me demande si nous ne prolongeons pas simplement l’extinction de certaines de ces espèces [indigènes] », s’interroge Siewe. « J’espère que non. »
Pour l’instant, Kirkland soutient que « la détection et l’élimination constituent les moyens les plus efficaces dont nous disposons pour gérer le problème des pythons », et est plus enthousiaste quant à l’avenir de la situation.
« Lorsque je prendrai ma retraite, j’aimerais vraiment que les Everglades soient dans un meilleur état qu’aujourd’hui », confie-t-il. « J’ai bon espoir que nous parviendrons à réduire suffisamment la population de pythons pour permettre aux animaux indigènes de revenir. »
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Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.