Manger de la viande aurait de "graves" conséquences pour la planète
Pour nourrir une population mondiale croissante et lutter contre le changement climatique, les scientifiques nous recommandent de changer radicalement nos régimes alimentaires.
Toute une industrie s'est construite autour des régimes alimentaires. La plupart des produits sont destinés à aider les personnes à perdre du poids, à prendre de la masse musculaire ou à vivre plus longtemps.
Mais alors que la population mondiale ne cesse de croître, les scientifiques se bousculent pour mettre au point un régime alimentaire capable de nourrir 10 milliards d'individus d’ici 2050.
Un nouveau rapport, publié dans la revue médicale britannique The Lancet, prétend apporter la réponse tant recherchée. Ce rapport recommande une alimentation essentiellement végétalienne, avec de petites allocations occasionnelles pour la viande, les produits laitiers et le sucre. Le rapport a été rédigé par un groupe de 30 scientifiques du monde entier qui étudient la nutrition ou les politiques alimentaires. Pendant trois ans, ils ont délibéré dans le but de formuler des recommandations que les gouvernements pourraient adopter pour relever le défi de nourrir une population mondiale en constante progression.
« Même une faible augmentation de la consommation de viande rouge ou de produits laitiers rendrait cet objectif difficile voire impossible à atteindre », résume le rapport.
Les auteurs du rapport ont tiré leurs conclusions en étudiant les différents effets secondaires de la production alimentaire. Ils comprenaient les gaz à effet de serre, l'utilisation de l'eau pour les cultures, l'azote ou le phosphore provenant des engrais, ainsi que la dégradation de la biodiversité si une région était transformée en terres agricoles. En considérant tous ces facteurs, les auteurs du rapport estiment que les gaz induisant certains effets du changement climatique pourraient être réduits et que suffisamment de terres pourraient être réservées pour nourrir la population mondiale.
Selon les conclusions du rapport, la consommation de viande et de sucre dans le monde devrait baisser de 50 %. La consommation de viande variera en fonction des personnes et des besoins des pays ou régions, analyse Jessica Fanzo, une des auteurs du rapport et professeur de politique alimentaire et d'éthique à l'Université Johns Hopkins. La consommation de viande aux États-Unis, par exemple, devrait baisser et être remplacée par des fruits et des légumes. Mais d'autres pays déjà confrontés à une malnutrition sévère pourraient incorporer de la viande dans environ 3 % de leur alimentation.
« Nous nous trouverons dans une situation difficile », si aucune mesure n'est prise, dit Fanzo.
LA TENDANCE VÉGÉTALIENNE
Les recommandations visant à réduire notre consommation de viande ne sont pas nouvelles. En octobre dernier, une étude publiée dans la revue Nature a établi des directives similaires pour réduire la consommation de viande et de sucre.
Ce en quoi ce nouveau rapport diffère, selon Jessica Fanzo, c'est dans les étapes décrites pour mettre en place un tel changement.
Ce que les auteurs appellent la « grande transformation alimentaire » est décrite comme une série de stratégies allant de la moins active, le simple partage d'informations, à la plus agressive, l'élimination du choix du consommateur.
« Je pense que c'est difficile pour les gens au quotidien, car les stimuli et les structures politiques en place ne facilitent pas les choses » continue Jessica Fanzo. Le rapport souligne que le type de pratiques agricoles bénéficiant de subventions est l’un des moyens permettant de réorganiser le système alimentaire. Cela modifierait les prix relatifs des aliments et créerait donc des incitations à la consommation.
Selon Fanzo, la question de savoir si un plan comme celui-ci pourrait réellement se développer à travers le monde est une autre histoire.
Greg Miller est le responsable scientifique du US National Dairy Council. En plus de citer les bienfaits du lait pour la santé, comme le calcium et la vitamine D, il met en garde contre toute transformation du paysage alimentaire mondiale, d'autant plus que l'activité de millions de personnes dépend des produits laitiers, notamment celles qui travaillent dans des fermes ou qui sont employées par l'industrie laitière.
Peut-on rendre la production laitière plus durable ? « Nous pourrions y arriver avec les bonnes incitations et les bonnes politiques », déclare Miller. « Des subventions sont nécessaires pour mettre en place de meilleurs outils technologiques. [Les petits agriculteurs] n'ont pas de revenus supplémentaires pour faire certaines choses qui pourraient être faites. »
DÉBATS SUR LES ÉMISSIONS
Tous les experts ne sont pas convaincus que les régimes à base de plantes constituent une panacée pour la sécurité alimentaire. Frank Mitloehner, un scientifique animalier de l'Université de Californie, a exprimé son opinion sur le fait que la production de viande était liée de manière disproportionnée aux émissions carbone.
« Ce qui me préoccupe le plus, c'est que même si l'élevage a un impact, le rapport donne l'impression qu'il est la principale source d'émissions carbone. Or de loin, l'utilisation de combustibles fossiles est la principale source de ces émissions », déclare Mitloehner.
Selon l'EPA, la combustion de combustibles fossiles pour l'industrie, l'électricité et les transports constitue l'essentiel des émissions de gaz à effet de serre. L'agriculture représente 9 % des émissions et le bétail environ 4 %.
Mitloehner est également en désaccord avec la méthode utilisée par le conseil pour déterminer la quantité de gaz à effet de serre produite par le bétail, affirmant que trop de poids avait été attribué au méthane lors des calculs. Comparé au carbone, le méthane reste dans l'atmosphère pendant une période relativement courte. Les scientifiques peinent à s'accorder sur le laps de temps exact, mais des études ont montré que le méthane joue un rôle important dans le réchauffement des océans.
RÉDUIRE LE GASPILLAGE ALIMENTAIRE
Bien que les recommandations diététiques du rapport fassent l'objet de critiques, ses efforts pour réduire le gaspillage alimentaire sont mieux accueillis. Aux États-Unis seulement, près de 30 % de toute la nourriture produite est jetée.
Le rapport présente aussi des stratégies pour réduire les déchets. Une meilleure technologie de stockage et une meilleure détection des traces de contamination pourraient aider les entreprises à réduire la quantité d'aliments jetés, mais l'éducation des consommateurs est également présentée comme une stratégie efficace.
Changer les habitudes alimentaires des populations et réduire le gaspillage alimentaire sont des perspectives décourageantes pour beaucoup. Cependant, Kathryn Kellogg, auteure du livre 101 façons de réduire à néant les déchets, avance que réduire ses déchets lui a permis de réduire ses dépenses alimentaires à 250 dollars (220 euros) par mois.
« Il y a tellement de façons créatives d'utiliser nos aliments pour éviter le gaspillage, et j'ai l'impression que la plupart des gens ne les connaissent pas », dit-elle. Elle dit savoir comment cuisiner chaque partie d'un légume et être constamment consciente de la nourriture présente dans son réfrigérateur, deux des habitudes les plus efficaces pour réduire le gaspillage.
Kathryn Kellogg vit toutefois en Californie près de quartiers dotés de marchés de producteurs accessibles. Pour d'autres communautés vivant dans ce que l'on appelle les déserts alimentaires - les régions où les épiceries ou les marchés ne sont pas légion - il peut être plus difficile d'accéder aux fruits et légumes frais.
« Toutes les actions que nous recommandons sont déjà disponibles et faisables », déclare Fanzo. « Ce ne sont pas des technologies du futur, elles ne sont tout simplement pas encore établies à grande échelle. »
Les commissaires du rapport organiseront des événements de lancement dans plus de 30 pays à travers le monde à partir de jeudi. Ils prévoient de faire appel à des organisations internationales telles que l'ONU en tant que responsables potentiels de l'application de leurs nouvelles directives.