Qui sont vraiment les francs-maçons, objets de théories du complot depuis des siècles ?
L'histoire de cette guilde de tailleurs de pierre devenue la plus grande société secrète du monde a moins à voir avec un complot qu’avec la pensée des Lumières.
Page titre de la Constitution des francs-maçons au Musée de la franc-maçonnerie à Paris. La franc-maçonnerie trouve ses origines dans des guildes médiévales de tailleurs de pierre, bien que ses itérations modernes remontent au 18e siècle.
Qu’ont Jesse Jackson, George Washington, Wolfgang Amadeus Mozart, Duke Ellington et Buzz Aldrin en commun ? Tous sont ou ont été membres de la plus grande société secrète du monde : la franc-maçonnerie, un groupe dont font partie certaines des personnes les plus influentes du monde et dont les rites secrets se perpétuent depuis des siècles.
Selon les spéculations des conspirationnistes, le groupe tirerait les ficelles du pouvoir et de la finance dans le monde entier et serait responsable d’assassinats célèbres. Et certains vont jusqu’à soutenir que ses membres vénèrent Satan.
LES ORIGINES DE LA FRANC-MAÇONNERIE
Bien que la franc-maçonnerie trouve ses racines dans des guildes médiévales de tailleurs de pierre, l’immense majorité de ses membres ne sont pas maîtres dans cet art. Selon le mythe maçonnique, le nombre de tailleurs de pierre de la guilde aurait commencé à diminuer et le groupe se serait mis à accepter des membres « spéculatifs » ou honoraires afin de renforcer ses effectifs. L’incarnation moderne de la franc-maçonnerie remonte au 18e siècle et aux Lumières, époque où des Anglais cherchèrent à communier avec les autres et à discuter de questions ayant trait à la philosophie, à la religion et à la vie dans un contexte organisé.
Ignaz Unterberger, artiste italo-autrichien du 18e siècle, a peint cette cérémonie d’initiation dans une loge maçonnique viennoise en 1789.
Des organisations fraternelles existaient depuis des centaines d’années, mais au 18e siècle, une multitude de groupes masculins tirant leurs noms du pub anglais où ils se retrouvaient se réunirent sous la bannière d’une « Grande Loge », une association qui se réunissait pour organiser des cérémonies et des rituels et initier de nouveaux membres. Désormais connu sous le nom de Première Grande Loge d’Angleterre, le groupe fut le premier de son genre, et plus ses membres furent nombreux, plus la liste de ses cérémonies et rituels secrets et des exigences d’admission s’allongea.
Selon l’Association du service maçonnique d’Amérique du Nord, il y avait 898 000 francs-maçons environ aux États-Unis en 2020, et ils seraient six millions dans le monde.
QUI PEUT DEVENIR FRANC-MAÇON ?
De nos jours, les prérequis pour entrer en franc-maçonnerie sont relativement élémentaires. Quoique chaque loge ait ses propres règles, un franc-maçon doit en général être un homme (coopté par d’autres membres de la loge), croire en un « Être Suprême », faire preuve d’une moralité irréprochable et s’engager à apprendre les voies de la fraternité et à se conformer à ce que les francs-maçons appellent leurs « us et coutumes anciens ».
Ces coutumes comprennent notamment une hiérarchie stricte et une multitude de cérémonies et de rituels. Après leur initiation au sein d’une loge, les maçons passent par une série de « degrés » ; de celui d’apprenti, ils s’élèvent vers celui de compagnon, puis enfin de maître. En chemin, ils apprennent le langage, les rites et les crédos du « métier », ils prennent part à des rituels qui font écho aux croyances bibliques. Ils adoptent également des symboles tels que l’équerre et le compas, qui représentent la moralité, ou la ruche, qui représenterait la coopération et le travail entre membres, ou encore l’« Œil de la Providence », aussi appelé « Œil Omniscient », qui représente la vigilance éternelle de Dieu. Certains de ces symboles sont si célèbres qu’ils sont connus des non-maçons ; on retrouve par exemple l’Œil de la Providence sur les billets d’un dollar américains.
POURQUOI LE CATHOLICISME A INTERDIT LA FRANC-MAÇONNERIE
Quand ils n’organisent pas des rituels sophistiqués, les francs-maçons s’impliquent souvent dans des travaux d’intérêt général et dans la philanthropie, s’apportent un soutien mutuel entre membres ou travaillent avec des organisations partenaires. Mais malgré cet accent bienveillant et bien qu’il ne s’agisse pas d’une religion formelle, la franc-maçonnerie n’est pas universellement acceptée. Elle est bannie par l’Église catholique romaine, qui défend à ses fidèles de la rejoindre et les encourage plutôt à s’associer avec des organisations catholiques comme l’Ordre des Chevaliers de Colomb.
Les symboles maçonniques de l’équerre (vertu) et du compas (sagesse) sont placés sur une Bible ouverte sur l’Évangile selon Jean lors d’une tenue.
« Leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Église, et l’inscription à ces associations reste interdite, déclarait l’Église en 1983. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion. » Ainsi que l’explique Ed Condon, journaliste au Catholic Herald, l’Église s’oppose à la franc-maçonnerie à cause de son orientation séculière et de son rôle de sanctuaire pour « ceux ayant des idées et des projets hétérodoxes ».
POUVOIR ET PANIQUE
Ces projets suscitent depuis longtemps la controverse à cause du pouvoir politique qu’exercent certains francs-maçons. Bien que les règles de la plupart des loges incitent les membres à ne pas parler de politique, bon nombre n’en sont pas moins actifs au sein de partis politiques et de gouvernements, et la discrétion de l’organisation ainsi que les vœux de fraternité qu’on y professe ont donné naissance à des théories conspirationnistes concernant les intentions politiques de ses membres.
La plupart des théories du complot postulent que tous les francs-maçons ont les mêmes croyances et qu’ils agissent de manière monolithique, pensée qui s’inscrit dans les théories conspirationnistes antisémites modernes qui associent la franc-maçonnerie à un « Nouvel Ordre Mondial » interlope qui contrôlerait la finance et les relations internationales.
Fauteuils réservés aux membres au statut élevé dans la Salle des francs-maçons de la Grande loge unie d’Angleterre à Londres.
Statue de George Washington en tablier maçonnique au siège de la Grande loge de New York.
Par la suite, la franc-maçonnerie est devenue emblématique dans la culture populaire et auprès des non-membres qui sont intrigués par ses rituels mystérieux. En dépit de cette curiosité, le nombre de membres chute depuis des années. Pourquoi ce déclin ? Certains le relient à une tendance plus vaste observée au sein des organisations fraternelles et des clubs philanthropiques comme le Benevolent et Protective Order of Elks, qui ont connu un fort déclin au fil des décennies. D’autres attribuent cette baisse des inscriptions au refus du mouvement de reconnaître les femmes malgré l’existence de loges exclusivement féminines.
Ou bien peut-être que cette chute est due à la familiarisation croissante du public avec les rituels autrefois secrets du mouvement, ainsi que le faisait observer l’historien John Dickie, interrogé par NPR en 2020. « Je pense qu’il est possible, qu’en fait, le problème est que le secret a perdu une part de sa magie, déplorait-il. À une époque où deux minutes, voire moins, suffisent à aller sur Google pour découvrir ce que sont vraiment les secrets des francs-maçons, je ne suis pas sûr qu’ils puissent encore vraiment conserver tant de mystère que cela pour les membres. »
Malgré la controverse et les blâmes, le mouvement persiste. Mais seul le temps nous dira si la franc-maçonnerie est en mesure de conserver sa pertinence au 21e siècle. En attendant, ses membres continuent de voir la franc-maçonnerie comme une fraternité puissante aussi bien que comme une occasion de rendre à la communauté ce qu’elle leur a donné ou encore comme ce qu’un membre anglais appelle « un boulevard pour la croissance et le développement personnels ». Pour l’instant, les rituels et symboles secrets de la franc-maçonnerie continuent de se perpétuer et l’influence de ses membres les plus connus aussi.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.