Encelade, lune glacée de Saturne, abrite les six éléments essentiels à la vie

Le phosphore, le plus rare des six éléments essentiels à la vie, a été détecté dans l'océan glacé d'Encelade : une découverte qui fait du satellite l'un des lieux les plus prometteurs en matière de recherche de vie extraterrestre.

De Charles Q. Choi
Publication 15 juin 2023, 17:36 CEST
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Avec son diamètre avoisinant les 500 kilomètres, Encelade se classe en sixième position des lunes de Saturne par la taille. Sur cette illustration, on la voit cracher des panaches de vapeur, mais une analyse récente des grains de glace de ce corps lointain indique une présence de phosphore, un élément essentiel à la vie.

Illustration de Tobias Roetsch, Future Publishing, Getty Images

Du phosphore, le plus rare des éléments essentiels à la vie, a été découvert pour la première fois dans un océan situé au-delà de la Terre, sur la lune glacée de Saturne, Encelade.

Le phosphore contribue à la fertilité des sols sur notre planète, et selon les chercheurs, les concentrations de cet élément vital pourraient être au moins 100 fois plus élevées dans les eaux cachées d’Encelade que dans nos océans terrestres. Les nouvelles découvertes suggèrent en outre que les mers d’autres mondes glacés pourraient s’avérer chargées en phosphore, comme Europe, la quatrième plus grande lune de Jupiter, et Titan, la plus grande lune de Saturne.

Les phosphates sont une forme de phosphore essentielle aux composants clés de la vie sur Terre, tels que l’ADN, l’ARN et les membranes plasmiques. Des six éléments nécessaires à la vie (le carbone, l’hydrogène, l’azote, l’oxygène, le phosphore et le soufre), le phosphore « est de loin le moins répandu dans l’univers », révèle Frank Postberg, planétologue à l’Université libre de Berlin.

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Cette image améliorée et colorisée montre l'immense étendue du panache de vapeur.

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Cette image fortement améliorée et colorisée montre l'immense extension du panache de glace et de vapeur.

Photographies de NASA, JPL, Space Science Institute

Ainsi, le phosphore est le seul de ces six éléments qui n’avait encore jamais été détecté dans des océans non terrestres. Cependant, en 2004, la sonde spatiale Cassini a commencé à observer les poussières du deuxième anneau extérieur de Saturne, l’anneau E, composé de grains de glace rejetés par Encelade. En étudiant les grains mesurés par l’analyseur de poussière cosmique de Cassini, les scientifiques sont désormais parvenus à détecter l’élément pour la première fois, une découverte qu’ils ont détaillée dans une nouvelle étude parue dans la revue Nature.

Sixième plus grande lune de Saturne, Encelade ne fait que 505 kilomètres de diamètre. Lorsque la sonde Cassini est arrivée dans le système saturnien en 2004, les scientifiques pensaient trouver une boule de glace gelée. L’année suivante, ils ont toutefois détecté des panaches de vapeur d’eau et de particules glacées s’échappant de geysers à la surface du satellite, révélant l’existence d’un océan situé sous sa coque de glace.

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    Postberg, l’auteur principal de la nouvelle étude, avait précédemment découvert avec ses collègues que cet océan subglaciaire pourrait aussi contenir des molécules organiques complexes.

    Selon Carolyn Porco, planétologue et cheffe de l’équipe d’imagerie de la sonde Cassini, qui n’a pas participé à la nouvelle étude, cela fait d’Encelade « le lieu le plus prometteur de notre système solaire, et le plus facile à atteindre, en matière de recherche d’une vie extraterrestre ».

     

    À LA RECHERCHE DU PHOSPHORE CACHÉ

    Jusqu’à présent, personne n’avait encore détecté de phosphore ni dans la glace d’Encelade, ni dans celle d’autres mondes similaires ; les spécialistes se demandaient donc si ces derniers pouvaient être habitables. « Les [scientifiques] se demandaient vraiment si le phosphore n’était pas une condition de la possibilité d’émergence de la vie », décrit Postberg.

    Les précédents modèles d’Encelade et d’autres mondes recouverts d’océans ne s’accordaient pas quant à la potentielle présence de quantités significatives de phosphates dissous dans ces eaux glacées. « Les phosphates n’aiment pas se dissoudre dans l’eau, et sont donc en principe plus difficiles à trouver dans les océans », poursuit le planétologue.

    Des recherches avaient ainsi suggéré que les phosphates pourraient être piégés dans les noyaux rocheux de ces mondes, mais des travaux plus récents ont révélé qu’ils pourraient bel et bien également s’avérer abondants dans les océans.

    Sur 345 grains de glace provenant de l’anneau E de Saturne et examinés par la sonde Cassini entre 2004 et 2008, les scientifiques ont détecté neuf grains contenant des phosphates.

    Gauche: Supérieur:

    Cette représentation d'artiste dévoile une vue en coupe de l'intérieur d'Encelade. La sonde Cassini de la NASA a découvert que la lune glacée possédait un océan mondial, et probablement une activité hydrothermale.

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    Selon les scientifiques, de puissantes cheminées hydrothermales pourraient éjecter des matériaux du noyau rocheux d'Encelade vers son océan subglaciaire. Après s'être mélangés à l'eau, ces matériaux sont libérés dans l'espace sous forme de vapeur d'eau et de grains de glace.

    Photographies de NASA, JPL-Caltech

    « Le plus surprenant a été de constater à quel point les signatures des phosphates dans les données sont claires, elles ne laissent place à aucun doute. Il a fallu des années pour analyser ce grand nombre de données, mais de mon point de vue, cette détection est irréfutable », affirme Postberg.

    « Il est étonnant que Postberg et d’autres [spécialistes] soient parvenus à trier les grains et à extraire le signal du phosphore aussi efficacement », confie Chris McKay, astrobiologiste au Ames Research Center de la NASA à Moffett Field, en Californie, qui n’a pas participé à cette étude. « Ce travail d’enquêteur est vraiment impressionnant. »

    Des travaux récents ont également suggéré, non sans controverse, la détection de phosphine, un composé de phosphore et d’hydrogène, dans les nuages de Vénus. Cependant, en ce qui concerne Encelade, « il n’y a pas de controverse : les phosphates et la phosphine sont bien différents », affirme Gabriel Tobie, planétologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui n’a pas participé à la nouvelle étude menée par Postberg.

    Sur Encelade, les phosphates, qui sont des composés de phosphore et d’oxygène, « ne nécessitent pas de réactions hors normes, tandis que la présence de phosphine sur Vénus serait beaucoup plus difficile à expliquer », explique Tobie.

     

    L’EXPLORATION CONTINUE

    En se basant sur les niveaux de phosphates observés sur les grains de glace, les scientifiques ont estimé que les concentrations de phosphore étaient 100 à 1 000 fois plus élevées dans les eaux d’Encelade que dans nos océans terrestres. Selon les expériences menées en laboratoire, ce phénomène serait possible car, tout comme le soda, l’océan d’Encelade serait riche en carbonates dissous. « Cet océan de soude est capable de dissoudre les phosphates présents dans les roches d’Encelade », explique Postberg.

    En outre, les eaux des mondes glacés du système solaire externe, tels que Pluton et Triton, la plus grande lune de Neptune, devraient elles aussi regorger de carbonates, ce qui suggère qu’elles pourraient elles aussi dissoudre les phosphates présents dans les roches, selon Postberg. La mission Europa Clipper de la NASA, dont le lancement vers la lune Europe est prévu en 2024, pourrait permettre de détecter des phosphates dans les grains de glace rejetés par cette dernière.

    Bien que la détection de phosphates sur Encelade ouvre des perspectives intéressantes, le petit nombre de grains de glace examinés ne répond pas à toutes les questions des spécialistes. De futures recherches seront donc nécessaires afin de déterminer si ces phosphates sont réellement répandus dans l’océan d’Encelade, ou s’ils ne sont présents qu’à quelques endroits seulement, note Tobie.

    « La prochaine étape consistera à retourner sur Encelade et, à l’aide d’outils appropriés, à rechercher des biomarqueurs organiques », conclut McKay.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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