Comment ce tombeau royal est-il devenu l'une des sept merveilles du monde ?
Bâti au 4e siècle avant notre ère, le mausolée d'Halicarnasse est un monument colossal et fastueux qui a ébloui ses visiteurs pendant plus de 1 600 ans.
À l'approche de la cité antique d'Halicarnasse, capitale de la province de Carie, dans l'actuel sud-ouest de la Turquie, les visiteurs se rendant au marché par une matinée du quatrième siècle avant notre ère auraient sans doute profité d'un panorama à couper le souffle. Depuis le sommet de la dernière colline, Halicarnasse se serait étalée devant eux, nichée au pied des montagnes cariennes. Ils auraient aperçu au loin le port et la longue ligne dessinée par les remparts qui entouraient la cité. Plusieurs édifices colossaux auraient également attiré leur regard, comme le palais royal, les théâtres, les temples ou encore l'agora.
Pourtant, malgré leur splendeur, ces monuments seraient restés dans l'ombre du chef-d'œuvre qui dominait la place du marché, en plein cœur de la cité. Séparé de la ville par une muraille vertigineuse, l'édifice en question n'était autre que le tombeau récemment achevé du roi Mausole et de sa sœur, la reine Artémise II. Selon les récits historiques, il s'élevait à plus de 45 mètres du sol, soit la hauteur d'un immeuble moderne de dix étages. Les murs extérieurs étaient plus larges à leur base, donnant l'impression que le tombeau sortait naturellement de terre. Plus éblouissant encore, le parvis, la terrasse, les murs et le toit étaient entièrement recouverts d'un marbre au blanc éclatant qui brillait de mille feux sous le soleil de la Méditerranée.
Le tombeau était gardé par plus de 400 statues de marbre réparties sur quatre niveaux et des frises décoratives couraient tout le long du bâtiment. Bon nombre de ces sculptures étaient ornées de bronze faisant rayonner les armes, les armures, les couronnes, les robes et d'autres éléments. La courbe du bâtiment dirigeait naturellement le regard vers le sommet coiffé d'un quadrige, un char tiré par quatre chevaux transportant les statues de Mausole et d'Artémise plus grandes que nature, la couronne de ce qui allait devenir l'une des Sept Merveilles du monde antique.
De nos jours, le mausolée dominerait encore la ville qu'il occupait jadis, comme le montre cette reconstitution intégrée à l'actuelle ville de Bodrum, en Turquie, anciennement Halicarnasse.
LE POUVOIR CARIEN
Située dans le sud-ouest de l'Anatolie, la province de Carie occupait une place centrale dans l'antiquité. Les Cariens parlaient leur propre langue et pratiquaient des rituels religieux uniques. Célèbres pour leur instinct guerrier, ils étaient fortement influencés par les Grecs qui avaient établi des colonies sur la côte. Le territoire carien fut envahi par les Perses au 6e siècle avant notre ère et devint une satrapie de l'Empire achéménide au 4e siècle avant notre ère. Toutefois, les satrapes qui dirigeaient cette province étaient des nobles locaux qui flirtaient régulièrement avec l'indépendance et ne se montraient pas toujours loyaux au pouvoir perse.
C'est précisément ce que fit Mausole, le satrape de Carie de 377 à 353 avant notre ère. Après avoir succédé à son père, Hécatomnos, Mausole régna en souverain semi-indépendant, certaines sources allant même jusqu'à lui attribuer le titre de roi. Il signa des alliances, fonda des cités et annexa l'île de Rhodes. Au début de son règne, Mausole vouait allégeance aux Perses, mais il ne mit pas longtemps à rejoindre la bien nommée Révolte des satrapes, une série de soulèvements contre les Achéménides, encouragée par l'Égypte. Néanmoins, lorsqu'il devint clair que la révolte était vouée à l'échec, Mausole préféra changer de cap et se rapprocher à nouveau de la monarchie perse.
Hécatomnos était originaire de la cité sacrée de Mylasa, l'actuelle Milas en Turquie, mais Mausole avait choisi comme capitale la colonie côtière trépidante d'Halicarnasse. Selon ses calculs, ce port grec stratégique ouvert sur l'archipel du Dodécanèse dans la mer Égée allait bien mieux servir ses ambitions que la ville provinciale de Mylasa.
Autour d'Halicarnasse, Mausole fit ériger des remparts suffisamment robustes pour résister aux attaques d'une invention encore récente à l'époque, la catapulte. Il installa son palais sur un promontoire, sous lequel il fit secrètement construire un port où il pouvait discrètement rassembler navires et soldats. Cependant, toutes ces constructions faisaient bien piètre figure face au chantier qui allait immortaliser son nom.
MONUMENTAL
Le roi Mausole lança la construction de ce tombeau de son vivant. Rien que par son emplacement au cœur de la cité, le monument était déjà exceptionnel. Dans l'antiquité, les sépultures étaient souvent cantonnées à l'extérieur de la ville. Chez les Grecs, il y avait toutefois quelques exceptions à cette règle, comme la tombe d'Hécatomnos au cœur de Mylasa. L'emplacement du tombeau de son fils en plein centre de sa nouvelle capitale et la grandeur du monument envoyaient un message clair : Mausole était un puissant roi de Carie.
Mausole quitta ce monde en 353 avant notre ère, alors que la construction du tombeau venait de commencer. Il fut remplacé par la reine Artémise qui invita les artisans des quatre coins du monde méditerranéen à terminer le projet, en veillant à ce que le tombeau soit à la hauteur de la mnema, la mémoire, de son mari. Elle en confia la conception à deux architectes : Satyros de Paros et Pythéos de Priène. Satyros avait travaillé toute sa vie pour la famille de Mausole. Pythéos était un illustre architecte, à la fois célèbre pour ses créations et ses traités d'architecture.
La décoration du tombeau fut quant à elle confiée à quatre sculpteurs d'un talent comparable, peut-être cinq, à raison d'une face du Mausolée par sculpteur. Dans son ouvrage Histoire naturelle, Pline l'Ancien, un érudit romain du 1er siècle de notre ère, nomme quatre artistes (Scopas, Bryaxis, Timothéos et Léocharès) et fait brièvement allusion à un cinquième anonyme. Selon les écrits de Vitruve, un architecte romain exerçant au premier siècle avant notre ère, le groupe de quatre artisans aurait plutôt accueilli Praxitèle au lieu de Timothéos. D'autres affirment que Praxitèle se serait chargé des sculptures du toit, notamment le quadrige et les statues de Mausole et d'Artémise.
Érigé dans l'actuelle ville de Milas en Turquie, ce tombeau romain du second siècle de notre ère fait écho au style du Mausolée d'Halicarnasse.
Quelle que soit leur identité précise, ces artisans formaient une équipe de haute voltige. Praxitèle et Scopas étaient considérés comme les plus grands sculpteurs de leur temps. Plusieurs centaines d'autres artisans et artistes ont travaillé sur diverses sections du tombeau. Si le Mausolée possédait l'une des plus spectaculaires collections de sculptures en pierre, c'est grâce à l'alliance de tous ces talents couplée à l'inébranlable détermination d'Artémise, qui passait notamment par l'ouverture des coffres de la cité, allant même jusqu'à sacrifier une partie de son héritage après sa mort. Artémise II ne vécut que deux années de plus que son mari. À sa mort, le Mausolée était toujours inachevé. Les artisans sont restés et leur travail s'est poursuivi.
Cette illustration du Mausolée d'Halicarnasse nous montre qu'il se tenait au sein d'un tenemos, une enceinte sacrée. Pour y accéder, il fallait traverser une porte monumentale qui jouxtait l'agora de la cité. Le Mausolée était constitué de trois parties superposées. La section inférieure était constituée d'une structure carrée légèrement pyramidale. La section intermédiaire, appelée pteron, était un péristyle composé de 36 colonnes ioniques séparées par des sculptures. La section supérieure était un escalier pyramidal de 24 marches arborant également des statues. Cette pyramide était coiffée d'une sculpture en marbre d'un quadrige, un char tiré par quatre chevaux dans lequel se tenaient Mausole et Artémise.
MERVEILLE ÉTERNELLE
Une fois les travaux terminés, les cendres de Mausole et d'Artémise furent déposées dans une chambre souterraine, accessible par une entrée secrète dans l'une des parois. Un bloc de pierre fixé à la roche avec des écrous en métal dissimulait l'entrée. Derrière ce bloc s'étendait un petit couloir, suivi d'une antichambre et d'une pièce carrée, décorée de colonnes et de statues, qui abritait les urnes funéraires.
Le monument dans lequel reposaient les cendres de Mausole ne tarda pas à devenir célèbre. Le génie artistique insufflé dans la création du Mausolée avait donné naissance à un style nouveau, explosif, flamboyant. Le monument était si impressionnant que l'illustre poète Antipatros de Sidon décida de le compter parmi ses Sept Merveilles du monde dans un poème du 2e siècle de notre ère. La sépulture titanesque a inspiré divers monuments funéraires similaires destinés aux puissants de ce monde, c'est ainsi que le terme « mausolée » a fini par désigner les tombeaux de grandeur comparable.
Le Mausolée s'est accroché à ses fondations pendant près de dix-sept siècles. En 334 avant notre ère, seize ans après l'achèvement des travaux, le tombeau résista en grande partie à la conquête d'Halicarnasse par Alexandre le Grand. Au Moyen-Âge, il fut endommagé par une série de séismes. Au début du 15e siècle, son imposante coiffe dominait encore Bodrum, la ville portuaire byzantine qui se tenait alors sur les vestiges de la cité antique d'Halicarnasse.
Construit à l'aide de pierres soustraites au Mausolée, le château Saint-Pierre était également décoré de reliefs et de sculptures issus du tombeau, comme le montre cette gravure de 1844.
À ce stade, l'ordre des Hospitaliers avait investi la ville. Après leur expulsion de la Terre sainte, ces anciens croisés se sont installés sur l'archipel du Dodécanèse et leur quartier général se trouvait à Rhodes. Au début du 15e siècle, peu de temps après l'occupation de Bodrum, ils ont construit le Petronium, vaste et imposante forteresse dédiée à Saint-Pierre qui se dresse encore de nos jours sur un promontoire surplombant le port. Malheureusement, le Mausolée endommagé a servi de carrière aux bâtisseurs, dans laquelle ils ont prélevé des pierres de taille carrées de grande qualité pour leur forteresse. Lorsque Bodrum est tombée aux mains des Turcs en 1522, le Mausolée était presque intégralement démantelé. Peu de temps après, le souvenir de son emplacement s'était évaporé. Il faudra attendre 1856 et l'exploration de Bodrum par l'archéologue britannique Charles Thomas Newton pour voir à nouveau les vestiges de ce splendide mémorial sortir de terre.
Les fouilles se sont poursuivies sur le site au cours du siècle suivant. Toutefois, c'est entre 1966 et 1977 que se concentrent les progrès majeurs réalisés dans l'exploration du Mausolée, notamment grâce à Kristian Jeppesen et son équipe d'archéologues danois. Notre compréhension de cette authentique merveille de l'antiquité doit beaucoup à leurs travaux.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.