Pourquoi les Romains érigeaient-ils des arcs de triomphe ?

Au fil du temps, les arcs de triomphe se sont éloignés de leur but premier. Devenus un moyen de propagande impériale, ils n’étaient plus restreints à Rome et ont commencé à proliférer à travers l’empire.

De Iván Fumadó Ortega
Publication 13 mars 2025, 16:03 CET, Mise à jour 13 mars 2025, 18:49 CET
Septimius's other arch

Vus ici de près, les embellissements sont frappants sur cet arc du forum romain. L’arc élaboré, fait en travertin et en marbre, arbore des figures comme des victoires ailées, le dieu Mars, le héros Hercule ainsi que des prisonniers de guerre.

PHOTOGRAPHIE DE Francesco Iacobelli, AWL Images

Les temples servaient de lieux de culte et le Colisée était un amphithéâtre qui accueillait jeux et spectacles. Les arcs de triomphe, comme l’arc de Constantin, sont remarquables. Ils font partie des rares bâtiments à fonction purement symbolique érigés par les Romains. Avec leurs sculptures décoratives, leurs reliefs et leurs inscriptions, ces monuments fournissent une pléthore de sources culturelles pour les chercheurs. Leur excellent état de conservation leur a offert une place de choix dans la mémoire collective de nombreuses générations d’érudits, de voyageurs et de politiciens intéressés par l’ancien empire romain.

L’arc de triomphe, à l’origine, vient du triomphe romain, une cérémonie qui rythmait la vie de la République de Rome. Ces processions somptueuses à travers Rome permettaient aux généraux et aux soldats de célébrer leurs victoires en public. Le général qui venait de remporter une guerre avait droit à une pompa triumphalis aux frais du Sénat. Ses membres, suivis par des chariots pleins à craquer des butins de guerre dérobés, dirigeaient les processions à travers la ville, jusqu’au Capitole. Les prisonniers enchaînés se traînaient devant le général victorieux, debout dans son char. Au paroxysme du triomphe avait lieu un banquet et des jeux pour toute la population, des festivités qui pouvaient durer des jours.

Conquering heroes

Le Triomphe de Titus et Vespasien, peinture du 16e siècle réalisée par Giulio Romano, représente la parade qui célèbre la conquête romaine de Jérusalem en 70 apr. J.-C. Debout dans un char, les deux hommes s’apprêtent à passer l’arc de Titus à Rome, bâti onze ans après leur victoire.

PHOTOGRAPHIE DE Scala, Florence

 

LA CÉLÉBRATION D’UNE VICTOIRE

Les processions victorieuses entraient à Rome par une porte dans le mur d’enceinte, la Porta triumphalis. À leur entrée dans la cité, le général victorieux perdait officiellement son imperium, l’autorité pleine et entière qui lui avait été attribuée au début de la guerre. Passer ce seuil mettait symboliquement fin au conflit militaire. 

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    Un aureus, une pièce de monnaie, frappé durant le règne d’Auguste montre l’empereur au-dessus d’un arc de triomphe.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

    Au cours des siècles, la porta triumphalis est devenue un symbole phare de la célébration d’une victoire. Peut-être pour se souvenir et renforcer cet acte qu’était le passage de la porte, des arcs furent érigés dans d’autres parties de la cité. Malheureusement, ni la porta triumphalis ni les arcs qui la précédait dans la célébration, construits durant l’époque de la République, n’ont été préservés. Des preuves littéraires de leur existence subsistent néanmoins. À en croire Tite-Live, historien romain ayant vécu à peu près en même temps que Jésus, le général romain Scipion l’Africain, revenu victorieux de la Seconde guerre punique en 201 av. J.-C., a ordonné la construction d’un arc de triomphe sur la colline du Capitole. Huit décennies plus tard, le commandant militaire Quintus Fabius Maximus en construisit un autre à l’Est du forum pour commémorer sa victoire sur la tribu celtique des Allobroges, dans le sud-est de la France.

    Au cours de la République, la construction d’arcs de triomphe temporaires faisait partie d’une stratégie qui visait à utiliser les célébrations et cérémonies populaires afin de montrer sous un beau jour des généraux et des politiciens proéminents de la cité. Ces arcs étaient probablement faits de bois et avaient la forme de canopée supportée par quatre piliers (on les connaissait sous le nom de baldaquin). Bien que richement décorés, les arcs en bois étaient voués à être détruits à la fin des festivités.

     

    UN MONUMENT IMPÉRIAL

    Avec l’avènement de l’empire, Auguste reçut l’imperium maius ou le « pouvoir plus grand » et devint le dirigeant de tous les généraux, ce qui signifiait que ces derniers ne pouvaient plus ériger d’arcs de triomphe. Ce privilège devint réservé exclusivement à la famille impériale.

    Anatomy of the artworks

    Sculptures, reliefs et inscriptions sont autant d’allusions au succès et à la parade que devait honorer l’arc de triomphe. Certains éléments se concentrent sur les butins de guerre, tandis que d’autres mettent en scène le char du vainqueur ou certains moments de la bataille. La décoration d’origine de l’arc de Septime Sévère, sur le forum de Rome, est montrée dans cette illustration de Franz Heinrich Köler.

    PHOTOGRAPHIE DE Quintlox, Album

    Comme certaines colonies étaient situées à des centaines de kilomètres de Rome, il était astucieux de limiter les ambitions des généraux éloignés en attribuant la victoire aux mérites de l’empereur. Au fil du temps, les arcs de triomphe s'éloignèrent de leur but premier et n’étaient plus liés aux parades triomphantes des généraux. Ils devinrent, à la place, des monuments à la gloire du seul empereur. Désormais outils de propagande impériale, les arcs de triomphe n’étaient plus restreints à Rome et commencèrent à proliférer à travers l’empire.

    Si les arcs de triomphe, sous la République, étaient des monuments éphémères, faits en bois, les arcs commémoratifs de l’empire, en pierre et ciment romain (opus caementicium), étaient voués à perdurer. L’arc en lui-même devint plus profond, allant parfois de 4 à 11 mètres de l’avant à l’arrière. Deux arcs plus petits, flanquant le principal, renforcèrent la structure et accrurent la surface disponible aux reliefs et inscriptions. La décoration se concentra sur l’attique, au sommet de l’arc, qui montrait généralement des scènes de guerre, des armes arrachées aux vaincus, ainsi qu’une sculpture du vainqueur sur un char.

    The Arch of Titus

    Construit par l’empereur Domitien en 81 apr. J.-C. en l’honneur de son frère, le défunt empereur Titus. Cet arc se trouve sur la Via Sacra, la route que prenait les processions triomphales.

    PHOTOGRAPHIE DE Luigi Vaccarella, Fototeca 9x12

    L’architecture des arcs évolua en même temps que l’empire. Les quelques arcs qui restent du règne d’Auguste, le premier empereur (27 av. J.-C. – 14 de notre ère), sont austères et disproportionnés. Plus tard, l’influence de l’art hellène, syrien et mésopotamien conduira à un mélange de formes à mesure que les architectes expérimentent avec des décorations de différentes écoles. L’arc de Titus parvint à un équilibre singulier. Érigé en 81 apr. J.-C. sur la Via Sacra, c'est le plus vieil arc encore debout à Rome.

     

    L’ARC REVIENT AU VAINQUEUR

    Beaucoup d’arcs de l’époque impériale, comme ceux de la République avant eux, visaient à fêter une victoire militaire particulière. L’arc de Titus fut commandé par l’empereur Domitien en 81 afin de commémorer la prise de Jérusalem par son frère aîné, onze ans plus tôt. De 203 à 205 de notre ère, l’arc de Septime Sévère fut bâti sur le forum romain et richement décoré pour honorer la victoire de l’empereur et de ses fils contre l’empire parthe en Arabie et en Assyrie.

    The Arch of Septimus Severus

    Entre les temples de Saturne et Vespasien, au cœur du forum romain, se dresse cet arc de triomphe, érigé par Septime Sévère entre 203 et 205 apr. J.-C. pour marquer sa victoire contre l’Empire parthe en 198. Cette photo montre la profondeur remarquable de 11 mètres de ce monument.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    L’arc de Constantin, à Rome, bâti en face de la Via Triumphalis, proche du Colisée entre 312 et 315 de notre ère, fête la victoire de l’empereur à la bataille du pont de Milvius en 312. Il mesure près de 20 mètres de haut et arbore des décorations élaborées, un attique au-dessus de trois travées, hôtes de huit panneaux comportant des hauts-reliefs représentant des scènes de bataille. Une inscription dédie également l’arc à Constantin auquel, selon une formule standard, on s’adresse comme suit : « Au pieux et heureux empereur César Flavius Constantin le Grand, Auguste ».

    Pour construire son arc, Constantin n’hésita pas à se servir de spolia, matériau réutilisé de monuments existants. Parmi ces pièces, on retrouve de magnifiques représentations de prisonniers daciques de près de 3 mètres. Elles remontent au temps de l’empereur Trajan (98 apr. J.-C. – 117 apr. J.-C.) et ornaient probablement son forum. Elles furent cependant déplacées par les constructeurs de l’arc de Constantin pour orner les piédestaux de son attique. L’arc complet est une confection de plinthes, moules, piédestaux, écoinçons et frises qui créent une décoration quasi-baroques.

     

    DES SUCCÈS CIVIQUES

    Les arcs commémoratifs de l’empire ne célèbrent pas seulement des succès militaires. Certains étaient également destinés à des prouesses civiques. L’arc d’Auguste à Rimini par exemple, commémore la restauration de la Via Flaminia. L’arc de Trajan à Bénévent, célèbre l’ouverture de la Via Traiana, tandis que celui d’Ancône fut érigé pour l’extension du port de la ville. D’autres arcs furent bâtis en hommage aux dynasties impériales dans des avant-postes éloignés. L’arc de Berà à Taragone, en Espagne, a été construit par un citoyen du nom de Lucius Licinius Sura, en l’honneur d’Auguste. Au cours du 2e siècle de notre ère, plusieurs arcs honorifiques furent érigés en Afrique du Nord, comme l’arc de Marc-Aurèle dans l’actuelle Tripoli.

    An arch in North Africa

    Une ville de l’actuelle Lybie, Leptis Magna, le lieu de naissance de l’empereur Septime Sévère en 145 de notre ère. Cet arc en tétrapylône bâti en son honneur se tient au carrefour de la ville. Ses reliefs montrent processions et campagnes militaires menés par l’empereur et son fils Caracalla, avec qui il partageait le pouvoir impérial.

    PHOTOGRAPHIE DE Bashar Shglila, Getty Images

    Ce qu’il restait de ces arcs romains a suffi à attiser l’imagination des souverains qui les ont suivis, de Charles V à Napoléon. Certaines cités dépourvues d’arcs romains ont bâti les leurs, en suivant le style antique. La Porte d’Alcalà à Madrid, en 1778, la Porte de Brandebourg à Berlin, en 1791 et l’Arc de Triomphe de Napoléon à Paris, tous sont devenus des monuments importants du paysage urbain de ces villes. C’est en soi une victoire pour l’arc de triomphe romain que l’influence de ce monument ait survécu aussi longtemps après la chute de l’empire lui-même.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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