Ces parents manchots survivent grâce à des micro-siestes de 4 secondes
Ce mode de sommeil atypique, que l’humain pratique aussi en cas d’épuisement, pourrait être une stratégie à court terme servant à répondre aux exigences intenses liées à l’élevage d’un oisillon en Antarctique.
Les manchots à jugulaire, comme ces spécimens de l’aquarium de Newport, dans le Kentucky, pondent généralement deux œufs à la fois.
Les parents en manque de sommeil connaissent la valeur d’une sieste éclair, mais les maîtres en la matière sont les manchots à jugulaire.
Lorsqu’ils nichent, ces oiseaux de l’Antarctique pratiquent des micro-siestes de quatre secondes, une stratégie qui permet aux parents de surveiller en permanence les œufs et les poussins vulnérables, tout en cumulant 11 heures de sommeil total par jour, selon une nouvelle étude.
« Ils semblent plongés dans un état de micro-sommeil perpétuel », explique Paul-Antoine Libourel, codirecteur de l’étude et biologiste au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
Ces résultats, publiés le 30 novembre dernier dans la revue Science, sont les derniers d’une série de récentes découvertes sur la grande diversité des stratégies de sommeil chez les animaux. En avril 2023, des chercheurs ont par exemple découvert que les éléphants de mer faisaient de courtes siestes lorsqu’ils plongaient sous les vagues. Citons également les grands dauphins, qui dorment avec la moitié de leur cerveau à la fois, laissant l’autre hémisphère éveillé et alerte (tout comme les frégates), ou encore les bécasseaux tachetés qui privilégient le sexe au sommeil pendant la saison des amours.
« Nous ne savons pas comment certains animaux, comme l’éléphant de mer, peuvent dormir deux heures par jour quand d’autres ont besoin de vingt heures de sommeil », explique Libourel.
LE SOMMEIL DES MANCHOTS
Difficile de dormir dans une colonie agitée de manchots à jugulaire en pleine nidification, au milieu des nombreux cris et vocalisations, et sous un soleil d’été qui éclaire l’Antarctique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Sans oublier l’odeur écœurante de l’ammoniaque mélangée à celle du poisson en décomposition et du guano des manchots.
Un manchot à jugulaire s’occupe de ses poussins dans les îles Shetland du Sud, en Antarctique.
« J’en avais le vertige », confie Won Young Lee, chercheur au Korea Polar Research Institute et co-chercheur principal de l’étude.
À l’instar des espèces voisines, les parents manchots à jugulaires se relaient pour garder le nid. Pendant qu’un oiseau protège les oisillons (généralement au nombre de deux), son partenaire part en mer à la recherche de nourriture, puis les manchots échangent leur place. Pendant les deux mois qui séparent la ponte des œufs de l’envol des oisillons, les parents doivent répondre à une série d’exigences ininterrompue.
« Les manchots peuvent nager 120 kilomètres par jour pour se nourrir. Même Michael Phelps n’en est pas capable. Il est donc bien pratique de pouvoir dormir en mode pilote automatique sur le retour », déclare P. Dee Boersma, spécialiste des manchots à l’université de Washington et exploratrice National Geographic.
Pour étudier comment les manchots parviennent à s'adapter à leur intense train de vie sans manquer de sommeil, Lee et son équipe ont d’abord attaché des biologgers (de petits capteurs alimentés par piles) sur le dos de quatorze manchots nicheurs des deux sexes. Ce dispositif fonctionne comme une montre connectée, mesurant l’activité physique, le pouls et les profondeurs océaniques qu’atteignent les oiseaux en quête de nourriture.
L’équipe a ensuite capturé sans cruauté chacun des manchots, les a anesthésiés pour fixer les dispositifs et implanter temporairement des électrodes dans leur crâne afin de mesurer leur activité cérébrale. Lorsqu’un animal est éveillé, son cerveau est en effervescence permanente ; lorsqu’il dort, en revanche, ses ondes cérébrales ralentissent et s’allongent.
Les parents se partagent la garde des œufs, chacun passant plusieurs jours à couver le nid avant de changer de poste. Les poussins éclosent au bout de 37 jours environ.
Quand Lee a commencé à examiner les données, il a été surpris de découvrir que les oiseaux (relâchés après l’étude) dormaient par intervalles de quatre secondes tout au long de la journée et de la nuit pendant qu’ils s’occupaient de leur œuf ou de leur poussin.
UNE STRATÉGIE À COURT TERME POUR PARENTS FATIGUÉS ?
Selon Chiara Cirelli, neuroscientifique à l’université du Wisconsin qui n’a pas participé à l’étude, quiconque s’est déjà assoupi brièvement dans le métro ou en regardant la télévision a fait l’expérience d’une micro-sieste.
Chez l’humain comme chez le manchot, le micro-sommeil survient en période de fatigue et d’épuisement. Cependant, en période de nidification, les manchots à jugulaire semblent se reposer presque exclusivement sur le micro-sommeil, explique Chiara Cirelli. Il est difficile d’étudier le sommeil dans des environnements naturels, aussi « le simple fait qu’ils aient pu enregistrer des données dans ces conditions constitue un exploit ».
Bien que les données soient convaincantes, Cirelli souligne que les chercheurs n’ont étudié les manchots que pendant les périodes de nidification, ce qui ne permet pas de savoir si les oiseaux ont recours aux micro-siestes en dehors de ces périodes.
L’autre défi consiste à comprendre l’impact du micro-sommeil sur le cerveau et le corps des manchots car si chez l’humain le manque de sommeil entraîne toute une série de problèmes de santé, on ignore si c'est aussi le cas chez les manchots.
Étant donné que les manchots à jugulaire dorment un peu plus longtemps lorsqu’ils plongent à la recherche de nourriture et après leur retour sur la terre ferme, Libourel estime que le micro-sommeil pourrait n’être qu’une stratégie d’adaptation à court terme pour les parents fatigués.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.