De quoi sont faites les étoiles ? Ou comment Cecilia Payne a changé la physique à jamais

En 1925, Cecilia Payne achève son doctorat et révolutionne l'astronomie en suggérant pour la première fois que les étoiles et la Terre ne sont pas faites du même bois.

De Liz Kruesi
Publication 7 janv. 2025, 10:56 CET
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Fruit de la collaboration entre la NASA et l'Agence spatiale européenne, le télescope spatial Hubble se porte ici témoin de la mort spectaculaire d'une étoile semblable à notre Soleil. L'étoile met fin à ses jours en se délestant de ses couches de gaz extérieures qui forment alors un cocon autour de son noyau. La lumière ultraviolette émise par l'étoile mourante fait scintiller la matière. Devenue naine blanche, l'étoile est réduite au point de lumière visible au centre de l'image. Notre Soleil finira lui aussi par se consumer et s'envelopper de débris stellaires, mais pas avant cinq milliards d'années. La nébuleuse planétaire photographiée ci-dessus est appelée NGC 2440. La naine blanche qui occupe le centre de NGC-2440 est l'une des plus chaudes de l'univers à notre connaissance, avec une température de surface atteignant les 200 000 °C. NGC 2440 se situe à environ 4 000 années-lumière de la Terre dans la direction de la constellation de la Poupe. La matière expulsée par l'étoile brille de différentes couleurs en fonction de sa composition, de sa densité et de sa proximité avec l'étoile. Le bleu correspond à l'hélium, le bleu-vert à l'oxygène et le rouge à l'azote et à l'hydrogène.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, ESA, and K. Noll (STScI)

Voilà des millénaires que l'Homme scrute les étoiles, depuis le jour où l'un de nos ancêtres a eu la bonne idée de lever les yeux au ciel. Tout au long de notre histoire, leur éclat sur le fond noir de la voûte céleste a esquissé des figures lumineuses qui ont guidé nos boussoles et fixé nos calendriers, forgé des légendes et inspiré moult générations d'artistes et de poètes. Cependant, la relation entre l'humanité et les étoiles a connu un virage majeur en 1925, lorsqu'une jeune étudiante a percé le mystère de ces étonnants feux follets et jeté les fondements de la physique des étoiles.  

Cette brillante astronome dotée d'une intuition sans pareille s'appelait Cecilia Payne. À tout juste vingt-quatre ans, elle venait de démontrer que la Terre et les étoiles n'avaient pas grand-chose en commun et que derrière ces dernières se cachaient en fait des sphères flamboyantes essentiellement composées d'hydrogène et d'hélium, les deux éléments les plus simples et les plus légers de l'univers.

« C'est une étape majeure dans notre compréhension de l'univers », indique Anna Frebel, astrophysicienne au sein du Massachusetts Institute of Technology.

À l'instar de nombreuses hypothèses ou découvertes opposées aux grandes théories de leur époque, les conclusions de Payne n'ont pas échappé au scepticisme de ses pairs. Son statut de jeune femme en lutte contre le statu quo à une époque où les experts de la discipline étaient exclusivement des hommes n'a fait qu'exacerber les tensions.

De nos jours, la thèse soutenue par Payne à l'issue de son doctorat occupe une place centrale dans la bibliothèque de tout bon spécialiste de la physique stellaire, ses plus de deux cents pages écornées par l'âge et l'usure. Pour les scientifiques, l'ouvrage est aujourd'hui un chef-d'œuvre de la littérature astronomique, un modèle de raisonnement. « Il incarne le souci du détail », déclare l’astrophysicienne Meridith Joyce de l'université du Wyoming à propos du travail de Payne. « C'est précis et très courageux. »

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L'astronome Cecilia Payne (Payne-Gaposchkin après son mariage) est la première à avoir imaginé que les étoiles étaient principalement composées d'hydrogène et d'hélium, avec un soupçon d'éléments plus lourds, dans sa thèse soutenue en 1925 à l'issue de son doctorat.

PHOTOGRAPHIE DE Science History Images, Alamy Stock Photo

 

ENQUÊTE STELLAIRE

Au début du 17e siècle, nous avons commencé à construire et à utiliser des télescopes. Après avoir pris conscience de la prévalence des étoiles dans le ciel nocturne, nous avons constaté leur tendance à s'agglutiner en formant des « nébuleuses ».

Deux siècles plus tard, nous avons commencé à utiliser des prismes pour disperser la lumière du soleil en un arc-en-ciel de couleurs. Après quelques années de perfectionnement, les astronomes ont constaté qu'en plaçant un prisme entre la lentille d'un télescope et un détecteur, ils pouvaient capturer la lumière de l'étoile. Le prisme permettait de diviser la lumière de l'étoile puis de la projeter sur une plaque photographique imbibée d'une émulsion. L'interaction entre les photons de la lumière et cette émulsion faisait apparaître une marque noire. La plaque laissait ainsi deviner une alternance de zones sombres et d'espaces vides correspondant à une couleur précise de la lumière, le tout constituant la signature lumineuse de l'étoile.  

Au milieu du 19e siècle, les chercheurs ont découvert que la lumière émise par des gaz chauffés en laboratoire produisait différents spectres lumineux, une alternance de traits de couleur et d'espaces vides. Les physiciens ont réalisé qu'ils pouvaient utiliser ces traits de couleur pour déterminer la composition chimique du gaz.

Il s'est avéré que les matériaux de la croûte terrestre présentaient des spectres similaires à ceux observés pour les étoiles, c'est pourquoi les astronomes ont pensé que le Soleil et toutes les étoiles étaient composés des mêmes matériaux que la Terre. « Il n'y avait aucune raison de penser que les objets de l'univers étaient différents de ce que nous observions sur Terre », résume Joyce.

 

QUI ÉTAIT CECILIA PAYNE ?

Cecilia Payne est née le 10 mai 1900 à Wendover, en Angleterre. D'après son autobiographie, elle étudie les sciences et la musique durant son adolescence, avant de bénéficier d'une bourse qui lui permet d'intégrer le Newnham College de l'université de Cambridge en 1919.

Après s'être inscrite en botanique, Payne s'oriente finalement vers la physique dès sa première année. Elle s'initie à la physique atomique d'Ernest Rutherford, l'homme qui a découvert que chaque atome possédait un noyau chargé positivement, et de Niels Bohr, qui a étudié le comportement des électrons autour de ce noyau.

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    Les travaux de Payne ont grandement influencé nos connaissances actuelles sur l'évolution des étoiles et des galaxies. Les régions où naissent les étoiles qui constellent les bras de cette galaxie spirale, NGC 3982, sont riches en hydrogène. 

    PHOTOGRAPHIE DE NASA, ESA, and the Hubble Heritage Team (STScI, AURA)

    Cette année-là, Payne assiste par hasard à une conférence donnée par Arthur Eddington au Trinity College, lors de laquelle ce dernier dévoile les résultats de son expédition pendant l'éclipse solaire totale de 1919. Pendant cette conférence, Eddington confirme la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein et Payne tombe amoureuse de l'astronomie.  

    En 1923, elle quitte l'Angleterre pour les États-Unis afin d'étudier à l'observatoire de l'université Harvard et au Radcliffe College de Cambridge, dans le Massachusetts. « Elle a rejoint le seul endroit où les femmes pouvaient réussir » en astronomie, déclare Thom Burns, l'actuel conservateur des photographies astronomiques de l'observatoire.

    Lorsque Payne entre à l'observatoire, tous les astronomes et les étudiants sont des hommes. Une dizaine de femmes travaillent pour l'observatoire, mais uniquement en tant que computers (en français, calculatrice), un terme désignant les assistantes de laboratoire responsables des calculs. Dans le cas de l'observatoire, ces femmes étaient chargées d'analyser les caractéristiques des étoiles et de suivre l'évolution des étoiles visibles. Titulaire d'une bourse de recherche, le rôle de Payne était différent de celui des autres femmes.

    Son directeur, Harlow Shapley, lui suggère dans un premier temps de reprendre les travaux d'une calculatrice, Henrietta Swan Leavitt, qui avait réalisé que les variations de lumière de certaines étoiles pouvaient être utilisées pour mesurer des distances, mais Payne n'est pas intéressée par le projet de Leavitt. « Elle voulait plutôt se concentrer sur les décennies de plaques spectroscopiques dont personne ne s'était préoccupé », indique Burns.  

    Ces plaques à émulsion renfermaient la signature des étoiles et aucune institution n'en possédait autant que l'université Harvard. Une autre calculatrice, Annie Jump Cannon, avait commencé à classer les étoiles selon ces signatures. Payne souhaitait poursuivre son travail en associant ses connaissances acquises au Newnham College sur les mécanismes de l'atome aux théories récentes de la physique et de la chimie pour comprendre les étoiles.

     

    LA PHYSIQUE DES ÉTOILES

    À l'époque, la physique était un domaine de recherche en plein essor et les nouvelles théories abondaient à travers le monde.

    Une équipe de chercheurs était parvenue à expliquer l'origine des spectres gravés sur les plaques de verre : la transition des électrons entre les niveaux d'énergie qui entourent le noyau d'un atome, un phénomène qui émet ou absorbe de la lumière dont la couleur, c'est-à-dire la longueur d'onde, dépend spécifiquement de l'atome en question. Par exemple, dans un atome de carbone, un électron absorbe ou émet toujours la même longueur d'onde pour atteindre un niveau d'énergie supérieur ou revenir au niveau initial. En quelques années, les expériences en laboratoire ont permis de déterminer pour chaque élément les longueurs d'onde associées à ces transitions énergétiques.

    En analysant les raies caractéristiques du spectre d’une étoile, les scientifiques ont remarqué que les couleurs manquantes, ou les espaces libres, correspondaient parfaitement à certains éléments atomiques. Ils pouvaient désormais identifier les éléments qui entraient dans la composition de l'étoile. Le spectre d'une étoile présente des espaces vides, ou raies d'absorption, à l'endroit où les gaz qui composent son atmosphère absorbent l'énergie issue de son noyau.

    La plupart de ces études menées en laboratoire impliquaient des éléments neutres, alors que les gaz qui composent les étoiles sont soumis à des températures et des pressions extrêmes. Personne n'avait encore mesuré l'impact de ces conditions extraordinaires sur le spectre lumineux des différents éléments.

    Payne a associé les préceptes de la physique atomique de l'époque à une « idée brillante » du physicien indien Meghnad Saha, comme le précise la scientifique dans son autobiographie. Saha venait tout juste d'étudier le comportement des gaz à différentes températures et densités, plus précisément le déplacement des électrons dans les environnements extrêmes.

    COMPRENDRE : Les étoiles

    En tenant compte des conditions extrêmes de température et de pression au sein des étoiles, Payne a calculé l'intensité des raies spectrales sur les plaques conservées à Harvard. « Les différentes raies présentent toujours une certaine intensité relative », indique Frebel. À partir de ce constat, Payne pouvait calculer l'abondance des éléments au sein des étoiles.

    Au terme de ses recherches, Payne a démontré que les deux éléments chimiques les plus légers, l'hydrogène et l'hélium, étaient incroyablement abondants dans les étoiles, alors que les éléments plus lourds étaient nettement moins prévalents. Ses travaux ont également identifié les facteurs qui affectent la forme des raies observées : la température et la pression des gaz. Selon Steven Kawaler, astrophysicien à l'université d'État de l'Iowa, comprendre ces formes et cette signature lumineuse « est essentiel pour utiliser les spectres afin de saisir la dynamique des atmosphères stellaires ». Pour Payne, ajoute-t-il, les raies d'absorption ne servaient pas uniquement à mesurer la température et l'abondance des éléments, mais à comprendre les mécanismes physiques qui régissent les étoiles.

     

    L'OMNIPRÉSENCE DES ÉTOILES

    Cecilia Payne a soumis sa thèse en 1925 et obtenu dans la foulée son doctorat en astronomie du Radcliffe College. Au départ, ses contemporains étaient sceptiques. L'astronome Henry Norris Russell de Princeton, l'un des plus éminents spécialistes de physique stellaire de l'histoire, figurait parmi ses détracteurs les plus acharnés. En considération de ses critiques, Payne concéda ces quelques mots au sujet de l'hydrogène et de l'hélium : « L'abondance colossale estimée pour ces éléments dans l'atmosphère stellaire est presque certainement fausse. »

    Alors que le reste du texte déborde de confiance, reprend Kawaler, cette déclaration était une « éviction temporaire d'un résultat pourtant très prometteur ». À peine quatre ans plus tard, Russel ne manqua pas de confirmer les conclusions de Payne.

    Grâce à cet ouvrage, « nous avons pu saisir les possibilités offertes par la spectroscopie stellaire », indique Frebel, qui étudie le spectre des étoiles pour traquer leurs doyennes. Les découvertes de Payne ont aidé les futurs chercheurs à comprendre les mécanismes à l'œuvre sous la surface d'une étoile au cours de sa vie, comment l'énergie produite au centre de l'étoile se déplace vers les couches supérieures et pourquoi certaines étoiles meurent dans un murmure alors que d'autres provoquent de véritables cataclysmes.

    « Les étoiles sont omniprésentes, conclut Joyce. Tout ce que nous connaissons dans l'univers dérive des étoiles. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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