Le réchauffement climatique, nouvelle menace pour les baleines à bosse

Après avoir frôlé l'extinction en raison de la chasse excessive, le réchauffement des eaux pourrait désormais forcer les baleines à bosse à quitter leurs zones de reproduction historiques, un déplacement qui pourrait avoir de graves conséquences.

De Kieran Mulvaney
Publication 8 juin 2022, 20:46 CEST
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Une mère baleine à bosse et son petit nagent dans une baie protégée à Vava'u, dans le Royaume de Tonga.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Skerry, National Geographic Creative

Après être parvenue à se remettre en grande partie des longues décennies de chasse excessive, l’une des espèces de baleines les plus emblématiques pourrait désormais être directement menacée par le changement climatique. En effet, le réchauffement des eaux pourrait l’obliger à s’éloigner des zones tropicales dans lesquelles elle se reproduit traditionnellement.

Selon une nouvelle étude publiée dans Frontiers in Marine Science, l’augmentation prévue de la température de la surface de la mer implique que, d’ici la fin du siècle, de nombreuses zones de reproduction des baleines à bosse dépasseront leur plage de température historique. Associés au réchauffement de leurs aires d’alimentation et aux conséquences d’autres activités humaines, ces changements pourraient signifier que, même après des années de bon rétablissement, l’avenir des baleines à bosse n’est toujours pas assuré.

La baleine à bosse, peut-être la plus connue des grandes baleines, avec ses longues nageoires pectorales et son penchant pour les sauts hors de l’eau, est également célèbre pour ses chants longs, complexes et envoûtants. Puisqu’elle nage principalement dans les eaux côtières, elle est très tôt devenue une proie facile pour les baleiniers qui ont commencé à la cibler dès le 16e siècle et, au cours du 20e siècle, environ 250 000 individus ont été tués. Ces plusieurs centaines d’années de chasse intensive ont réduit leur population mondiale à seulement quelques milliers d’individus. Contrairement à d’autres populations de baleines qui se sont rétablies lentement, ou qui n’y sont jamais parvenues, les baleines à bosse ont connu un rebond important dans toute leur aire de répartition.

Par exemple, selon Philip Clapham, anciennement du Northwest Fisheries Science Center de la NOAA, aujourd’hui scientifique principal chez SeaStar Scientific, les populations qui migrent de l’Antarctique le long des côtes de l’est et de l’ouest de l’Australie « pourraient bien avoir été réduites à quelques centaines d’individus à l’époque où les Russes, alors l’Union soviétique, ont mis fin à leur chasse illégale dans les années 1960 ». Aujourd’hui, cependant, elles sont « des dizaines de milliers, avec une croissance forte et continue ». Il ajoute que « même la Géorgie du Sud (l’île), où la chasse à la baleine dans l’Antarctique a commencé en 1904 et où les baleines à bosse avaient été pratiquement éradiquées en 1915, a vu des baleines revenir en nombre significatif ces dernières années, et ce après des décennies passées sans en observer aucune ».

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Une baleine à bosse se nourrit de poissons qui se sont rassemblés dans les eaux chaudes de la baie de Monterey, en Californie.

PHOTOGRAPHIE DE Paul Nicklen, National Geographic Creative

UN RÉTABLISSEMENT MENACÉ

En été, les baleines à bosse se nourrissent dans les eaux froides des hautes latitudes, comme au large de l’Alaska, de l’Antarctique, de l’Islande, de la Norvège et de la côte est du Canada et des États-Unis, et migrent chaque année vers des eaux plus chaudes pour se reproduire. La raison exacte de leur migration n’est pas claire, mais plusieurs théories cherchent à l’expliquer : par exemple, l’objectif pourrait être d’éviter les orques prédateurs, qui sont beaucoup plus nombreux dans les zones d’alimentation froides, ou encore de rajeunir leur peau.

Une autre théorie est que les eaux tropicales permettraient aux nouveau-nés de canaliser leur énergie vers autre chose que la recherche de chaleur. « Ça ne veut pas dire qu’un petit pourrait mourir en naissant dans une eau froide mais que, dans une eau chaude, il pourrait canaliser davantage d’énergie pour sa croissance », explique Clapham. L’importance de l’eau chaude est par ailleurs indiquée par le fait que, dans toutes les zones de reproduction des baleines à bosse du monde, la température de surface de la mer se situe entre 21 et 28 °C environ.

La présence des baleines à bosse dans ces zones de reproduction a donné naissance à une industrie mondiale d’observation des baleines. À Hawaï, où environ 10 000 baleines à bosse voyagent chaque année depuis leurs zones d’alimentation au large de l’Alaska, cette industrie permet d’injecter plus de 11 millions de dollars (soit plus du 10 millions d’euros) par an dans l’économie de l’État.

Cependant, selon la nouvelle étude, le rétablissement des baleines à bosse, leurs migrations vers les zones de reproduction, et l’industrie de leur observation pourraient être menacés par le changement climatique. Dans cette étude, Hannah von Hammerstein et Renee Setter, doctorantes au département de géographie et d’environnement de l’université d’Hawaï à Manoa, ont travaillé avec des experts en baleines de leur université et de la Pacific Whale Foundation afin de prévoir l’augmentation de la température de surface de la mer dans les zones de reproduction de ces grandes baleines.

Ils ont ainsi constaté que, dans le cadre d’un scénario « moyen » de changement climatique, dans lequel la croissance économique se poursuit à des niveaux historiques mais est associée à des efforts limités pour réduire le réchauffement, 36 % des zones de reproduction des baleines à bosse de l’hémisphère nord et 38 % de celles de l’hémisphère sud connaîtraient des températures égales ou supérieures au seuil limite de 28 °C d’ici la fin du siècle. Toutefois, dans un scénario où les émissions de combustibles fossiles se poursuivent à un rythme soutenu, ces chiffres passent à 64 % dans l’hémisphère nord, et à 69 % au sud de l’équateur.

Ces résultats ont surpris les chercheuses.

« Nous nous attendions à ce que certaines zones de reproduction soient touchées », a déclaré von Hammerstein. « Mais lorsque nous avons examiné nos projections et que nous avons observé que les zones de reproduction devenaient rouges les unes après les autres, nous avons été stupéfaites. »

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    Une baleine à bosse montre sa nageoire caudale avant de plonger dans le détroit de Gerlache, en Antarctique.

    PHOTOGRAPHIE DE Paul Nicklen, National Geographic Creative

    DES CONSÉQUENCES ENCORE INCONNUES

    Compte tenu de la quantité limitée d’informations concernant les raisons pour lesquelles les baleines à bosse choisissent des zones de reproduction spécifiques, il est difficile de déterminer les conséquences précises d’un tel développement. S’il est possible, en théorie, que les baleines choisissent tout simplement de nouveaux endroits pour se reproduire et mettre bas, Stephanie Stack, co-autrice de l’étude, soutient que ce n’est pas aussi simple.

    « Nous ne savons pas où elles iraient si cet habitat ne leur était plus accessible », explique Stephanie Stack, biologiste en chef de la Pacific Whale Foundation. « L’habitat se dégrade partout dans le monde, donc nous ne savons pas du tout comment elles réagiront. » De plus, elle note que dans certaines zones, et notamment à Hawaï, où les masses continentales les plus proches sont la Californie, qui se trouve à plus de 3 000 kilomètres, et le Japon, à plus de 6 000 kilomètres, elles n’ont tout simplement pas de zones proches vers lesquelles elles pourraient se diriger facilement.

    Il est important de souligner que toute modification des zones de reproduction ne se produirait pas de manière isolée. Les baleines à bosse, comme les autres baleines, sont confrontées à une accumulation de menaces : les collisions avec les navires, la pêche, la pollution sonore sous-marine et d’autres activités humaines. Si la température augmente dans leurs zones de reproduction, elle le fera également dans leurs aires d’alimentation, avec des conséquences potentiellement encore plus graves.

    « Même si le seuil de température ne dépassera pas la température qu’elles préfèrent dans leurs aires d’alimentation, nous y constatons déjà des changements en raison du réchauffement des océans », explique Stack. Le sud-est de l’Alaska, par exemple, a connu une série d’épisodes d’eau chaude au cours des dernières années. L’un d’entre eux, une masse d’eau chaude connue sous le nom de « Blob », s’est étendu jusqu’au Mexique et a bouleversé la chaîne alimentaire marine, entraînant la fermeture des pêcheries, causant une chute importante du nombre de saumons et provoquant la mort, l’agonie et la famine de mammifères marins.

    « Par la suite, le nombre de baleines à bosse aperçues à Hawaï et dans le sud-est de l’Alaska a chuté pendant quelques années et, à ce jour, elles n’ont pas retrouvé leurs nombres antérieurs », continue Stack. « Nous ne savons pas si les baleines sont mortes à cause de ce phénomène ou si elles ont commencé à aller dans des zones différentes où nous ne les cherchons pas, ou peut-être un peu des deux. »

    L’idée que de tels changements pourraient augmenter en fréquence et en intensité et se propager pour affecter les zones de reproduction est « inquiétante », reconnaît von Hammerstein. « Mais je ne la vois pas comme étant purement négative, car les résultats montrent aussi qu’en mettant en œuvre des mesures d’atténuation et en réduisant les émissions, on peut gagner beaucoup », dit-elle.

    Pour cela, les auteurs de l’étude recommandent une protection accrue des zones de reproduction des baleines à bosse, et ce afin de renforcer leur résilience face aux menaces climatiques et de permettre une étude plus approfondie de la manière dont les baleines utilisent ces zones, mais aussi des raisons pour lesquelles elles le font.

    « Les baleines à bosse ont été célébrées car elles représentaient une réussite en matière de conservation, et à juste titre », déclare Stack. « Je pense qu’il est désormais de notre responsabilité de maintenir cette tendance et de faire ce que nous pouvons pour réduire les facteurs de stress supplémentaires qui ont lieu dans l’océan. Notre tâche n’est pas terminée. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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