Pompéi : il est peu probable que l'éruption de 79 ait transformé le cerveau des victimes en verre
Un cerveau vitrifié par l'éruption du Vésuve de l'an 79 ? C'est ce qu'affirme une étude, sans pour autant apporter les données suffisantes pour le démontrer.

Moulages en plâtre du corps de victimes tuées par des panaches toxiques lors de l’éruption du Vésuve en l’an 79 de notre ère. Cette célèbre éruption ensevelit Pompéi et Herculanum, ville antique où des restes ressemblant à du verre ont été découvert à l’intérieur d’une boîte crânienne.
Dans les ruines d’Herculanum, ville romaine antique du littoral occidental de l’Italie ensevelie à la suite de l’éruption catastrophique du Vésuve, en l’an 79 de notre ère, des chercheurs ont réalisé une découverte surprenante : ils ont mis au jour un cerveau humain transformé en verre. Il s’agit du premier cas documenté d’un cerveau préservé naturellement dans un tel état.
Les restes dont il est question ont été découverts à l’intérieur de la boîte crânienne d’une victime, selon toute vraisemblance masculine, gisant dans un lit calciné à l’intérieur du Collegium Augustalium. Ces restes ont été préservés sous la forme d’un matériau à l’apparence noire et brillante « ressemblant à de l’obsidienne », comme le décrivent les chercheurs.
Quand on a découvert la victime, on ne s’expliquait pas comment l’éruption avait pu donner lieu à une telle transformation ; l’on n’avait jamais observé ce phénomène auparavant.
Désormais, les scientifiques qui ont exhumé ce verre ont une piste. Dans une étude publiée dans la revue Scientific Reports, ils avancent qu’un nuage de cendres extrêmement chaud a balayé Herculanum avant qu’une avalanche de cendres et de roches volcanique n’ensevelisse la ville antique.
Ce nuage de cendres, selon les auteurs de l’étude, aurait rendu possibles les conditions pouvant théoriquement permettre à un cerveau de se transformer en verre par le biais d’un processus spécifique : la vitrification. Mais n’est-ce pas trop beau pour être vrai ?


Les auteurs d’une étude qui vient de paraître affirment que cette image réalisée au microscope montre un fragment de cerveau doté d’une structure neurospinale.
Gros plan sur un fragment isolé de cerveau humain vitrifié découvert dans la boîte crânienne de l’une des victimes de l’éruption du Vésuve.
D’autres spécialistes doutent que ce processus de formation du verre soit possible et doutent également du fait que le matériau recueilli par l’équipe ait autrefois été un cerveau. Les critiques entourant ces conclusions soulignent toute la difficulté de la tâche qui consiste à reconstituer le passé antique.
L’HISTOIRE RECONSTITUÉE
Dans un article publié en 2020, les chercheurs étudiant ces ruines ont mis en évidence la présence de sept protéines indiquant que ces morceaux de verre avaient un jour été du tissu cérébral.
Dans leur nouvel article, ils documentent comment une forme avancée de microscopie leur a permis de découvrir de minuscules structures ressemblant à des neurones à l’intérieur de cette matière vitrifiée. Ces images microscopiques semblent étayer l’idée qu’il se soit à l’origine agi de tissu cérébral.
« C’est incroyable de voir préservées les structures neuronales microscopiques d’un cerveau antique », s’enthousiasme Alessandra Pensa, volcanologue de l’université de Rome III. « Nous étions incrédules devant le fait que des structures aussi délicates ait pu être préservées "sous forme vitreuse". »
Dans un article publié en 2020, les chercheurs étudiant ces ruines ont mis en évidence la présence de sept protéines indiquant que ces morceaux de verre avaient un jour été du tissu cérébral.
Dans leur nouvel article, ils documentent comment une forme avancée de microscopie leur a permis de découvrir de minuscules structures ressemblant à des neurones à l’intérieur de cette matière vitrifiée. Ces images microscopiques semblent étayer l’idée qu’il se soit à l’origine agi de tissu cérébral.
« C’est incroyable de voir préservées les structures neuronales microscopiques d’un cerveau antique », s’enthousiasme Alessandra Pensa, volcanologue de l’Université de Rome III. « Nous avions du mal à croire que des structures aussi délicates aient pu être préservées "sous forme vitreuse". »

Vue aérienne du Vésuve révélant son cratère béant. Une éruption colossale, survenue en l’an 79 de notre ère, détruisit Herculanum et Pompéi.
FAIRE ÉMERGER LES DÉTAILS
« Je pense que l’équipe explique en fait très bien pourquoi la vitrification des tissus mous est extraordinairement improbable », déclare Alexandra Morton-Hayward, anthropologue médico-légal à l’Université d’Oxford. « Les tissus mous biologiques ne peuvent pas naturellement former du verre stable à des températures ambiantes, ce qui, comme le disent eux-mêmes les auteurs, "explique pourquoi il n’existe sur Terre rien de tel que du verre naturel biologique". Je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse de l’unique exception à cette règle. »
Les spécialistes remettent en question plusieurs aspects de ces conclusions récentes, notamment la façon dont des microstructures cérébrales seraient susceptibles de survivre à ce processus, mais aussi le fait qu’il se soit bel et bien agi d’un cerveau en premier lieu.
« Personnellement, je trouve leurs affirmations assez contestables », confie John Mauro, spécialiste en science des matériaux à l’Université d’État de Pennsylvanie. « Comment des tissus mous biologiques peuvent-ils être chauffés à plus de [510°C] sans subir de dégâts irréversibles ? L’affirmation selon laquelle un état parfait de préservation a été atteint est clairement erronée en raison de ces dégâts irréversibles qui conduisent nécessairement à des changements majeurs dans la microstructure. »

Selon John Mauro, il est peu plausible que les microstructures identifiées par l’équipe de recherche soient des neurones si le matériau est devenu aussi chaud qu’ils ne le disent.
En plus des minuscules structures ressemblant à des neurones dont l’article fait état, des protéines identifiées en 2020 suscitent également le doute chez d’autres chercheurs. Les protéines se décomposent généralement à des températures bien plus faibles que la température supposée du panache de cendres, ce qui, selon Alexandra Morton-Hayward, est censé rendre impossible leur identification.
En outre, fait-elle remarquer, les cerveaux anciens en bon état de conservation contiennent généralement plus de mille protéines, ce qui rend hautement douteux le fait que l’on n’en ait identifié ici que sept. Ces protéines sont d’ailleurs actives dans plus de 200 types de cellules à travers le corps et elles ne se cantonnent pas au cerveau.
Mais les auteurs de la nouvelle étude gardent confiance en leur découverte unique.
« Le matériau est dans sa composition, sans équivoque possible, d’origine organique, affirme Guido Giordano. Quel tissu organique remplit la boîte crânienne d’un homme sinon un cerveau ? »
L’ARCHÉOLOGIE FACE À UN DÉFI
Ce cas illustre la tension qui existe entre les affirmations extraordinaires et les preuves qui sont nécessaires pour les étayer. Les archéologues s’efforcent de faire de la transparence vis-à-vis des données la norme dans leur discipline.
« Mon souci avec cet article et avec le précédent et avec celui d’avant encore, sur lequel tout cela se fonde, est qu’ils n’ont jamais publié leurs données brutes », déplore Alexandra Morton-Hayward.

Du forum de Pompéi, on voit le Vésuve en arrière-plan. Pour reconstituer le passé dans les moindres détails, les scientifiques inspectent reliques et ruines à la recherche d’indices, mais une affirmation extraordinaire et unique en son genre nécessite des preuves non moins substantielles et transparentes.
Elle aimerait tout particulièrement voir l’analyse protéinique qui a conduit l’équipe à conclure que le matériau étudié était effectivement du tissu cérébral. Des détails concernant la façon dont l’équipe a extrait des échantillons pour les analyser et la façon dont ils ont identifié les protéines aiderait Alexandre Morton-Hayward et d’autres scientifiques à savoir si ces conclusions sont raisonnables ou si d’autres méthodes pourraient s’avérer plus précises.
Matthew Collins, spécialiste d’archéologie biomoléculaire à l’Université de Cambridge, établit un parallèle avec des leçons fournies par la recherche en ce qui concerne l’ADN ancien. Avec si peu de données à analyser, « nous nous sommes rendu compte qu’à moins de publier l’ensemble des données brutes, la communauté ne pouvait pas avancer ».
Des chercheurs étudiant d’anciennes protéines sont confrontés à un obstacle similaire.
Les anciens ensembles de protéines sont complexes et souvent contaminés. Ainsi, comme l’affirme la Société des techniques et des avancées en paléoprotéomique et en archéologie (PAASTA), un groupe de chercheurs en début de carrière, le partage de données obtenues à partir d’analyses protéiniques est particulièrement important dans la recherche archéologique. Sans accès aux données brutes, la communauté scientifique au sens large ne peut pas vérifier de manière indépendante ces conclusions ou proposer des interprétations alternatives.
L’archéologie est particulièrement vulnérable face aux conclusions controversées.
« Je comprends bien la volonté de maximiser ce que nous pouvons apprendre de [vestiges archéologiques]. Mais de la même façon, je pense que nous devons faire preuve d’une extrême prudence quant aux inférences que nous faisons », prévient Alexandra Morton-Hayward.
Que ce matériau vitreux soit effectivement un cerveau vitrifié demeure sujet à débats. Mais une chose est sûre : des affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
