Nouveau rapport du GIEC : "C’est maintenant ou jamais"
Selon le GIEC, le monde n’a plus que trois ans pour mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles et ainsi limiter le réchauffement climatique à des niveaux soutenables.
Des éoliennes installées à Mojave, en Californie. Un nouveau rapport de l’ONU sur le climat affirme que la transition immédiate des énergies fossiles vers les énergies renouvelables est le seul moyen de limiter les effets les plus graves du changement climatique dans le monde.
Si les émissions de gaz à effet de serre n’arrêtent pas d’augmenter d’ici trois ans, et ne sont pas divisées par deux d’ici 2030, le monde connaîtra probablement des effets climatiques extrêmes, d’après le nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU.
Selon le rapport publié ce lundi, Changement climatique 2022 : atténuation du changement climatique, si des actions immédiates ne sont pas entreprises, l’humanité ne parviendra pas à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C : le seuil à partir duquel l’avenir sera assuré d’être marqué par des incendies, des sécheresses, des tempêtes, et bien plus encore. Si elles continuent à augmenter à leur rythme actuel, les émissions de gaz à effet de serre risquent cependant de provoquer un réchauffement deux fois plus important : environ 3,2 °C d’ici 2100.
« C’est maintenant ou jamais, si nous souhaitons limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C », a affirmé Jim Skea, coprésident du GIEC qui a réalisé le rapport, lors d’une conférence de presse. « Si nous ne réduisons pas nos émissions de manière immédiate et significative dans tous les secteurs, ce sera impossible. »
Les niveaux de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère terrestre n’ont jamais été aussi élevés de toute l’histoire de l’humanité. En 2020, les émissions ont chuté considérablement à cause des confinements liés à la pandémie mais, en 2021, ils ont égalé, voire surpassé les records atteints deux ans plus tôt : en 2019, ils étaient déjà 12 % plus élevés qu’en 2010, et 54 % plus élevés qu’en 1990, lorsque le tout premier rapport du GIEC a été publié.
Skea a cependant souligné que « les preuves de l’action climatique se multiplient ». Le taux d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre a été plus lent entre 2010 et 2019 qu’au cours de la décennie précédente ; et il existe désormais des technologies et des politiques qui pourraient permettre de réduire fortement les émissions, si la volonté politique de les mettre en œuvre est présente.
« Nous sommes à la croisée des chemins », a ajouté Hoesung Lee, président du GIEC, lors de la conférence de presse. « Les décisions que nous prenons aujourd’hui peuvent nous assurer un avenir vivable. Nous avons à disposition les outils et le savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement. »
Voici quelques-uns des points les plus importants à retenir de ce rapport.
LA TRANSITION VERS UNE ÉNERGIE PROPRE EST DE PLUS EN PLUS ABORDABLE
Pour espérer limiter le réchauffement à 1,5 °C, l’utilisation du charbon doit être réduite de 95 % dans le monde entier, et les consommations de pétrole et de gaz de 60 % et 45 % respectivement, d’ici à 2050. Heureusement, pour de nombreuses personnes dans de nombreuses régions du monde, installer de nouvelles énergies propres coûte moins cher qu’exploiter les énergies fossiles existantes et, souvent, coûte également moins cher que d’installer de nouvelles infrastructures à base de combustibles fossiles.
Entre 2010 et 2019, le coût de l’énergie solaire et des batteries lithium-ion a diminué de 85 % en moyenne, et celui de l’énergie éolienne a diminué de 55 %. Ces baisses ont permis un déploiement beaucoup plus large de ces technologies : par exemple, l’utilisation des véhicules électriques a été multipliée par 100 au cours de cette même décennie, et l’énergie solaire est désormais 10 fois plus répandue dans le monde, bien que ces chiffres varient considérablement d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre.
« Nous avons, du moins dans la phase de recherche, de développement et de démonstration, toutes les technologies nécessaires pour décarboniser notre économie, et celles qui n’ont pas encore été développées pourront l’être rapidement si les bonnes politiques sont mises en place », affirme Genevieve Guenther, directrice et fondatrice de l’association End Climate Silence, et autrice du livre The Language of Climate Politics, à paraître prochainement. « Comme nous l’avons vu lors de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’au début certains d’entre nous utilisaient un cheval et un boquet et à la fin nous avions appris à diviser des atomes, les êtres humains sont capables de réaliser des merveilles quand ils veulent bien s’y mettre. »
LES POLITIQUES ET LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT SONT LES PRINCIPAUX OBSTACLES
De nombreux pays ont instauré des politiques qui ont permis d’améliorer l’efficacité énergétique, de réduire les taux de déforestation, ou encore d’accélérer le déploiement de technologies d’énergie propre. D’autres se sont engagés à réduire leurs émissions dans le cadre de l’accord de Paris. Cependant, les objectifs de nombreux pays ne sont pas assez ambitieux, tandis que d’autres pays ont promis de réduire radicalement leurs émissions mais ne prennent pas les actions nécessaires pour le faire.
« Certains gouvernements et chefs d’entreprises disent une chose, mais en font une autre », a affirmé le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, suite à la publication du rapport. « Autrement dit, ils mentent. Et les conséquences seront catastrophiques. »
Selon le rapport du GIEC, « sur la seule base des aspects technologiques et financiers, l’atténuation des émissions pour limiter le réchauffement à 1,5°C est réalisable ». Les obstacles sont « la politique, les relations de pouvoir et les intérêts du statu quo qui bloquent les politiques climatiques, notamment l’élimination progressive des combustibles fossiles. Cela inclut les campagnes de désinformation qui cherchent activement à affaiblir la foi en la science du climat. »
« C’est la première fois que je vois un rapport du GIEC donner autant d’importance à la désinformation », déclare Alexander Barron, professeur assistant en sciences et politiques environnementales au Smith College dans le Massachusetts. « En tant que scientifique travaillant sur la politique climatique, j’ai vu des soi-disant experts dont le message a été amplifié par des groupes de réflexion financés par l’industrie des combustibles fossiles. J’ai vu des acteurs être engagés pour se présenter à des réunions publiques... »
En outre, le rapport soutient que les financements dans les énergies renouvelables « sont bien en deçà de ce qui est nécessaire » et sont même insignifiants en comparaison des subventions accordées aux combustibles fossiles. Il conclut que la simple suppression de ces subventions pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 10 % d’ici à 2030.
DES RÉDUCTIONS FORTES ET RAPIDES DES ÉMISSIONS DE MÉTHANE SONT FONDAMENTALES
Bien que sa durée de vie soit plus courte et qu’il soit moins abondant dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone, le méthane est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant. D’ici 2050, il devrait représenter 60 % des émissions de gaz à effet de serre autres que le CO2. Toutefois, comme il est moins persistant dans l’atmosphère, des réductions importantes de ses émissions pourraient permettre de réduire rapidement son impact sur le réchauffement climatique.
L’un des moyens les plus efficaces d’y parvenir serait de cibler les émissions « fugitives », c’est-à-dire le méthane qui s’échappe dans l’atmosphère lors de l’extraction et du transport du gaz naturel, ou depuis les puits de pétrole abandonnés depuis longtemps. Le GIEC estime que les émissions fugitives représentent environ 32 % du méthane rejeté dans l’atmosphère au niveau mondial et 6 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre.
L’ÉLIMINATION DU CO2 : UNE MESURE ESSENTIELLE À COURT TERME – MAIS PAS SANS RÉSERVES
Compte tenu de la lenteur des progrès réalisés pour réduire la quantité de gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère, le rapport affirme qu’il sera vital, dans l’intervalle, d’éliminer une partie de ceux qui y sont déjà présents. Selon certaines estimations, 10 gigatonnes de CO2 (soit plus que la production annuelle totale des États-Unis) devront être éliminées de l’atmosphère chaque année d’ici 2050. Toutefois, certaines des méthodes utilisées pour y parvenir sont susceptibles de présenter des inconvénients plus importants que d’autres.
« Nous avons pris tellement de temps pour entreprendre les actions nécessaires qu’il n’est pas étonnant que certains de ces modèles considèrent que l’élimination du dioxyde de carbone a un rôle à jouer, en particulier si nous voulons maintenir l’augmentation de la température en dessous de 1,5 °C », explique Barron. « Il est presque toujours plus facile de ne pas émettre de dioxyde de carbone en premier lieu. Mais il y a beaucoup de choses sur la liste du rapport, comme la reforestation, l’amélioration de la gestion des forêts, de meilleures pratiques agricoles, ou la protection des écosystèmes côtiers, qui capturent naturellement du dioxyde de carbone et qui sont également bénéfiques pour la biodiversité et les besoins des populations locales, et que nous voudrions donc probablement mettre en place de toute façon. Ce qui est problématique, c'est que certaines personnes voudraient qu’une technologie magique s’occupe du problème à notre place. »
Pour cela, le rapport soulève que certains efforts d’élimination du carbone, tels que la reforestation (planter des forêts là où il n’y en a pas) et la conversion de terres pour la production de biocarburants, peuvent avoir des effets négatifs sur la biodiversité et sur les besoins des populations locales, tandis que la fertilisation des océans (ensemencer les couches supérieures des océans avec des nutriments afin de favoriser la croissance du plancton) pourrait entraîner des modifications des écosystèmes ainsi qu’une acidification des eaux plus profondes.
Pour avoir deux chances sur trois de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous des 2 °C, les modèles prévoient que, d’ici à 2100, nous devrons pomper entre 170 et 900 milliards de tonnes de dioxyde de carbone de l’atmosphère, en utilisant l’une des deux technologies suivantes, ou les deux ensemble, conclut le rapport du GIEC.
Dans la première, la BECSC, des plantes sont brûlées dans des centrales électriques, et le CO2 qui en résulte est capté au niveau de la cheminée et enfoui sous terre, ce qui entraîne une élimination nette de CO2 de l’atmosphère. Dans la seconde, la DAC, des machines aspirent littéralement le CO2 dans l’air par le biais d’une réaction chimique.
Les deux technologies présentent de sérieux inconvénients, selon leurs détracteurs. Pour cultiver suffisamment de plantes pour la BECSC, il faudrait leur consacrer d’immenses étendues de terres agricoles. La DAC, quant à elle, est encore extrêmement coûteuse.
URGENT, MAIS PAS IMPOSSIBLE
John Kerry, envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat, qualifie le rapport de « moment décisif pour notre planète », et affirme qu’il montre que « nous ne sommes pas à la hauteur dans notre combat pour éviter les pires conséquences de la crise climatique ». Il ajoute toutefois que « nous disposons des outils nécessaires pour atteindre nos objectifs, réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, atteindre le zéro émission nette d’ici à 2050 et garantir une planète plus saine et plus propre ».
Malgré l’urgence soulignée par les conclusions du rapport, Barron tient à mettre en garde contre l’idée selon laquelle, si les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter après 2025, la bataille sera perdue.
« Même si nous devions dépasser les 1,5 °C, chaque dixième de degré qui nous séparera des 2 °C conduira à une réduction énorme de la quantité de personnes en souffrance », souligne-t-il. « Nous devons vraiment accélérer ce que nous faisons de manière drastique sur tous les fronts, et plus nous attendons pour le faire, plus les dégâts climatiques seront importants. »
« La plus grande incertitude du rapport du GIEC est de savoir ce que feront les gens, et cela n’échappe pas à notre contrôle. Nous pouvons choisir de nous engager dans une voie ou dans une autre. La question est de savoir à quel point les gens voudront bien se battre. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.