L'histoire des Borinqueneers, membres oubliés du 65e régiment d’infanterie

Le 65e régiment d’infanterie était la seule unité entièrement hispanique de l’armée américaine. Ses membres participèrent aux deux guerres mondiales et à la guerre de Corée, où 61 000 Portoricains furent envoyés en 1950.

De Laura N. Pérez Sánchez
Publication 14 nov. 2023, 11:47 CET
Des membres du 65e régiment d’infanterie de l’armée américaine, également connus sous le nom de « The Borinqueneers », ...

Des membres du 65e régiment d’infanterie de l’armée américaine, également connus sous le nom de « The Borinqueneers », tiennent un drapeau portoricain. Un doigt dépasse du drapeau à travers l’un des trous causés par des tirs d’obus pendant la guerre de Corée, en 1952. Les Borinqueneers, essentiellement Portoricains, étaient la seule unité entièrement hispanique de l’armée américaine. Le surnom de l’unité, adopté pendant la guerre de Corée, est dérivé du terme « Borikén », le nom indigène taïno de Porto Rico. Ses membres reçurent la médaille d’or du Congrès en 2014 pour « les contributions et l’héroïsme extraordinaire des hommes du régiment, qui servirent à une époque où les unités étaient ségréguées ».

PHOTOGRAPHIE DE AP

Luis Sánchez Hernández s’était engagé dans l’armée américaine à l’âge de 19 ans, y voyant sa seule chance de sortir de la pauvreté après avoir quitté l’école en quatrième pour cultiver la terre afin d’aider sa famille à Cayey, à Porto Rico. Il servit pendant la Seconde Guerre mondiale et fut ensuite envoyé pour combattre dans la guerre de Corée. Il rejoignit également un mouvement en soutien à un parti politique qui luttait pour l’indépendance de Porto Rico. Ce parti fut fondé en 1946, un an seulement après le retour de Luis Sánchez Hernández de son service en Europe.

Lorsqu'il mourut d'un lymphome à l’âge de 89 ans, ses dernières volontés furent respectées : son cercueil ne fut pas recouvert du drapeau américain mais de la bannière portoricaine à une étoile, et ses cendres furent dispersées dans les montagnes de sa ville natale, dans le centre de Porto Rico, et non enterrées aux côtés d’autres anciens combattants.

Luis Sánchez Hernández fut déployé pour la première fois en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, ...
Sánchez Hernández en service pendant la guerre de Corée en 1950. Lorsqu’il partit à la guerre, ...
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Luis Sánchez Hernández fut déployé pour la première fois en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, où il servit en tant qu’officier de police militaire. Au dos de cette photographie, datée du 12 janvier 1945, en Belgique, il y a écrit : « À ma mère : En souvenir de ton fils absent. Luis ».

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Sánchez Hernández en service pendant la guerre de Corée en 1950. Lorsqu’il partit à la guerre, il laissa deux petites filles à Porto Rico. Son troisième enfant naquit après sa libération honorable et son retour au pays.

Photographies de Christopher Gregory-Rivera, National Geographic

« Papa a toujours été très fier de son passage dans l’armée, même s’il l’a plus tard considérée comme un oppresseur de notre peuple », explique sa fille, Noemí Sánchez González. « Il était fier de tous les boricuas (Portoricains) et du travail qu’ils avaient accompli. »

Noemí Sánchez González est ma mère. Son père, Sánchez Hernández, est donc mon grand-père, l’abuelo Luis. Pendant la guerre de Corée, il combattit aux côtés des milliers de soldats du 65e régiment d’infanterie, la seule unité entièrement hispanique de l’armée américaine, connue sous le nom de « The Borinqueneers ».

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    Après leur période d’entraînement, ces soldats portoricains étaient prêts à combattre au sein du 65e régiment d’infanterie ...
    Le soldat Luis Torregrosa en train d'utiliser un microphone et un haut-parleur pour donner un cours d’anglais ...
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    Après leur période d’entraînement, ces soldats portoricains étaient prêts à combattre au sein du 65e régiment d’infanterie de l’armée américaine, déployé pour la guerre de Corée. 

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    Le soldat Luis Torregrosa en train d'utiliser un microphone et un haut-parleur pour donner un cours d’anglais aux membres de l’unité hispanophone de l’armée, connue sous le nom de Borinqueneers pendant la guerre de Corée. 

    Photographies de Bettmann Archive, Getty Images

    Le premier groupe de recrues portoricaines à aller en Corée quitta San Juan en 1950, explique Víctor Labarca, président de l’association des vétérans du 65e régiment d’infanterie de Porto Rico. Comme le raconte Noemí Figueroa Soulet dans son livre The Borinqueneers, A Visual History of the 65th Infantry Regiment, les soldats endurèrent un voyage de 30 jours sur un navire de guerre surpeuplé, qui les conduisit d'abord au Panama, puis au Japon, et enfin dans la péninsule coréenne, à plus de 13 000 kilomètres de leur foyer caribéen. Pour beaucoup d’entre eux, c’était leur première fois à l’étranger.

    En Corée, les jeunes recrues durent faire face à un climat radicalement différent, dont des températures glaciales et de la neige. Entre le coréen et l'anglais, la barrière de la langue était double puisque les Borinqueneers parlaient espagnol.

    Séparés des autres unités, ils furent également confrontés au racisme et à la xénophobie de leurs homologues et officiers de l’armée américaine, alors même qu’ils risquaient leur vie pour les États-Unis. Selon les archives du ministère américain de la Défense, on compterait au moins 713 morts et 2 318 blessés sur les 61 000 Portoricains déployés.

    Des documents officiels de l’armée américaine délivrés à Luis Sánchez Hernández nous renseignent sur le Combat ...
    Certificat de libération honorable délivré à Sánchez Hernández à l’issue de son service.
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    Des documents officiels de l’armée américaine délivrés à Luis Sánchez Hernández nous renseignent sur le Combat Infantryman Badge (lit. insigne d’infanterie de combat) porté par les membres du 65e régiment d’infanterie pendant la guerre de Corée. 

    PHOTOGRAPHIE DE Christopher Gregory-River, National Geographic
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    Certificat de libération honorable délivré à Sánchez Hernández à l’issue de son service.

    PHOTOGRAPHIE DE Christopher Gregory-Rivera, National Geographic

     

    L’ORIGINE DE L’UNITÉ

    Si les Borinqueneers sont surtout connus pour avoir participé à la guerre de Corée, l'unité remonte en réalité à 1899, alors qu’elle s’appelait le « Battalion of Puerto Rican Volunteers », formé peu après la prise de contrôle de l’archipel par les États-Unis lors de la guerre hispano-américaine. Les soldats portoricains renforcèrent la présence américaine sur l'île en devenant la nouvelle force d’occupation à Porto Rico et, par la suite, une division séparée de l’armée régulière américaine. En 1917, un mois avant le début de la Première Guerre mondiale, les Portoricains se virent attribuer la citoyenneté américaine et plusieurs milliers d’entre eux servirent dans l’armée.

    Le 65e régiment d’infanterie fut désigné en 1920 ; son surnom, adopté pendant la guerre de Corée, est dérivé du terme « Borikén », le nom indigène taïno de Porto Rico.

    Au fil des ans, les Portoricains continuèrent à s’engager dans l’armée américaine, jusqu’à représenter l’un des plus grands nombres de militaires enrôlés, avec plus de 115 000 vétérans. L’armée continue d’attirer les Portoricains qui cherchent à sortir de la pauvreté. Plus de 1 225 Portoricains auraient péri dans des guerres menées par les États-Unis, selon les données du ministère américain de la Défense.

    Des membres du 65e régiment d’infanterie s’entraînent à Porto Rico avant d’être déployés. Quelque 61 000 Portoricains participèrent à ...

    Des membres du 65e régiment d’infanterie s’entraînent à Porto Rico avant d’être déployés. Quelque 61 000 Portoricains participèrent à la guerre de Corée. Parmi eux, il y aurait eu au moins 713 morts et 2 318 blessés.

    PHOTOGRAPHIE DE Bettmann Archive, Getty Images

    Le lien de mon grand-père avec les Borinqueneers était évident comme en témoigne le Combat Infantry Badge qu’il portait sur sa casquette de base-ball d’ancien combattant. 

    « Si l'insigne comporte un fusil, c’est qu’il [Sánchez Hernández] en faisait partie », explique Labarca. Cet insigne d’acier et d’émail bleu, ainsi que la casquette bleu foncé, font partie des documents et des photos qui témoignent de son passé de soldat. La famille n’a jamais évoqué cette partie de sa vie. Il ne portait la casquette ornée de l’insigne que lorsqu’il se rendait à ses rendez-vous médicaux au Puerto Rico Veterans Affairs Medical Center de San Juan.

    Ce monument situé à San Juan, à Porto Rico, rend hommage au 65e régiment d’infanterie de l’armée ...

    Ce monument situé à San Juan, à Porto Rico, rend hommage au 65e régiment d’infanterie de l’armée américaine, dont les membres participèrent à la Première Guerre mondiale, à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre de Corée. Il y aurait eu au moins 713 morts et 2 318 blessés parmi les 61 000 Portoricains déployés en Corée.

    PHOTOGRAPHIE DE Christopher Gregory-Rivera, National Geographic

    Le décalage était tel que je n'ai compris que récemment le lien entre notre famille et cet énorme monument à San Juan, une colonne de pierre surmontée d’une statue métallique représentant un soldat. Ma mère passait devant tous les matins sur le chemin de l’école. Il s’avère que cette statue rend hommage au 65e régiment d’infanterie de mon abuelo.

    Je savais que mon abuelo avait participé à la guerre de Corée. Je me souviens que ma mère expliquait qu’il ne pouvait pas regarder de films de guerre parce qu’ils lui faisaient faire des cauchemars « sur la Corée ». Mais j'ignorais qu’il avait participé à ce conflit au sein d’une unité célèbre dont le nom figure sur plusieurs des principales routes de Porto Rico : la 65 de Infantería. Chaque fois que j’ai entendu parler des Borinqueneers (comme lorsque le président Barack Obama a décerné aux membres du 65e régiment d'infanterie la médaille d’or du Congrès en 2014), je n’ai pas fait le lien avec mon grand-père. La médaille « reconnaît les contributions et l’héroïsme extraordinaire des hommes du régiment, qui servirent à une époque où les unités étaient ségréguées ».

    Le soldat Juan Osorio-Melendez du 65e régiment d’infanterie de l’armée américaine salue la foule depuis la fenêtre de ...

    Le soldat Juan Osorio-Melendez du 65e régiment d’infanterie de l’armée américaine salue la foule depuis la fenêtre de son appartement new-yorkais le 30 avril 1953, après sa libération en tant que prisonnier de guerre pendant la guerre de Corée. 

    PHOTOGRAPHIE DE UPI, Bettmann Archive, Getty Images

    Dans ma famille, comme dans d’autres famille portoricaines dont des proches ont rejoint l'armée, on ne parle pas des batailles et on ne s’attarde pas sur les notions de devoir. Le service militaire s’accompagne d’un conflit émotionnel et profond : se battre au nom des États-Unis tout en cherchant à s’en affranchir.

     

    LE VOYAGE DE MON ABUELO

    Abuelo Luis, qui est décédé en 2010, était un nationaliste portoricain et un militant indépendantiste qui ne manquait aucune manifestation ni aucun rassemblement pour la justice sociale. L’un de mes souvenirs les plus marquants, avant que la maladie d’Alzheimer ne le prive de sa capacité à se déplacer librement, est le jour où il a manifesté sur une autoroute dans le cadre d’un mouvement qui demandait la fermeture définitive des terrains d’entraînement de la marine américaine sur l’île de Vieques (la marine américaine a quitté Vieques en 2003, ndlr).

    Grand lecteur, mon grand-père me couvrait de livres et de magazines et menait une vie frugale.

    Voici la médaille d’or du Congrès décernée aux membres du 65e régiment d’infanterie, une unité portoricaine connue ...

    Voici la médaille d’or du Congrès décernée aux membres du 65e régiment d’infanterie, une unité portoricaine connue sous le nom de « The Borinqueneers » pendant la guerre de Corée. L’unité a également servi pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale.

    PHOTOGRAPHIE DE Alex Wong, Getty Images

    Ma tante Lucy Sánchez González, l’aînée de trois enfants, se souvient du retour d’abuelo à la maison après sa libération honorable. La famille avait ensuite déménagé de Cayey à Savanna, dans l’Illinois, où mon abuelo avait obtenu un poste de fonctionnaire dans une base militaire. À la recherche d’un meilleur salaire, ils avaient de nouveau déménagé, cette fois à Chicago, où mon abuelo a alors occupé deux emplois de nuit dans des usines, ce qui l’obligeait à s’absenter jusqu’au petit matin.

    « Il nous a toujours dit que l’armée était pour lui un trabajo obligado (un travail de nécessité) », raconte Tante Lucy, « et que s’il avait eu les moyens financiers, il ne se serait pas engagé. Mais il a aussi toujours dit qu’une fois que l’on accepte un travail, il faut être responsable et s'appliquer à la tâche. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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