Égypte : une cité secrète sous les pyramides ?

Deux scientifiques italiens disent avoir découvert des structures vieilles de 38 000 ans profondément enfouies sous les pyramides de Gizeh. Il y a cependant de bonnes raisons de douter.

De Candida Moss
Publication 24 avr. 2025, 09:09 CEST
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Deux chercheurs ont déclaré avoir découvert des restes de structures sous la pyramide de Khéphren à Gizeh. Mais le scepticisme demeure chez d’autres experts.

PHOTOGRAPHIE DE Christian Heeb, Laif, Redux

Ces dernières semaines, de nombreux articles ont paru au sujet d'une cité secrète qui se trouverait sous les pyramides de Gizeh. Une équipe de chercheurs menée par le chimiste organique à la retraite, le docteur Corrado Malanga, et l’ancien académicien et expert en télédétection, le docteur Filippo Biondi, déclarent avoir découvert et documenté d’énormes structures profondément enfouies sous la pyramide de Khéphren. Ces structures auraient été construites il y a 38 000 ans.

Lors d’une conférence de presse en Italie, les deux chercheurs ont annoncé que, grâce au développement d’une méthode brevetée interprétant les signaux de radars à synthèse d’ouverture (SAR, Synthetic Aperture Radar en anglais), ils ont été en mesure de détecter des structures enterrées à deux kilomètres de profondeur, sous la pyramide. Les Dr Malanga et Biondi auraient découvert huit puits, qu’entourent des passages en spirale, connectés à deux structures cubiques de 90 mètres. Au-dessus de ces puits, ils déclarent avoir découvert cinq structures connectées les unes aux autres par d’autres chemins. En se servant de ce qui ressemble à une technologie d’IA générative de reconstitution, les chercheurs, ainsi que d’autres scientifiques, ont émis l’hypothèse selon laquelle ces structures appartiendraient à une antique cité légendaire, voire une structure préhistorique générant de l’énergie (comme une centrale électrique).

Les rumeurs entourant des structures cachées sous le plateau de Gizeh ne datent pas d’hier. En son temps, Hérodote caressait déjà cette idée qui a refait surface par intermittence au Moyen Âge et durant la Renaissance. Elle était également particulièrement populaire chez les érudits français du 19e siècle et Edgar Cayce, le médium américain, l’a remise au goût du jour au 20e siècle en déclarant qu’une salle des archives se trouvait sous les pyramides. La théorie d’une centrale électrique construite par des aliens a par ailleurs trouvé soutien au sein des cercles de pseudoscientifiques pendant un moment. Elle fait partie d’une plus grande théorie du complot qui affirme que les pyramides et d’autres merveilles architecturales antiques seraient l'œuvre d’extraterrestres.

Ce nouveau souffle donné aux théories du complot entourant Gizeh a attiré l’attention du public en partie à cause du crédit scientifique attribué aux auteurs. Par le passé, Corrado Malanga et Filippo Biondi avaient publié un article revu par leurs pairs sur la structure interne de la pyramide de Khéphren. Bien que ces nouvelles déclarations spectaculaires n’aient pas été revues par des pairs, et que l’un des auteurs soit bien connu pour publier des livres sur les aliens, la combinaison de leurs doctorats et d’une technologie prétendument inédite fait sensation auprès du grand public. L'annonce est rapidement devenue virale et a été reprise par InfoWars, un site conspirationniste américain, Joe Rogan, Piers Morgan et d’autres critiques de « l’archéologie mainstream ».

« Ces affirmations ont été admises par un public aisément malléable à la réception de telles déclarations de chambres secrètes et mystérieuses sous les pyramides », explique le Dr Flint Dibble, archéologue respecté et chargé de communication scientifique. Il a conduit des projets de cartographie numérique 3D dans le cadre d’un grand projet de fouilles à Abydos, en Égypte, et enseigne à l’université de Cardiff. « Et on leur donne raison à cause de l’amalgame de recherches revues par des pairs et les diplômes que ces chercheurs détiennent. »

Cependant, comme d’autres experts l’ont fait remarquer, le problème que pose l’hypothèse d’une cité perdue repose sur une technologie qui n’a pas fait ses preuves, demande une grande imagination lors de sa reconstitution et ne correspond pas aux données archéologiques connues de la région.

 

SE SERVIR DE LA TECHNOLOGIE POUR EXPLORER LES PYRAMIDES

Pour commencer, il faut s’intéresser aux méthodes utilisées pour sonder le sol sous le plateau de Gizeh. Comme le Dr Dibble et l’archéologue Milo Rossi l’ont expliqué, ces méthodes n’ont jamais été confirmées ou prouvées, et n’ont jamais fait l’objet d’une vérification indépendante. Les SAR ne sont fiables qu’à deux mètres sous le sol dans des conditions comme celles du plateau. Il est difficile d’imaginer que les informations qu’ils fournissent soient crédibles à deux kilomètres sous la surface.

Comment a-t-on construit les pyramides de Gizeh ?

Pour être clair, les Dr Malanga et Biondi n’ont pas découvert une nouvelle méthode de détection de structures aussi profondément enfouies sous la surface. Ils ont, à la place, déclaré avoir trouvé un nouveau moyen d’interpréter les signaux SAR. Si l’on compare les images du radar publiées dans le rapport avec la reconstitution qu’ils ont générée, il apparaît clairement qu’une certaine liberté artistique a été prise dans l’interprétation des résultats. Cette technologie ne permet pas aux scientifiques de créer une modélisation 3D ou de produire les coupes de section que présentent ces reconstitutions. Lors d’un podcast, le Dr Dibble plaisantait avec l’archéologue Milo Rossi en disant que les travaux des deux chercheurs semblaient basés sur la chambre du réacteur du film Total Recall.

D’autres académiciens de renom ont, en plus d’éducateurs du grand public comme Flint Dibble et Milo Rossi, critiqué les découvertes de Corrado Malana et Flippo Biondi. Le Professeur Lawrence B. Conyers, un expert en radar à pénétration de sol de l’université de Denver, a confié au journal The Daily Mail que les affirmations entourant une vaste cité étaient « de grosses exagérations ». L’archéologue égyptien Dr Zahi Hawass, ancien ministre des Antiquités égyptiennes, a déclaré les découvertes « sans fondements » et a remarqué que le Conseil suprême des Antiquités égyptiennes n’avait pas autorisé ce genre d’études à avoir lieu dans la pyramide de Khéphren.

« Avec suffisamment de manipulation, je pourrais donner n’importe quelle forme à n’importe quelle imagerie satellite… Je pense que c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont mal interprété les données. Et l’imagerie satellite […] les signaux SAR ne peuvent pas être utilisés pour voir à travers la roche, un point c’est tout. » C’est ce qu’a dit la Dr Sarah Parcak, une spécialiste récompensée de l’université de l’Alabama, qui se sert d’imagerie satellite de pointe pour mieux comprendre l’archéologie égyptienne.

 

DE L’EAU, DE L’EAU PARTOUT

Ce qui pose encore plus problème, explique le Dr Dibble, c’est le curieux écart des données archéologiques à disposition du plateau de Gizeh, durement amassées au cours des deux derniers siècles. Toutes ces études, basées sur des analyses géochimiques, des méthodes de télédétection satellite, de réfraction sismique, des tomographies muonique ou de résistance électrique, des tests à ultrasons, des radars à pénétration de sol et la magnétométrie ont été minutieusement vérifiées les unes avec les autres. Elles ont, dans certains cas, été confirmées par des travaux de fouilles et de forage. Le poids scientifique cumulé de toutes ces découvertes a permis d’avoir une connaissance solide de ce qui se trouve sous les pyramides, comment elles furent construites et quand.

Les données les plus importantes en ce qui concerne cette étude sont celles de la nappe phréatique de Gizeh. Une étude approfondie menée par Sharafeldin en 2019 a révélé qu’elle ne se trouve qu’à une dizaine de mètres sous la surface du plateau. Cette proximité, explique le Dr Dibble, signifie que, même aujourd’hui, des monuments comme le Sphinx et beaucoup d’autres s’érodent lentement à cause d’une eau qui remonte parfois des sous-sols. En somme, si des mégastructures se trouvaient effectivement sous les pyramides, elles auraient toujours fait partie d’une cité engloutie, comme l’Atlantis d’Aquaman ou la mythique Atlantide submergée par les eaux, non pas comme Amsterdam ou Venise.

En général, l’eau est un composant essentiel de notre compréhension de la vie des pyramides. Elles furent bâties peu après la fin de la période humide en Afrique, lorsque de plus fortes pluies faisaient ressembler le Sahara à un paradis verdoyant. Une étude récente menée par Sheisha en 2022 a montré que, durant la période de construction, la branche Kufu du Nil s’étendait jusqu’au plateau de Gizeh, rendant plus facile le transport des pierres nécessaires à l’érection des pyramides. Nul besoin d’aliens quand il y a de l’eau.

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    Les mythes sur une cité souterraine sous les pyramides remontent au temps d’Hérodote.

    PHOTOGRAPHIE DE Alex Saberi, Nat Geo Image Collection

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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