Rencontre avec Sylvia Earle et Jessica Cramp, protectrices des océans

Sylvia Earle et Jessica Cramp se confient sur ce qui les inspirent et dévoilent comment nous pouvons aider à rendre ce monde plus propre.

De Brian Clark Howard
La biologiste marine Jessica Cramp nage au milieu des poissons dans les eaux des îles Galápagos.
La biologiste marine Jessica Cramp nage au milieu des poissons dans les eaux des îles Galápagos.
PHOTOGRAPHIE DE Kike Ballesteros, National Geographic
Ce contenu est le fruit d'un partenariat entre National Geographic et Rolex, conclu afin de promouvoir l'exploration et la sauvegarde de l'environnement. Les deux organisations unissent leurs forces afin d'apporter leur soutien aux explorateurs qui cherchent et trouvent des solutions destinées à protéger les merveilles de notre planète.

À 82 ans, Sylvia Earle est l'un des chefs de file les plus emblématiques et renommés de la protection des océans. Elle qui se bat pour les océans depuis plus de 50 ans et voyage désormais aux quatre coins du monde, partageant son temps entre exploration, sensibilisation du public et protection des océans. Dirigeants internationaux ou écoliers, tous la rencontrent.

Surnommée « Her Deepness » (Sa Profondeur en français) en raison des nombreux records d'exploration qu'elle a établis pendant sa longue carrière, Sylvia Earle confie que l'océan est essentiel à la vie sur Terre, quand même nous l'oublions souvent.

« L'océan ne se résume pas aux poissons », confie Sylvia Earle, qui est également Témoignage Rolex. « Pensez au cycle du carbone, pensez au climat, pensez à la chimie de la planète qui est à l'origine de la vie sur Terre. »

Sylvia Earle est une inspiration pour des millions de personnes dans le monde pour la protection de l'océan, et de façon plus générale de l'environnement, sont une préoccupation. L'exploratrice National Geographic Jessica Cramp est l'une d'entre elles. Depuis 2011, elle vit et travaille dans les îles Cook, où elle étudie les requins et les écosystèmes marins et lutte pour leur protection. Son travail a notamment aidé à la création du plus grand sanctuaire de requins au monde, qui se trouve dans les îles Cook.

Dans un entretien avec Sylvia Earle et Jessica Cramp, National Geographic est revenu sur la carrière des deux femmes et sur les menaces qui pèsent sur nos océans et notre planète.

 

Vous appartenez à des générations de femmes scientifiques différentes. Qu'avez-vous appris l'une de l'autre ?

SE : J'aime beaucoup le travail de Jessica. Elle est sur le terrain et se donne à 100 %. Elle saisit l'instant présent.

JC : Sylvia est une véritable source d'inspiration. Si je peux faire mon travail aujourd'hui, c'est grâce à elle et à quelques autres femmes qui ont ouvert la voie. Les choses sont plus simples pour moi qu'elles ne l'étaient pour vous Sylvia.*

 

Quels obstacles avez-vous toutes les deux rencontré ?

SE : Aujourd'hui, les hommes acceptent plus l'idée qu'une femme soit aussi compétente qu'eux. Mais il y a encore du chemin à parcourir.

JC : Oui, il y a encore beaucoup à faire à ce sujet, même là où je vis [les îles Cook]. J'étais récemment en charge d'une expédition là-bas et les locaux ne savaient pas comment gérer la situation. Ils s'adressaient toujours aux hommes de mon équipe s'ils avaient une question et disaient « Quoi ? C'est elle le chef ? Vraiment ? Elle doit vraiment être spéciale. » Ils m'ont aussi dit : « Pourquoi tu ne laisses pas les hommes travailler pendant que tu apprends le hula ? »

SE : On me posait des questions sur mes cheveux et mon rouge à lèvres avant. Ou pourquoi j'emportais un sèche-cheveux pendant les expéditions. Eh bien, ce n'était pas pour nos cheveux, mais pour nos oreilles. J'ai fini par comprendre que j'avais leur attention et qu'il serait bien d'en profiter pour parler des océans.

JC : Apparemment, je ne ressemble pas à une scientifique. C'est ce qu'un journaliste m'a récemment dit. À quoi ressemble un scientifique dans ce cas ?

 

JC : Sylvia, j'ai une question pour vous. Comment êtes-vous devenue scientifique ?

SE : Au début, je n'étais qu'un témoin. Lorsque j'étais petite, je vivais dans le New Jersey et j'ai vu les maisons sortir du sol là où il y avait des forêts. À l'âge de 12 ans, ma famille a déménagé en Floride, un monde merveilleux et complètement différent du New Jersey. Je passais mon temps dans la nature et dans la mer. Et puis, avec le temps, les constructions ont grignoté les espaces sauvages. La baie de Tampa a été transformée si vite. C'est pour ça que je suis devenue scientifique.

Au début, je voulais uniquement me concentrer sur la science. Mais l'attention des médias et du public m'a contrainte à sortir de ma coquille. Je me suis rapidement retrouvée face à la mairie de Chicago ou au Congrès, à parler de sujets importants.

 

Jessica, vous essayez souvent d'inclure les populations locales dans la sauvegarde des océans. Pourquoi est-ce si important ?

JC : Je suis une scientifique, mais le domaine dans lequel je travaille requiert l'action des pouvoirs publics. Dans tout ce que j'entreprends, travailler avec les populations locales est essentiel, sinon les projets de protection de l'environnement n'auront pas assez de soutien et ne deviendront pas réalité.

 

Sylvia, vous avez souvent affaire à des acteurs locaux et internationaux. Comment faites-vous pour gérer cela ?

SE : Il est nécessaire de travailler avec les populations locales tout comme avec les présidents, les ministres, les dirigeants d'entreprise et tous les autres acteurs. Il ne faut pas oublier les pêcheurs : ils sont tout le temps sur l'eau et savent beaucoup de choses sur les océans. Ce sont d'ailleurs souvent eux qui remarquent en premier quelque chose, comme des prises moins importantes. Il arrive souvent que les scientifiques ne parviennent pas à mobiliser les individus qui peuvent le mieux servir leur travail.

En tant que scientifiques, nous devons transmettre notre savoir au public. En général, les gens sont en faveur de la création de zones protégées parce qu'ils comprennent pourquoi elles sont nécessaires.

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    Sylvia Earle montre une algue à un visiteur.
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    PHOTOGRAPHIE DE Bates Littlehales, National Geographic

    Vous avez toutes deux utilisé des technologies avant-gardistes au service de la protection des océans. À quel point sont-elles importantes ?

    SE : Les avancées technologiques, comme celle de l'équipement de plongée, ont permis à des millions d'individus de se jeter à l'eau. Rachel Carson n'a pu faire de la plongée qu'une fois dans sa vie : elle portait un casque de plongée en cuivre et n'est descendue qu'à 3 mètres de profondeur à l'aide d'une échelle, dans une eau trouble. Imaginez si elle avait eu l'opportunité de voir ce que les plongeurs amateurs peuvent aujourd'hui observer. L'équipement de plongée s'est considérablement amélioré et en plus, des outils très pointus ont fait leur apparition, comme les drones, les ROV, les sous-marins et les centres de surveillance.

     

    JC : Vous avez même vécu sous l'eau, non ?

    SE : Oui, à 10 reprises. En passant autant de temps sous l'eau, j'ai fait une découverte capitale : j'ai appris à voir les poissons comme des individus. Ils ne se comportent pas tous de la même façon ; ils ont chacun leur propre caractère.

    JC : Puisque nous parlons de technologie, je tiens à préciser que je travaille beaucoup avec des données obtenues grâce à la surveillance satellitaire. Ces informations nous permettent de savoir où les navires de pêche jettent leurs filets et s'ils le font dans des zones où ils ont le droit. La surveillance satellitaire est essentielle pour faire respecter la loi. Elle permet aussi de suivre les mouvements de nombreux requins et oiseaux marins qui ne restent pas au sein des parcs ou réserves ou quittent le pays.

    SE : Grâce au travail des scientifiques et à l'utilisation des systèmes de surveillance satellitaire, la vitesse des cargos a été abaissée dans les corridors de migration essentiels aux baleines et aux tortues.

    JC : La technologie nous a aussi aidé à pousser en faveur de politiques qui protègent ce qui nous tient à cœur.

    SE : C'est une aubaine à la fois pour la science et pour la pêche. Les magazines de pêche sont remplis de publicité qui annoncent qu'à cause des sonars, les poissons n'ont nulle part où se cacher. La géolocalisation précise est aussi importante pour les scientifiques que pour les pêcheurs, puisqu'elle permet à ces derniers de retourner à l'endroit exact où ils se sont déjà rendus. Au début de ma carrière de scientifique, il était extrêmement difficile de retrouver le même endroit deux fois dans l'océan.

     

    Parlons requins maintenant. Vous avez toutes deux vécu des expériences incroyables avec ces animaux. Pourquoi les gens sont-ils si fascinés par les requins ?

    JC : Pour moi, les requins sont un symbole des océans. Les enfants les adorent, certains adultes aussi tandis que d'autres en ont peur. Mais dans les deux cas, ils sont fascinés par les requins. Cette fascination peut être utilisée pour leur faire découvrir les menaces qui pèsent sur l'océan. 

    SE : J'appelle parfois les requins « dinosaures honoraires ». Les requins sont un très bon indicateur de l'état de santé des océans : ils sont nombreux dans les récifs coralliens en bonne santé, et absents des récifs en mauvaise santé. Ces poissons sont considérés comme les prédateurs ultimes, mais ce n'est pas le cas. Nous sommes les plus grands prédateurs.

    Sylvia Earle observe une immense éponge tubulaire dans les eaux de Bonaire.
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    PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, National Geographic

    Malgré tous les défis que vous rencontrez dans votre travail de sauvegarde de l'environnement, qu'est-ce qui vous motive ?

    SE : Jessica.

    JC : Je suis très touchée. Pour moi, Sylvia. Et savoir que l'on peut résoudre ces problèmes, dont les citoyens ont bien plus conscience désormais. Nous n'avons plus d'excuses pour rester inactifs. De nombreux politiques savent quels sont les problèmes et sont disposés à agir. Il ne reste plus qu'à se lancer.

     

    JC : Je voulais vous demander Sylvia, il y a des moments difficiles dans ce travail. qu'est-ce qui vous aide les à surmonter ?

    SE : C'est plusieurs choses. D'abord, je crois en l'Homme et en notre capacité à réagir. Je crois aussi en la force de la Nature. Il y a aujourd'hui plus de tortues et de baleines dans les océans que lorsque j'étais enfant. Alors qu'il ne restait plus que quelques Bernache néné, leur nombre repart aujourd'hui à la hausse. Les exemples similaires ne manquent pas.

     

    Quel conseil souhaitez-vous donner aux générations futures qui s'intéressent à la protection des océans ?

    SE : Les enfants n'ont pas d'idées préconçues comme les adultes, donc cela fait plaisir de voir qu'ils sont intéressés par ces enjeux. Ils posent des questions et veulent trouver des réponses. Bien que cela puisse être difficile, je pense qu'il est essentiel que chacun d'entre nous retrouve sa part d'enfant, car l'océan est en danger.

    JC : J'espère que la prochaine génération parviendra à vivre en harmonie avec l'environnement.

     

    Comment pouvons-nous contribuer au quotidien à rendre l'océan plus propre ?

    SE : Si vous êtes un enfant, allez dans la nature avec un adulte pour essayer de lui montrer ce que l'avenir nous réserve. Si vous êtes un adulte, faites de même avec un enfant. Lorsque vous sortez en mer, en particulier dans les « Hope Spots » [ou points d'espoir en français, ndlr] des endroits très importants pour la sauvegarde de l'environnement, partagez vos photos et vos informations car elles peuvent aider.

    JC : Poussez vos responsables politiques à agir. Faites du volontariat.

    SE : Si aujourd'hui, nous vivons mieux et plus longtemps, c'est en partie parce que nous savons vivre sainement. Une consommation importante de fruits et légumes est essentielle pour mieux vivre, et en plus, cela réduit notre impact sur la planète et les espèces. Nous avons le choix et il est nécessaire de respecter les autres formes de vie car elles existent et qu'elles ont toutes leur importance. Tout cela fait de nous ce que nous sommes. Le moment idéal pour agir est là, tout de suite maintenant.

     

    Cette interview a été éditée et condensée.

    Cet article est initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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