Le télescope James Webb est désormais utilisé pour chasser des astéroïdes

Les astéroïdes peuvent provoquer de graves dégâts. Pour mieux nous protéger contre cette menace, des scientifiques ont eu l'idée de recourir à la puissante vision infrarouge du JWST.

De Robin George Andrews
Publication 19 déc. 2024, 17:41 CET
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Cette séquence d'images prises par le télescope spatial James Webb de la NASA (JWST) montre les conséquences de l'impact intentionnel du Test de déviation d'un astéroïde double (DART) de la NASA sur le petit astéroïde Dimorphos. Cette animation inclut des images prises juste avant l'impact jusqu'à 5 heures après celui-ci.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, ESA, CSA, Cristina Thomas, Ian Wong

Le télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA est un engin remarquable capable de réaliser de nombreuses prouesses, comme observer des galaxies qui se sont formées juste après le Big Bang, examiner des planètes lointaines, ou zoomer sur les mondes et les lunes de notre propre système solaire… mais la liste de ses talents ne s’arrête pas là. De nouvelles recherches, publiées ce mois-ci dans la revue scientifique Nature, ont révélé que le JWST est aussi étonnamment doué pour observer de petites roches spatiales, dont certaines ne mesurent que quelques dizaines de mètres de long, ce qui en fait les plus petites roches jamais découvertes dans la ceinture principale d’astéroïdes de notre système solaire, située entre Mars et Jupiter.

La mission du JWST n’est pas de repérer de nouveaux astéroïdes, mais d’observer d’un peu plus près certains étranges objets célestes situés très loin de la Terre. « De manière générale, les spécialistes des exoplanètes ne s’intéressent pas aux astéroïdes », révèle Artem Burdanov, co-auteur de l’étude et planétologue au Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Pour celles et ceux qui étudient les galaxies et planètes lointaines, les astéroïdes constituent davantage un obstacle gênant, plutôt qu’un objet digne d’intérêt. « Les astrophysiciens sont confrontés à la présence non désirée d’astéroïdes dans leurs données depuis qu’ils ont commencé à recourir à la photographie au 19e siècle et les ont qualifiés de "vermine du ciel" », explique Andy Rivkin, astronome planétaire au Johns Hopkins Applied Physics Laboratory dans le Maryland, qui n’était pas impliqué dans l’étude publiée début décembre.

Des astéroïdes ne cessaient de s’immiscer dans les clichés de mondes lointains que Burdanov essayait d’étudier ; c’est pourquoi, avec ses collègues, le scientifique s’est demandé s’il était possible d’utiliser l’observatoire le plus avancé de l’Histoire dans un nouvel objectif : faire la chasse aux astéroïdes. Leurs résultats prouvent que le JWST est bel et bien capable de les repérer, et ce même s’il ne cherche pas à le faire dans le cadre de sa mission.

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Gauche: Supérieur:

Le télescope spatial James Webb a été conçu pour répondre à de grandes questions sur le cosmos, mais sa capacité à capter la lumière infrarouge en fait un outil de choix pour la détection des astéroïdes.

Illustration de Adriana Manrique Gutierrez, NASA
Droite: Fond:

En 2023, les données du JWST ont révélé le fonctionnement de la ceinture d'astéroïdes de Fomalhaut. Ce système planétaire, qui est relativement proche du nôtre, possède en réalité trois ceintures, dont deux ceintures intérieures qui n'avaient encore jamais été découvertes.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, ESA, Reuters, Redux

Grâce à ces travaux, les astronomes peuvent désormais mieux comprendre la ceinture d’astéroïdes, qui est composée des débris engendrés par la formation du système solaire interne ; et il est toujours utile de repérer davantage de ces capsules temporelles rocheuses en vue d’une étude future.

Cette nouvelle utilisation pourra également servir aux spécialistes qui s’attèlent à empêcher ces roches spatiales d’entrer en collision avec la Terre. En effet, l’un des principes fondamentaux de la défense planétaire est de trouver les astéroïdes potentiellement dangereux avant qu’ils ne nous trouvent. Le JWST ne deviendra pas un chasseur d’astéroïdes à plein temps du jour au lendemain, mais selon Rivkin, il est indéniable qu’il aura « un rôle à jouer dans la défense de notre planète ».

 

LA BRILLANCE DES ROCHES SPATIALES

Les astéroïdes les plus importants en matière de défense planétaire sont les astéroïdes géocroiseurs, dont l’orbite autour du Soleil s’approche à 45 millions de kilomètres ou moins de l’orbite terrestre. Tout astéroïde avoisinant les 140 mètres de long a la capacité de détruire une grande ville, mais les plus petits peuvent eux aussi provoquer d’immenses dégâts. Un astéroïde de quelques dizaines de mètres de long peut ainsi, s’il touche directement sa cible, détruire une ville entière en créant une explosion aérienne comparable à une explosion nucléaire non radioactive. Cependant, plus un astéroïde est petit, plus il est difficile de le repérer, ce qui rend la défense planétaire contre ces objets particulièrement difficile.

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    Un technicien se tient devant six des segments recouverts d'or du miroir du télescope spatial James Webb (JWST). La capacité d'observation dans l'infrarouge du JWST lui permet de voir à travers une grande partie de la poussière qui obscurcit la lumière visible.

    PHOTOGRAPHIE DE David Higginbotham, MSFC, NASA

    La plupart des observatoires dédiés à la recherche d’astéroïdes se basent sur le reflet de la lumière du soleil sur leur surface. Toutefois, un petit astéroïde, s’il est doté d’une surface réfléchissante, peut briller tout autant qu’un astéroïde plus grand et moins réfléchissant. Cette méthode n’est donc pas la plus fiable pour déterminer la taille d’un astéroïde.

    L’idéal serait d’utiliser un télescope capable de voir la lumière infrarouge afin de détecter leurs signaux thermiques. « Nombre de ces objets sont beaucoup plus brillants dans le spectre infrarouge », explique Julien de Wit, co-auteur de l’étude et planétologue au MIT. Dans l’infrarouge, un astéroïde plus imposant brillera toujours plus qu’un petit, quel que soit son revêtement extérieur, ce qui en fait un outil bien plus fiable pour estimer sa taille.

    Le JWST étant doté d’une capacité d’observation infrarouge très avancée, De Wit et Burdanov ont eu l’idée d’essayer de l’utiliser à leur avantage. Restait à déterminer si cela était possible.

    Pour ce faire, les scientifiques se sont tournés vers une méthode mise au point dans les années 1990 : le « shift-and-stack ». Supposons qu’un télescope capture plusieurs images d’une même partie de l’espace, et qu’un astéroïde apparaisse sur celles-ci sous la forme d’une très faible source lumineuse en déplacement. Si l’on superpose plusieurs clichés de cette faible source tout en la suivant dans ses déplacements au fil des images, il est possible d’amplifier la « luminosité » de la source, et ainsi déterminer de quel type d’objet il s’agit : dans ce cas, d’un astéroïde.

    L’équipe a vérifié si cette méthode fonctionnait en utilisant deux observatoires terrestres dédiés à la recherche d’exoplanètes. Le résultat s’est révélé plus que positif : des centaines de petits objets (des astéroïdes de la ceinture principale aux roches spatiales qui suivent Jupiter) ont été repérés, dont potentiellement quarante-trois qui n’avaient pas encore été détectés.

    L’équipe a ensuite concentré ses efforts sur TRAPPIST-1, un système situé à 40 années-lumière de la Terre qui abrite plusieurs exoplanètes rocheuses. Sur les 10 000 images déjà prises par le JWST, l’équipe a identifié 138 nouveaux astéroïdes dans la ceinture principale de celui-ci, d’une taille allant d’environ 600 mètres de long à seulement quelques mètres de diamètre.

    Les astéroïdes d’une ceinture principale situés dans une orbite stable ne représentent aucun danger. Cette étude montre toutefois qu’il est possible d’utiliser le JWST, pendant qu’il effectue d’autres tâches, pour identifier des astéroïdes qui, même s’ils sont petits, sont suffisamment grands pour constituer une menace potentielle. Ensuite, si nécessaire, le JWST peut s’associer à d’autres observatoires pour suivre ces astéroïdes et déterminer si l’un d’entre eux est en train de se diriger vers notre planète.

     

    TOUS LES OUTILS SONT BONS À PRENDRE

    Le plus souvent, le JWST est occupé à étudier le cosmos lointain. « Les astéroïdes ne sont pas beaucoup observés », indique Sabina Raducan, planétologue à l’Université de Berne, en Suisse, qui n’était pas impliquée dans la nouvelle étude. « Toutefois, il est vraiment intéressant de voir tous les types de sciences que nous pouvons faire en observant simplement quelque chose d’autre » sur une même image.

    En effet, recourir au JWST pour trouver des astéroïdes n’a que des avantages, car cela n’enlève rien à l’efficacité de ses missions principales ; la découverte de Burdanov et son équipe est donc la bienvenue. La NASA travaille néanmoins à la conception d’un autre télescope spatial baptisé Near-Earth Object Surveyor (ou NEO Surveyor) équipé de détecteurs infrarouges et entièrement dédié à cette mission. Celui-ci devrait être lancé dans les prochaines années.

    De Wit tient à souligner que le JWST ne détrônera pas le NEO Surveyor avant même son lancement, et n’écartera pas non plus les observatoires terrestres qui sont déjà très efficaces pour repérer des astéroïdes, tels que l’observatoire Vera-C.-Rubin au Chili, un télescope optique de nouvelle génération qui devrait permettre d’identifier des millions de nouveaux astéroïdes au cours de sa première année d’exploitation.

    « Le JWST n’empiètera en aucun cas sur leur mission », affirme de Witt, mais d’après les recherches de son équipe, il permettra d’aider à la bonne défense de notre planète. Si le JWST capture le même astéroïde sur plusieurs images, on peut commencer à déterminer son orbite et, avec l’aide d’autres observatoires, déterminer s’il s’agit ou non d’un astéroïde de la ceinture principale en passe de devenir un astéroïde géocroiseur.

    « Si l’on découvre un impacteur potentiel, le JWST sera le meilleur outil pour obtenir des informations préliminaires sur sa taille, sa composition, etc. Celles-ci pourront être utilisées pour planifier des mesures d’atténuation et aider à concevoir d’éventuelles missions de reconnaissance », précise Rivkin. Il est essentiel de connaître les propriétés d’un astéroïde qui est en train de se diriger vers la Terre afin de déterminer s’il est préférable de tenter de le dévier ou de le détruire totalement.

    En fin de compte, cette étude confirme une fois de plus que le JWST est « un outil vraiment formidable » qui peut être utilisé à bien plus de fins que nous le pensions, admet Burdanov ; et lorsqu’il s’agit de défendre notre planète contre de potentielles menaces mortelles, tous les outils sont bons à prendre.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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