Visiter le Louvre peut se transformer en aventure gastronomique... il suffit d'ouvrir l'œil
Le célèbre musée parisien a annoncé le transfert de la Joconde dans une galerie dédiée. Ce changement va permettre aux visiteurs de découvrir le Louvre d’une manière à la fois unique et personnelle : grâce à l’art de la gastronomie.

Pourquoi personne ne mange dans Les Noces de Cana de Véronèse, le tableau le plus grand en taille du Louvre ? Achevé au 16e siècle à Venise, confisqué puis rapporté en France par les troupes de Napoléon en 1797, cette œuvre extravagante représente Jésus-Christ lors d’un banquet de mariage juste après qu’il a accompli le miracle d’avoir transformé l’eau en vin.
La « Nouvelle Renaissance » du Louvre voulue par Emmanuel Macron réserve à l’œuvre phare du musée un présent trop longtemps différé : Mona Lisa va enfin bénéficier d’une salle dédiée.
Si ses nouveaux quartiers feront à n’en pas douter les gros titres, la rénovation du Louvre est également une grande nouvelle pour le colocataire injustement délaissé qui fait face à la Joconde : Les Noces de Cana de Véronèse. Ce chef-d’œuvre du seizième siècle est non seulement le plus grand tableau du Louvre (ses 68 m2 de surface pourraient faire des envieux à Paris), mais il s’agit également du plus splendide tableau gastronomique de la Renaissance italienne. Mona Lisa ne devrait pas déménager avant 2031, au plus tôt, mais une fois cela fait, les visiteurs auront enfin le temps, la place et le calme pour voir – voir vraiment – Les Noces de Cana.
Chaque fois que je contemple les Noces, je pense à tout le délice et à toute la satisfaction que peut procurer l’initiation à l’univers de la nourriture dans les galeries du Louvre. Un visiteur du musée n’a pas besoin d’être expert en art pour savourer une nature morte figurant des fraises mûres ou pour éprouver du plaisir devant une toile mettant en scène des agapes. Au gré de ses déambulations dans le musée, on ne sait jamais quand on va faire la rencontre de cultures, d’identités, de pratiques religieuses et de traditions gastronomiques transcendant le temps et l’espace.
Comme mon ami, l’auteur Stephen Heyman, l’a un jour écrit dans une critique d’un ouvrage portant sur la nourriture et le Louvre, « après avoir fait l’épreuve de 500 images de saint Sébastien transpercé de flèches de manières diverses et variées, qui ne se requinque pas à la vue, sur une toile vieille de 300 ans, d’une framboise suggestive ou d’un noble artichaut ? »
Pour une visite alliant goût pour le grand art et pour la bonne nourriture, les Noces de Cana constituent un bon point de départ. Ce tableau représente Jésus en train de réaliser son premier miracle, celui de transformer l’eau en vin lors d’un mariage, à ceci près que Véronèse transpose la scène dans un palais de Venise et ajoute des dizaines de personnages vêtus d’habits de son propre temps. La table appartient, elle aussi, à la Venise aristocratique. Les fragiles verres à pied et les assiettes et récipients en or et argent massif évoquent un luxe certain. Les serviettes individuelles et le dressage de la table soulignent le raffinement des pratiques culinaires vénitiennes par rapport à celles du nord de l’Europe.
Les convives viennent de terminer les plats de résistance et conversent tandis que l’on dispose devant eux un dernier service composé de coings, de raisins, de dattes et autres délicatesses. Il serait incongru de les montrer dans l’acte de manger ; même la femme qui est en train d’utiliser un cure-dent pour déloger un morceau de nourriture coincé entre ses dents garde la bouche fermée. À l’avant-plan, un serveur pieds nus vêtu d’or se penche et verse le vin nouvellement apparu d’une grande jarre à eau en pierre sculptée dans une carafe plus petite tandis que l’échanson se tenant à son côté lève un verre à pied pour en examiner le miraculeux liquide rouge foncé. Au centre, au niveau du balcon, juste au-dessus du Christ, un équarrisseur découpe un grand morceau d’agneau à l’aide d’un couteau pesant. Pourtant, les convives en sont déjà au dessert ; le geste de l’équarrisseur annonce symboliquement la crucifixion du Christ.
Hiérarchie, protocole, richesse, politique locale et pouvoir christique – il y a tout cela dans ces agapes.
Une fois que vous aurez soupé à Cana, dirigez-vous vers l’aile dédiée à l’Égypte ancienne pour découvrir un exemple précoce de « régime méditerranéen » : pain blanc, vin, huile d’olive et fromage.
Là, dans la salle 635 de l’aile Sully, se trouve une frise en calcaire peint extraite de la tombe de la princesse Néfertiabet. Vêtue d’une longue robe ajustée en peau de léopard laissant son épaule et son bras droits nus, elle est installée, dans une splendeur solitaire, sur un trône, un repas devant elle sur une table d’offrandes garnie de tranches de pain blanc dressées à la verticale. Derrière elle, le garde-manger est rempli de breuvages et d’aliments dont elle pourra se délecter pour l’éternité : bœuf, gazelle, venaison, foie, oie, canard, poisson, tourterelles, volaille, fruits et céréales. Cette abondance de provisions indique que la princesse continuera à profiter des plaisirs de la nourriture terrestres dans sa vie céleste.

Représentée sur sa tombe vêtue d’une robe ajustée en peau de léopard, la princesse Néfertiabet est entourée d’une abondance de provisions pour l’au-delà : fruits, bœuf, gazelle, venaison, tourterelles. (Stèle de Néfertiabet, vers 2620-2500 avant notre ère ; salle 635, aile Sully, Louvre).
Avancez désormais dans le temps de près d’un millénaire, salle 227, aile Richelieu. Vous voilà devant l’une des œuvres les plus importantes du Louvre : le Code de Hammurabi, texte juridique antique gravé en écriture cunéiforme sur une stèle en pierre noire. En regardant dans les vitrines voisines, je découvre qu’Hammurabi, roi de Babylone, était plus qu’un roi ayant créé le code juridique le plus complet de l’Antiquité ; il était également bon vivant. (Son mets préféré était une tourte à la caille particulièrement relevée).
Dans une vitrine de la même salle, je remarque un plat rond et peu profond décoré de quatre cercles concentriques et fabriqué à partir d’une argile blanche à la couleur de biscuit. Au centre se trouvent des empreintes en forme d’animaux : quatre aux grandes oreilles qui peuvent être des ânes et six à la queue levée qui ressemblent à des chiens. « Moule de cuisine », indique sobrement l’étiquette. Cet objet simple n’a rien d’insolite, mais sa date me saute aux yeux. Celui-ci est vieux de 3 800 ans et a été découvert dans l’est de l’actuelle Syrie. Les moules – avec des dessins d’animaux et de femmes enceintes – servaient généralement à préparer des tourtes salées et des gâteaux sucrés pour la famille royale. Les Mésopotamiens, connus pour leurs vins, furent les premiers producteurs connus de bière et de glaces également.
Si les royaumes et les dynasties se sont effacés, bien souvent les ustensiles royaux subsistent. Dans une vitrine de la salle 527, dans l’aile Richelieu, je tombe sur un ensemble cuillère-fourchette provenant de Ceylan (actuel Sri Lanka) taillé dans du cristal et serti de rubis incrustés dans de l’or. La cuillère, ustensile le plus ancien, côtoyait la fourchette, une invention plus récente. À cette époque, les artisans ceylanais travaillaient principalement avec de l’ivoire pour fabriquer de tels objets, mais dans ce cas, l’on utilisa du cristal de roche, dans une probable tentative de mettre l’accent sur la rareté et sur le prestige royal.
La galerie d’Apollon, que l’on trouve non loin de la Victoire de Samothrace, abrite les joyaux de la Couronne de France. Plus belle boîte à bijoux du monde, cette galerie dorée fut construite sur ordre du roi Louis XIV pour exhiber sa grandeur. Mais pour la plupart, les joyaux de la Couronne de France furent vendus aux enchères au 19e siècle. La pièce a été donc été comblée avec les exubérantes collections de plats, d’assiettes et de récipients du roi, certains en or et sculptés à partir de minéraux ou d’agrégats de minéraux (lapis-lazuli, agate, améthyste et jade). Ils évoquent le grand couvert, rituel aussi ridiculement artificiel que formel qui se tenait à Versailles : presque tous les soirs, le roi Louis XIV dînait en public en compagnie de la reine et de leur descendance. (Son successeur et arrière-petit-fils, Louis XV, préférait dîner seul).
La vaisselle figure également en abondance dans l’aile dédiée aux arts de l’islam. Parmi les près de trois mille objets exposés se trouvent des assiettes en céramique et des bols en jade, des bouteilles en verre et des carafes et bassines en métal. Dans la salle 185 de l’aile Denon, sur une assiette concave en céramique du 16e siècle, on peut lire l’inscription suivante : « Que cette assiette soit toujours pleine, toujours entourée d’amis, qu’ils ne manquent de rien et qu’ils profitent pleinement de toutes choses. » Avec ses fleurs bleues et jaunes nichées dans des feuilles vertes, l’assiette aurait toute sa place dans une cuisine de campagne gaie.


Royaumes et dynasties périclitent, mais les ustensiles royaux subsistent. Une cuillère et une fourchette provenant de Ceylan (actuel Sri Lanka), sculptées au 16e siècle dans du cristal de roche et ornées de rubis incrustés dans de l’or. On peut les admirer au Louvre, dans l’aile Richelieu, salle 517.
Qui n’aime pas se retrouver autour d’un beau repas avec des êtres chers ? « Que cette assiette soit toujours pleine, toujours entourée d’amis, qu’ils ne manquent de rien et qu’ils profitent pleinement de toutes choses », peut-on lire en persan sur ce plat du 16e siècle, l’un des trois mille objets exposés dans l’aile Denon (salle 185) du Louvre.
Avancez désormais dans le temps de près d’un millénaire, salle 227, aile Richelieu. Vous voilà devant l’une des œuvres les plus importantes du Louvre : le Code de Hammurabi, texte juridique antique gravé en écriture cunéiforme sur une stèle en pierre noire. En regardant dans les vitrines voisines, je découvre qu’Hammurabi, roi de Babylone, était plus qu’un roi ayant créé le code juridique le plus complet de l’Antiquité ; il était également bon vivant. (Son mets préféré était une tourte à la caille particulièrement relevée).
Dans une vitrine de la même salle, je remarque un plat rond et peu profond décoré de quatre cercles concentriques et fabriqué à partir d’une argile blanche à la couleur de biscuit. Au centre se trouvent des empreintes en forme d’animaux : quatre aux grandes oreilles qui peuvent être des ânes et six à la queue levée qui ressemblent à des chiens. « Moule de cuisine », indique sobrement l’étiquette. Cet objet simple n’a rien d’insolite, mais sa date me saute aux yeux. Celui-ci est vieux de 3 800 ans et a été découvert dans l’est de l’actuelle Syrie. Les moules – avec des dessins d’animaux et de femmes enceintes – servaient généralement à préparer des tourtes salées et des gâteaux sucrés pour la famille royale. Les Mésopotamiens, connus pour leurs vins, furent les premiers producteurs connus de bière et de glaces également.
Si les royaumes et les dynasties se sont effacés, bien souvent les ustensiles royaux subsistent. Dans une vitrine de la salle 527, dans l’aile Richelieu, je tombe sur un ensemble cuillère-fourchette provenant de Ceylan (actuel Sri Lanka) taillé dans du cristal et serti de rubis incrustés dans de l’or. La cuillère, ustensile le plus ancien, côtoyait la fourchette, une invention plus récente. À cette époque, les artisans ceylanais travaillaient principalement avec de l’ivoire pour fabriquer de tels objets, mais dans ce cas, l’on utilisa du cristal de roche, dans une probable tentative de mettre l’accent sur la rareté et sur le prestige royal.
La galerie d’Apollon, que l’on trouve non loin de la Victoire de Samothrace, abrite les joyaux de la Couronne de France. Plus belle boîte à bijoux du monde, cette galerie dorée fut construite sur ordre du roi Louis XIV pour exhiber sa grandeur. Mais pour la plupart, les joyaux de la Couronne de France furent vendus aux enchères au 19e siècle. La pièce a été donc été comblée avec les exubérantes collections de plats, d’assiettes et de récipients du roi, certains en or et sculptés à partir de minéraux ou d’agrégats de minéraux (lapis-lazuli, agate, améthyste et jade). Ils évoquent le grand couvert, rituel aussi ridiculement artificiel que formel qui se tenait à Versailles : presque tous les soirs, le roi Louis XIV dînait en public en compagnie de la reine et de leur descendance. Son successeur et arrière-petit-fils, Louis XV, préférait dîner seul.
La vaisselle figure également en abondance dans l’aile dédiée aux arts de l’islam. Parmi les près de trois mille objets exposés se trouvent des assiettes en céramique et des bols en jade, des bouteilles en verre et des carafes et bassines en métal. Dans la salle 185 de l’aile Denon, sur une assiette concave en céramique du 16e siècle, on peut lire l’inscription suivante : « Que cette assiette soit toujours pleine, toujours entourée d’amis, qu’ils ne manquent de rien et qu’ils profitent pleinement de toutes choses. » Avec ses fleurs bleues et jaunes nichées dans des feuilles vertes, l’assiette aurait toute sa place dans une cuisine de campagne gaie.
Dans le cadre de mes recherches sur l’univers gastronomique du Louvre, j’ai retrouvé Guy Savoy, que certains critiques gastronomiques considèrent comme le meilleur chef du monde, afin d’analyser les rapports entre nourriture et art.
Avant de l’emmener au Louvre, j’ai commencé par emmener le musée dans son restaurant, de l’autre côté de la Seine.
Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre, s’est joint à nous, à une table nichée dans un coin de la cuisine. Le chef nous a servi son plat emblématique : un velouté d’artichaut épais avec truffe noire en lamelles et de copeaux de parmesan, le tout accompagné d’une brioche grillée aux champignons, à tremper, enduite de beurre de truffe.
Alors que nous étions en train de manger, j’ai sorti un beau livre sur l’art et la gastronomie à la page de La Brioche.

En faisant bien attention à ce tableau intitulé La Brioche, peint en 1763 par le maître de la nature morte Jean-Baptiste-Siméon Chardin, vous remarquerez que la brioche éponyme est brûlée. Un brin de fleurs d’oranger, ornement de rigueur pour les mariages, transperce le sommet de ce pain de fête entouré de fruits mûrs et sensuels. Pourquoi est-elle brûlée ? Possiblement pour suggérer que le temps passe vite. (Salle 928 de l’aile Sully).
Le point focal du tableau est une grande brioche circulaire dont le sommet, sombre et biseauté, donne l’impression que le boulanger l’a laissée trop longtemps au four. Un brin de fleurs d’oranger, décoration de mise pour les mariages, transperce le haut de la brioche. À gauche se trouve un pot à sucre en porcelaine peint à la main, fleuri et rond, symbolisant la mariée en récipient ouvert ; à droite, une mince bouteille phallique contient un liquide sombre. Devant la brioche se trouvent deux pêches mûres, deux biscuits, un petit gâteau et trois cerises. Aucune subtilité sexuelle ici.
Guy Savoy observe attentivement la copie du tableau. « Le chef a brûlé la brioche ! », s’exclame-t-il.
Sébastien Allard semble avoir été frappé par la foudre. « Chardin est presque le père de la perfection, et voir sa brioche comme étant brûlée est une interprétation toute nouvelle de son œuvre, affirme-t-il. C’est révolutionnaire ! Avant je me concentrais sur la nature morte, immobile, du tableau, mais l’état de la brioche brûlée ajoute à l’idée que le temps passe vite. »
« La brioche est morte deux fois alors ! », a lancé Guy Savoy en riant à gorge déployée.
Sébastien Allard garde son sérieux. « Je dirais que la nature morte est en fait une nature vivante. Avec cette brioche froide, trop cuite, irrégulière, Chardin a saisi le passage du temps et la fragilité de la vie. »
Le terme de notre repas de plusieurs plats approche et Sébastien Allard et Guy Savoy échangent des anecdotes ; la joie du partage. « Pour moi, aller au musée c’est comme écouter un opéra ou manger un repas, dit le premier. Il y a le déroulé de l’événement. La probabilité que quelque chose d’inattendu se produise. »
« C’est comme se précipiter pour aller voir la Joconde, c’est ton objectif, commence Guy Savoy. Mais d’un coup, tu te perds. Tu tombes sur une œuvre qui t’évoque une atmosphère ou un lieu. Par exemple, tu regardes une nature morte et tu te mets à rêver de ce que tu vas mettre sur la table ensuite. »
Peu après, Sébastien Allard nous emmène tous les trois voir les natures mortes du Louvre. En chemin, nous faisons halte dans la salle où se trouve la brioche de Chardin.
De même que sur la photo qui figure dans le beau livre, la brioche est brûlée, cela ne fait aucun doute.
Cet article est extrait du livre Adventures in the Louvre: How to Fall in Love with the World’s Greatest Museum d’Elaine Sciolino.
