Conservation : 2021, une année noire et des lueurs d’espoir
L’année 2021 a livré de belles avancées pour préserver notre patrimoine naturel et culturel. Dans les actions menées en faveur des espèces menacées, des océans et de notre passé se lisent à la fois notre espoir et notre humanité.
Lancé dans une ambitieuse expédition scientifique, le grimpeur Alex Honnold entame la première partie de son ascension du Weiassipu. Il s’agit d’une de ces montagnes tabulaires, appelées « tepuys », qui s’élèvent au-dessus de la jungle à la jonction entre Guyana, Brésil et Venezuela. Des millions d’années d’érosion ont façonné ces lieux difficiles d’accès où des espèces ont évolué, isolées de leurs cousines sur les tepuys voisins. À cause du changement climatique et de la menace du champignon chytride sur les amphibiens du monde entier, l’erpétologiste et Explorateur pour National Geographic Bruce Means cherche à identifier de nouvelles espèces locales, avec l’aide notamment d’Alex Honnold. Son but : comprendre, avant leur disparition, comment elles se sont adaptées à leur écosystème.
Quand la famille des seize éléphants d’Asie s’est mise en marche vers le nord, personne ne savait où ils allaient, ni pourquoi. Personne ne s’y est vraiment intéressé, d’ailleurs. Les éléphants franchissent parfois les limites de la réserve naturelle nationale de Xishuangbanna du sud de la province du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine, mais ils reviennent toujours. Pas cette fois.
Les seize mois suivants, ils ont piétiné des récoltes, pris des bains de boue et parcouru 500 km jusqu’à la capitale de la province, Kunming, et ses 8 millions d’habitants. Leur périple en a fait des célébrités mondiales – et un casse-tête pour les autorités. En plus du risque de les voir charger les badauds, ils ont causé près de 500 000 euros de dégâts.
Le plus simple aurait été de leur administrer des tranquillisants et de les rapatrier dans leur réserve. Mais l’opération était risquée. Les autorités ont donc préféré faire appel à une force spéciale chargée de garder tout le monde en sécurité – éléphants et humains. Des drones traquaient les moindres mouvements des pachydermes. Des tonnes de maïs, de bananes et d’ananas ont servi d’appâts pour les éloigner des villes. Barrières électriques et barrages routiers les ont guidés vers des itinéraires plus sûrs. Résultat : des dizaines de milliers de personnes mobilisées et un coût de centaines de milliers d’euros.
En cette année 2021 éprouvée par le changement climatique, les conflits et la Covid-19, certains diront qu’il était inutile de recourir à de telles mesures pour sauver des éléphants.
Ils pourraient en dire autant de la construction d’un musée, de la consolidation des mégalithes de Stonehenge ou de la quête d’une espèce de grenouille sur des monts inexplorés.
Meibae, orphelin de 3 ans recueilli au sanctuaire des éléphants de Reteti, au Kenya, boit son biberon d’un trait. Jusque-là, les éléphanteaux étaient nourris au lait maternisé. Mais, à cause du confinement, il était difficile pour le personnel du sanctuaire de se rendre à Nanyuki pour s’y approvisionner. Les gardiens ont donc inventé leur propre recette à partir du lait de chèvre proposé par les pasteurs locaux. Nourrissant, moins cher, il permet au sanctuaire de Reteti de contribuer à l’économie locale. En tissant des liens plus forts entre villageois et éléphants, cette initiative encourage une coexistence pacifique.
Mais préserver notre héritage naturel et humain, comme s’efforcer de soigner une maladie ou d’arrêter une guerre, est une façon de cultiver le bien dans le monde. Une nature sauvage et des objets anciens nous sont aussi nécessaires que la santé et la paix. Ils nous aident à donner du sens à notre histoire. Ils sont notre passé, notre présent et notre avenir.
Ce n’est cependant pas un jeu à somme nulle. Nous pouvons à la fois protéger des éléphants, développer des vaccins et reconstruire Notre- Dame. 2021 en est la preuve.
Les efforts engagés en faveur de la conservation ont été de vraies lueurs d’espoir dans une année sombre. Cela ne signifie pas pour autant que la crise de la biodiversité est derrière nous. Des plantes et des animaux disparaissent toujours à un rythme alarmant ; des écosystèmes continuent de se détériorer. Et les dégâts infligés à des sites millénaires, du changement climatique aux explosifs en tous genres, sont bien réels.
Érigé il y a environ 5 000 ans dans le sud de l’Angleterre, Stonehenge a fait l’objet d’une première mesure de conservation en 1901. En effet, la chute d’un des sarsens (blocs de grès) et de son linteau menaçaient la sécurité du public. En septembre dernier, des travaux de comblement des fissures et de réfection des joints au mortier ont été engagés pour stabiliser les pierres et les protéger de l’érosion. Deux mois plus tôt, un juge avait déclaré illégal le projet de tunnel pour l’autoroute située tout à proximité. De nombreux archéologues craignaient qu’un tel chantier détruise des objets non encore découverts.
Mais nous avons aussi beaucoup fait pour protéger l’héritage mondial. Nous avons permis au thon rouge de l’Atlantique de sortir de la liste des espèces en danger. Nous avons remis en cause des projets de forages pétroliers dans l’Arctique. Nous avons vu des milliers d’objets pillés revenir en Irak et des objets sacrés rendus au peuple arrernte, dans le centre de l’Australie. Et nous avons aidé une famille d’éléphants embarquée dans un périlleux voyage à retourner sur son territoire.
« Alors que 2021 s’achève, j’éprouve à la fois de la peur et de l’espoir pour la nature », confie Gladys Kalema-Zikusoka, Exploratrice pour National Geographic, fondatrice et P-DG de Conservation Through Public Health (« Préservation par la santé publique »). Cette ONG ougandaise œuvre à la protection des gorilles, à la santé communautaire et à la viabilité des moyens d’existence des populations des réserves et des parcs nationaux. « J’ai peur parce que les menaces sur la nature augmentent, poursuit-elle. Mais j’ai aussi de l’espoir parce que les conditions climatiques extrêmes auxquelles nous sommes confrontés et le choc provoqué par la pandémie de Covid-19 ont mené à une plus grande prise de conscience des risques et de la nécessité d’agir. »
Le vétérinaire Michael Njoroge (à gauche) et deux membres du Kenya Wildlife Service examinent un guépard quasi inconscient, probablement blessé par un autre animal. Cosmas Wambua (à droite), cofondateur d’Action for Cheetahs in Kenya (« Agir pour les guépards au Kenya »), et le garde Ljalu Lekalaile se préparent à l’assister. Pendant trois jours, l’équipe a tenté de le sauver, en vain. Les gardes l’avaient prénommé Nichole, clin d’œil à la photographe Nichole Sobecki, Exploratrice pour National Geographic, qui était venue réaliser un reportage sur le calvaire du félin. Moins de 7 000 guépards survivent dans la nature.
En novembre, les éléphants étaient rentrés chez eux, en Chine, sains et saufs. On ignore les raisons de leur départ, mais, selon une théorie, le nombre d’éléphants dans la province du Yunnan ayant augmenté, ils ont pu éprouver le besoin d’étendre leur territoire. On pourrait y voir une bonne nouvelle pour cette espèce en danger. Mais cette aventure apporte un autre enseignement : le monde que nous avons créé et le monde que la nature a créé sont intimement liés. Pour le meilleur ou pour le pire.
Cet article a initialement paru dans le numéro de janvier 2022 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine.