Les fossiles d'anciens hominidés ont été envoyés dans l'espace
Des morceaux d'ossements fossilisés appartenant à deux espèces éteintes d'hominines faisaient partie du troisième vol de tourisme spatial organisé par Virgin Galactic.
Les fossiles de deux espèces humaines primitives, Australopithecus sediba et Homo naledi, ont été lancés en orbite à bord du VSS Unity de Virgin Galactic le 8 septembre 2023. Il s'agissait du troisième voyage commercial vers l'espace de la société.
Virgin Galactic a annoncé avoir réussi son troisième vol commercial vers l’espace, mais cette fois-ci, le groupe de voyageurs n’était pas uniquement constitué de riches investisseurs. Deux passagers très différents étaient également à bord : les fossiles d’humains primitifs découverts dans le « berceau de l’humanité », en Afrique du Sud.
C’est en hommage à la soif d’exploration de l’humanité que ces ossements fossilisés, provenant de deux espèces éteintes, Australopithecus sediba et Homo naledi, ont voyagé aux côtés des trois astronautes privés, deux pilotes et un instructeur d’astronaute à bord du VSS Unity. Réalisé à l’aide d’un avion-fusée, le vol a atteint les 90 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre pour faire brièvement découvrir la microgravité aux passagers, avant de revenir au site de lancement dans la ville de Truth or Consequences, au Nouveau-Mexique.
L'explorateur National Geographic en résidence, Lee Berger (à gauche), a joué un rôle central dans l'étude des deux espèces humaines primitives envoyées dans l'espace à bord du vol de Virgin Galactic. C'est son fils, Matthew (à droite), qui a découvert le fossile d'Australopithecus sediba en Afrique du Sud en 2008, alors qu'il n'avait que 9 ans.
C’est la première fois que le fossile d’une espèce primitive d’hominines est envoyé dans l’espace. Selon l’entrepreneur et philanthrope Timothy Nash, qui transportait les fossiles dans sa poche pendant le vol, ce voyage représentait l’occasion de réfléchir à l’esprit audacieux de nos lointains parents.
« Ces espèces primitives et leurs proches parents participaient presque tous à un voyage de découverte et d’exploration tandis qu’ils évoluaient, quittaient l’environnement dans lequel ils se trouvaient et commençaient lentement à peupler le monde. »
DES ESPÈCES ANCIENNES
Les deux espèces n’ont toutes les deux rejoint les archives scientifiques que relativement récemment. Lee Berger, paléoanthropologue et explorateur National Geographic en résidence, joue un rôle central dans les recherches relatives à ces dernières. C’est en effet son fils, Matthew, qui a découvert la clavicule fossilisée d’Australopithecus sediba en Afrique du Sud en 2008, alors qu’il n’était qu’un enfant ; Berger, quant à lui, est responsable de la découverte, avec une équipe « d’astronautes souterrains », du fossile d’Homo naledi dans une autre grotte sud-africaine en 2013.
Bien que les deux espèces soient classées dans le groupe des hominines, une « tribu » dont Homo sapiens est aujourd’hui le seul survivant, les débats relatifs à leurs compétences, leur vie et leur position dans notre arbre généalogique, sont encore d’actualité.
Si Berger et ses collègues estiment qu’Australopithecus sediba pourrait être un ancêtre direct de l’Homme, selon d’autres scientifiques, cette idée est peu probable du fait de la chronologie de l’existence de l’espèce et de sa morphologie. En effet, Australopithecus sediba vivait il y a environ 1,98 million d’années, soit 800 000 ans après le premier individu Homo sapiens jamais répertorié.
Un squelette composite d'Homo naledi entouré de quelques-uns des centaines d'autres spécimens retrouvés par Berger et son équipe dans les grottes de Rising Star en 2013. Un os du pouce de ce squelette a été sélectionné pour le voyage en orbite de Virgin Galactic.
De son côté, Homo naledi est plus proche de notre espèce dans l’arbre généalogique, son âge étant estimé à 236 000 à 335 000 ans. Pour Berger et son équipe, les preuves suggèrent qu’Homo naledi s’adonnait à des activités semblables à celles de l’Homme, telles que l’enterrement de ses morts et la création d’œuvres d’art, ce qui en aurait fait un précurseur de l’innovation humaine moderne.
« Ces espèces ont contribué à ce que beaucoup voient comme la plus grande réalisation humaine de tous les temps : [être parvenu à aller] dans l’espace », explique le chercheur.
Les capacités de ces anciens hominidés demeurent cependant très discutées, et nous ne savons pas encore réellement comment le cerveau humain est parvenu à évoluer pour passer de son ancienne petite taille, comparable au cerveau d’un primate, à sa forme moderne plus développée. Malgré tout, pour Berger, la décision d’emmener ces spécimens dans l’espace est une façon de rendre hommage aux racines profondes de la science et de l’innovation, qui « remontent presque toujours à l’Afrique : de l’invention du feu à la création de symboles et d’œuvres d'art, ou encore du concept de la signification. »
UN VOYAGE RISQUÉ
Timothy Nash s’intéresse depuis longtemps aux origines et à la complexe évolution de l’humanité. Bien avant qu’il ne participe au tourisme spatial, le milliardaire a fait l’acquisition d’une vaste bande de terre en Afrique du Sud, connue sous le nom de « berceau de l’humanité ». Ce territoire, qui abrite la plus grande concentration de vestiges humains ancestraux du monde, tels que la grotte dans laquelle le fossile d’Australopithecus sediba a été découvert, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1999.
Nash, qui a acheté le terrain dans le but de créer une réserve naturelle privée, se dit tellement attaché à la protection des sites dans lesquels reposent les plus anciens parents de l’Homme qu’il s’est fait tatouer le nom « Karabo » sur l’épaule, en référence au garçon dont il a emporté la clavicule dans l’espace.
L’entrepreneur possède également un autre tatouage : le logo de Virgin Galactic. Nash comptait parmi les cent premiers investisseurs de la société et a patiemment attendu son tour pour participer à ce vol spatial d’une heure qui l’a emmené, avec les fossiles, dans l’espace suborbital à une vitesse de Mach 3.
Ce squelette d'un jeune mâle de l'espèce Australopithecus sediba a été découvert dans la grotte sud-africaine de Malapa en 2008. Une partie de sa clavicule a été sélectionnée pour voler à bord de la mission Virgin Galactic.
L’idée de voir à la fois la Terre et la noirceur de l’espace de ses propres yeux a amené le passager à réfléchir au long chemin parcouru par l’humanité. « Je pense que ce sera l’expérience d’une vie », avait-il confié à National Geographic avant le voyage. Quant au danger que représentait le déplacement vers l’espace de fossiles aussi uniques, alors que ce type de vols commerciaux n’en est encore qu’à ses débuts, selon Nash, le jeu en vaut la chandelle. « Ces fossiles ne représentent qu’une infime partie de la totalité des archives fossiles, et ils ont été très bien étudiés. L’exploration comporte des risques. L’avancement de l’humanité exige des risques. »
Par mesure de sécurité, il avait toutefois prévu de transporter les fossiles dans un tube en fibre de carbone surveillé par Berger, et ce jusqu’au début d’une cérémonie organisée peu après le décollage.
« Il s’agit de deux des objets les mieux étudiés et les mieux reproduits de nos collections », explique le paléoanthropologue, qui précise que l’abondante documentation relative à ces fossiles est l’une des raisons pour lesquelles ils ont été sélectionnés pour le vol spatial.
La clavicule d’Australopithecus sediba a également été choisie parce qu’elle avait été découverte par le fils du scientifique, alors âgé de 9 ans, ce qui avait permis de mettre au jour une espèce d’hominidé jusqu’alors inconnue. « Je veux que les enfants sachent qu’il est possible de découvrir des choses et qu’ils peuvent, eux aussi, apporter une énorme contribution. »
L’inclusion dans ce voyage d’un os de pouce d’Homo naledi, probablement celui d’une femme, est également « particulièrement émouvante », poursuit-il. « Ils ont peut-être gravé des symboles lourds de sens sur les murs de cette grotte, ou encore fait du feu ou enterré des morts. Se rendre dans des lieux dangereux, prendre soin de ses proches, les symboles, s’interroger sur sa propre mortalité, créer du feu... S’ils n’avaient pas fait tout ça avant nous, la construction d’un vaisseau spatial n’aurait jamais été possible. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.