Cet ancien journal révèle comment les Égyptiens ont construit les pyramides de Gizeh

Les pyramides de Gizeh sont une prouesse architecturale dont la construction nous a longtemps paru mystérieuse. Mais les Papyrus de la mer Rouge nous offrent aujourd’hui un aperçu sans précédent sur le travail des bâtisseurs de cette merveille antique.

De José Miguel Parra
Papyri in the desert

Les conditions arides du site de l’ouadi el-Jarf, en Égypte, ont permis de préserver les papyrus antiques de Merer, découverts là par une équipe d’archéologues conduite par un Français.

PHOTOGRAPHIE DE With thanks to Pierre Tallet, Archaeological Mission to Wadi al-Jarf

Situé sur littoral de la mer Rouge, en Égypte, le ouadi el-Jarf est de nos jours un endroit calme et sans prétention. Ici, les arides sables du désert et l’eau bleue et placide s’étirent à perte de vue ; par-delà les flots, on peut même apercevoir la péninsule du Sinaï. Cette apparente tranquillité ne trahit rien du carrefour animé qui se trouvait là il y a plus de 4 000 ans. L’importance historique du ouadi el-Jarf fut établie une bonne fois pour toutes en 2013 lorsque l’on y découvrit trente papyrus, les plus anciens jamais découverts, cachés dans des grottes de calcaires artificielles.

Hormis leur ancienneté, ces Papyrus de la mer Rouge, ainsi qu’on les appelle, se distinguent par leur contenu. En effet, ceux-ci révèlent non seulement le lointain passé de port animé du ouadi el-Jarf, mais ils contiennent également les récits d’un homme répondant au nom de Merer qui prit part en son temps à la construction de la pyramide de Khéops.

Les pyramides de Gizeh figurent au rang des plus grandes prouesses architecturales de l’Histoire. Le tombeau de Khéphren, au centre, est aujourd’hui encore paré de certains de ses blocs de calcaire originels.

PHOTOGRAPHIE DE René Mattes, Gtres

Le site du ouadi el-Jarf fut découvert en 1823 par un voyageur et antiquaire anglais, John Gardner Wilkinson, qui croyait avoir affaire aux ruines d’une nécropole gréco-romaine. Dans les années 1950, deux pilotes français férus d’archéologie, François Bissey et René Chabot-Morisseau, découvrirent de nouveau le site par hasard. Ils émirent alors l’hypothèse qu’il ait pu autrefois s’agir d’un centre de production du métal. Mais la crise du canal de Suez, survenue en 1956, retarda leurs fouilles.

Ce n’est qu’en 2008 que le travail sur le site put reprendre. L’égyptologue français Pierre Tallet y conduisit une série de fouilles qui permirent de confirmer définitivement que le ouadi el-Jarf avait été un port important en activité il y a 4 500 ans, à l’époque du règne de Khéops et de la construction de la grande pyramide du pharaon. Les équipes de Pierre Tallet révélèrent que le ouadi el-Jarf avait été un centre économique vivant situé au carrefour du commerce des matériaux ayant servi à bâtir les pyramides, situées à 240 kilomètres de là environ. Une découverte majeure corrobora les résultats de leurs investigations archéologiques : le journal de Merer, qui se trouvait parmi les papyrus mis au jour.

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    Photographie satellite centrée sur la mer Rouge, que les marchands égyptiens devaient traverser pour aller se fournir en cuivre dans le Sinaï.

    PHOTOGRAPHIE DE Granger, Album

     

    LE PORT DES PYRAMIDES

    Le site du ouadi el-Jarf se compose de plusieurs zones différentes étalées sur plusieurs kilomètres entre le Nil et la mer Rouge. Proche du Nil, la première zone, située à 5 kilomètres des côtes environ, recèle une trentaine de grandes chambres en calcaire qui servaient à l’entrepôt de navires. C’est dans ces grottes que les papyrus furent découverts.

    À 450 mètres de là vers l’est, c’est-à-dire vers la mer, apparaissent une série de camps, et après ceux-ci un grand édifice de pierre divisé en treize sections parallèles. Les archéologues émirent l’hypothèse qu’il ait pu s’agir là d’une résidence. Enfin, sur la côte, se trouve le port lui-même avec ses habitations et davantage d’entrepôts. Grâce à des poteries et à des inscriptions découvertes là, les archéologues purent faire remonter le complexe portuaire à la 4e dynastie d’Égypte, qui régna il y a 4 500 ans environ. Selon eux, le port aurait été inauguré à l’époque du pharaon Snéfrou et abandonné vers la fin du règne de son fils, Khéops. Celui-ci fut actif pendant une courte période durant laquelle il servit uniquement à la construction du tombeau de Khéops, que les Égyptiens appelaient Akhet-Khufu, c’est-à-dire l’« Horizon de Khéops ». 

    En plus des papyrus, de nombreuses découvertes archéologiques réalisées là révèlent l’importance de ce port. De larges édifices, comme le débarcadère en pierre de 180 mètres de long, dénotent un important investissement matériel dans la zone. Pierre Tallet et son équipe y découvrirent 130 ancres environ, dont la présence trahit l’activité du port.

    C’est au port de Gizeh, vu ici sur une aquarelle de J.C. Golvin, que les ouvriers déchargeaient les blocs de pierre ayant servi à la construction de la pyramide de Khéops.

    PHOTOGRAPHIE DE Musée départemental Arles antique © J.C. Golvin, Éditions Errance

    En partance du port, que les Égyptiens d’alors appelaient « Le Buisson », les navires du pharaon traversaient la mer Rouge pour rallier la péninsule du Sinaï, abondante en cuivre. Le cuivre était le métal le plus dur disponible alors, et les Égyptiens en avaient besoin pour découper les pierres de la colossale pyramide de leur pharaon. Quand les bateaux égyptiens rentraient au port, ils étaient chargés de cuivre. Entre les voyages, les embarcations étaient entreposées dans les chambres de calcaire.

     

    DES TRÉSORS DANS LES CAVERNES

    Des archives montrent qu’après la désaffectation du port du ouadi el-Jarf à l’époque de la mort de Khéops, une équipe fut envoyée de Gizeh pour refermer les espaces de stockage sculptés dans le calcaire. Celle-ci se faisait appeler l’Escorte de l’« Uræus de Khéops Est Sa Proue », surnom qui fait vraisemblablement référence au navire arborant l’Uræus (le cobra protecteur) à sa proue. Lors du remblaiement des grottes de calcaire, les documents en papyrus de Merer, obsolètes, se coincèrent probablement entre les blocs de pierre.

    Ceux-ci demeurèrent exposés à l’air désertique durant quatre millénaires et demi jusqu’à ce qu’ils soient redécouverts lors d’une expédition menée par Pierre Tallet en 2013. Le premier lot des Papyrus de la mer de Rouge fut retrouvé le 24 mars de cette année-là, près de l’entrée d’un espace de stockage désigné par la référence G2. Le second ensemble de documents, plus important, fut découvert dix jours plus tard, logé entre des blocs de l’espace G1.

    Les blocs du parement de calcaire de la pyramide de Khéops, qui a disparu avec le temps, ont été transportés depuis une carrière par de nombreuses équipes comme celle supervisée par Merer. De nos jours, seules les pierres les plus dures ayant servi à l’édification de la structure interne de la pyramide subsistent.

    PHOTOGRAPHIE DE Breck P. Kent, Age Fotostock

    Si les Papyrus de la mer Rouge se composent de plusieurs types de documents, ce sont bien les écrits de Merer qui suscitèrent le plus d’enthousiasme. Chef d’escouade, Merer consigna ses activités dans son journal. Il s’agit d’une archive quotidienne du travail entrepris par son équipe sur une période de trois mois lors de la construction de la pyramide de Khéops.

    Son équipe se composait de 200 ouvriers qui parcouraient l’Égypte et avaient des responsabilités dans toutes les tâches relatives à l’édification de la grande pyramide. Les blocs de calcaire ayant servi au parement de la pyramide font à cet égard figure de cas particulièrement intéressant. Merer consigna avec force détails comment l’équipe allait les extraire dans les carrières de Tourah et les transportaient par bateau jusqu’à Gizeh.

    Des archéologues ont découvert des centaines de papyrus dans les grottes du ouadi el-Jarf. Rédigés à l’encre noire et rouge, les textes mentionnent le pharaon Khéops. Un certain nombre de ces fragments ont été assemblés pour former des documents ; certains mesurent 60 centimètres de long ! Le fragment du journal de Merer montré ici est extrait du Papyrus B.

    PHOTOGRAPHIE DE AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE PIERRE TALLET , MISSION ARCHÉOLOGIQUE AU OUADI EL-JARF

    Les hommes de Merer chargeaient les blocs de calcaire sur des navires, descendaient le Nil, puis passaient la nuit dans une zone administrative pour s’assurer que ces derniers y aient bien été enregistrés avant d’être emmenés à Gizeh. Un fragment du journal décrit ce voyage de trois jours de la carrière jusqu’au site de la pyramide : 

    Jour 25 : L’inspecteur Merer passe la journée avec son za [son équipe] à transporter des pierres à Tourah-sud ; passe la nuit à Tourah-sud. Jour 26 : L’inspecteur Merer quitte Tourah-sud avec son équipe en bateau, avec le plein de blocs de pierre, pour rallier Akhet-Khufu [la grande pyramide] ; passe la nuit à She-Khufu [zone administrative où était entreposée la pierre de taille, juste avant Gizeh]. Jour 27 : Embarquement à She-Khufu, voyage en bateau jusqu’à Akhet-Khufu avec le plein de pierres, passe la nuit à Akhet-Khufu.

    Le lendemain, Merer et ses ouvriers retournaient à la carrière pour récupérer une nouvelle cargaison de pierres :

    Jour 28 : Départ en bateau d’Akhet-Khufu le matin ; remontée du fleuve vers Tourah-sud. Jour 29 : L’inspecteur Merer passe la journée avec son za à transporter des pierres à Tourah-sud ; passe la nuit à Tourah-sud. Jour 30 : Inspecteur Merer passe la journée avec son za à transporter des pierres à Tourah-sud ; passe la nuit à Tourah-sud.

    Dessin représentant un relief du 15e siècle avant notre ère se trouvant au temple de la reine Hatchepsout à Deir el-Bahari et montrant des ouvriers chargeant des embarcations se rendant au pays de Pount.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Le journal de Merer fournit même des renseignements sur l’un des architectes de la pyramide. Ânkhkhâf, demi-frère de Khéops, occupait le poste de « chef de tous les ouvrages du roi ». Sur l’un des fragments du papyrus, on peut lire : « Jour 24 : L’inspecteur Merer passe la journée avec son za à transporter [texte manquant] avec d’éminents fonctionnaires, des équipes de construction et le noble Ânkhkhâf, directeur du Ro-She Khufu. »

     

    DES HOMMES À L’OUVRAGE

    Merer consignait également scrupuleusement les paies reçues par ses hommes. Puisqu’il n’y avait pas de monnaie dans l’Égypte des pharaons, les salaires étaient généralement prodigués en céréales. L’unité de base était la « ration », et l’ouvrier en recevait plus ou moins selon l’échelon administratif qu’il occupait. Selon les papyrus, les aliments de base du régime des ouvriers étaient le hedj (du pain au levain), le persem (du pain plat), diverses viandes, les dattes, le miel et certaines légumineuses, le tout arrosé de bière.

    Si cela fait bien longtemps que l’on admet qu’il fallut une importante main-d’œuvre pour bâtir la pyramide de Khéops, les historiens n’en débattent pas moins du statut de celle-ci. En effet, nombreux sont ceux qui avancent que ces ouvriers avaient dû être réduits à l’état d’esclaves. Mais les Papyrus de la mer Rouge contredisent cette idée. Les comptes détaillés de Merer prouvent que ceux qui ont construit les pyramides étaient des ouvriers qualifiés qui étaient rémunérés en échange de leurs services.

    Des ouvriers transportent des blocs de pierre dans un détail du relief du temple de Louxor.

    PHOTOGRAPHIE DE Prisma, Album

    Mais les lignes de ces papyrus fragiles recèlent une chose plus extraordinaire encore. Les mots de Merer nous offrent le témoignage direct d’une personne qui assista non seulement à la construction des pyramides mais dont l’équipe joua en outre un rôle crucial dans l’accomplissement de cette tâche pharaonique au quotidien. Grâce à cette découverte, les égyptologues disposent d’un aperçu détaillé (et quelque peu prosaïque) des étapes ultimes de l’édification de la grande pyramide de Gizeh.

    Comprendre : l'Ancienne Égypte

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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