Où les pirates dépensaient-ils leur butin ?

L'argent coulait à flots et il n'était pas le seul dans les tavernes qui constellaient les Caraïbes durant l'âge d'or de la piraterie, mais ces refuges avaient bien plus à offrir qu’une simple nuit d’ivresse.

De Jamie L. H. Goodall
Publication 8 août 2024, 09:12 CEST
Les tavernes et les pubs qui foisonnaient aux abords des escales de l'océan Atlantique accueillaient sans ...

Les tavernes et les pubs qui foisonnaient aux abords des escales de l'océan Atlantique accueillaient sans distinction pirates et citoyens ordinaires.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration via Pictures Now, Alamy Stock Photo

Durant l'âge d'or de la piraterie, entre les années 1650 et 1730, lorsque les pirates n'arpentaient pas les mers à la recherche de leur prochaine cible, ils allaient souvent se réfugier dans les ports des Caraïbes pour remplir leur cale, réparer leurs navires et échapper aux autorités. Pendant ces périodes d'inactivité, ils aimaient s'adonner à leur passe-temps favori : la taverne.

Dans les Caraïbes, il n'existait pas de port digne de ce nom qui n'offre une ribambelle d'établissements où locaux et voyageurs, pirates compris, pouvaient se rencontrer et trinquer chaleureusement. Nul doute que les pirates avaient un penchant pour l'ébriété. Ivrognes et fauteurs de trouble, c'est ainsi qu'ils étaient régulièrement décrits, mais il n'y avait pas que vilenie et débauche dans leur vie. Toutes sortes de magouilles étaient également au programme.

Dans son tableau The Capture of the Pirate Blackbeard, 1718, Jean Leon Gerome Ferris met en scène Barbe Noire lors de sa dernière bataille contre les troupes de Robert Maynard. 

PHOTOGRAPHIE DE Jean Leon Gerome Ferris , Bridgeman Images

 

L'EMBARRAS DU CHOIX

À l'époque, deux types d'établissements s'offraient aux pirates désireux d'étancher leur soif : les public houses (ou pubs) et les tavernes. Comme son nom l'indique, un pub était une maison privée ouverte au public. Face au laxisme législatif et à l'absence de taxe portant sur le brassage de la bière, il était courant de brasser son propre nectar pour économiser quelques deniers. Quiconque avait un peu de bière en trop pouvait ouvrir sa porte aux badauds, notamment aux pirates, car l'endroit était particulèrement apprécié des visiteurs souhaitant faire profil bas.

D'un autre côté, les tavernes étaient des espaces spécialement conçus pour le débit de boissons, la restauration et le divertissement. Une taverne digne de ce nom devait proposer quelques tables auxquelles s'asseoir, un bar auquel s'accouder, une piste de danse sur laquelle valser et même une écurie à laquelle confier son fidèle destrier. Les murs étaient couverts de petites annonces, de récompenses offertes pour la capture d'esclaves et de nouvelles sur les procès et les pendaisons. Des prostituées exerçaient leurs charmes sur les visiteurs. Les tavernes avaient des horaires fixes et la bière n'était pas leur seule monnaie d'échange, ils proposaient également du vin, du rhum et du whisky. Bien souvent, quelques chambres étaient disponibles à l'étage pour les voyageurs de passage.

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    En Jamaïque, Port-Royal débordait de tavernes à son apogée, avec près de 40 licences délivrées en un seul mois de l'année 1661.

    PHOTOGRAPHIE DE Phil Clarke Hill, In Pictures via Getty Images

     

    LE SENS DES AFFAIRES

    Malgré leur sulfureuse réputation, les tavernes offraient également un centre de rencontre pour la communauté. D'une part, elles servaient de lieu informel de partage d'informations et de renseignements, c'est là que les dernières nouvelles sur tel scandale politique ou telle négociation de traité circulaient le plus rapidement. Ainsi, sur l'île de la Barbade au 17e siècle, l'Assemblée préférait se réunir dans une taverne plutôt que dans le lieu prévu à cet effet. D'autre part, elles accueillaient volontiers quiconque souhaitait faire commerce.

    Les pirates savaient utiliser ces espaces publics à leur avantage. Entre deux rasades, ils discutaient avec une foule d'individus, recrutaient des marins, en poussaient d'autres à la mutinerie sur les navires marchands et s'enquéraient des itinéraires de proies potentielles.

    Les pirates faisaient également affaire avec les marchands et les figures politiques des hautes classes de la société, qui ne souhaitaient pas être aperçus en telle compagnie dans les lieux de commerce traditionnels. Lors d'un voyage en Jamaïque en 1683, John Taylor a remarqué que les habitants de l'île possédaient une grande richesse et jouissaient d'une myriade de divertissements grâce aux pirates et aux corsaires, ces pirates officiellement autorisés par la couronne britannique à défendre ses intérêts contre les Espagnols, qui fréquentaient leurs tavernes et leurs maisons closes.

    Pratiqué entre les 16e et 19e siècles, le commerce triangulaire désignait le mouvement transatlantique des esclaves, des biens et des cultures marchandes entre l'Afrique de l'Ouest, les colonies européennes en Amérique et l'Europe.

    PHOTOGRAPHIE DE National Geographic Maps

     

    VIVE LA RÉVOLUTION

    Sous l'impulsion de l'Angleterre, l'Europe avait à l'époque instauré des politiques, tracé des routes commerciales, réduit de nombreux Africains en esclavage et protégé les marchés connectés à ses colonies en Amérique. Ce commerce triangulaire approvisionnait l'Europe en matières brutes comme le coton, le tabac et l'indigo cultivés dans les colonies puis transformés en exploitant le travail des esclaves. La période a vu naître une véritable révolution de la consommation, avec l'apparition d'une forte demande émanant du peuple et de la noblesse pour les biens matériels qui étaient subitement devenus plus abordables. Des sociétés entières habituées à l'austérité étaient soudainement prises d'une folle envie de consommer.

    Les tavernes sont devenues de véritables plaques tournantes dans cette nouvelle économie. Marchands, taverniers, locaux et pirates… tous se livraient à ce joyeux échange des biens de luxe à la mode, à savoir le thé, le mobilier, les vêtements et les épices.

    Une barre et des pièces en or retrouvées dans l'épave du galion espagnol Nuestra Señora de las Maravillas qui a sombré en 1656 au large des Bahamas.

    PHOTOGRAPHIE DE Jeff Rotman, Nature Picture Library via Alamy Stock Photo

     

    OUVREZ LES COFFRES

    Bien entendu, les pirates n'hésitaient pas à écouler leur marchandise mal acquise. Tout le monde savait que dans l'exercice de leurs fonctions, il leur arrivait de soulager leurs victimes de quelques précieux objets. Mais quel usage ferait-il d'une porcelaine chinoise ? D'une faïence anglaise ou néerlandaise ? Ou d'une céramique allemande des plus raffinées ? Les taverniers les délestaient volontiers de ces articles coûteux, probablement à une fraction du prix original, afin de constituer leur propre butin. 

    Certains marchands n'avaient aucun scrupule à revendre le fruit du crime des pirates sur des étals légitimes. C'est ainsi que les petites gens amassaient une vaste collection d'objets culturels auxquels jamais elles n'auraient eu accès autrement. Évidemment, ce genre de transactions ne servait pas la cause du propriétaire lésé qui n'avait alors plus aucun espoir de retrouver ses trésors.

     

    L'OR DU CRIME

    Déformation professionnelle oblige, les pirates réglaient toujours en espèces sonnantes et trébuchantes. En 1683, alors que Francis Hanson faisait escale à Port-Royal, en Jamaïque, il fut étonné de découvrir que contrairement aux autres destinations, où les comptes étaient souvent tenus en denrées comme le sucre ou le tabac, il y avait tellement d'argent en Jamaïque que l'île pouvait rivaliser avec Londres.

    Selon le boucanier du 18e siècle Alexandre Exquemelin, « la plus belle part » du butin des pirates revenait aux tavernes et aux maisons closes. Il suffisait d'une simple aventure en mer à un pirate pour dilapider en un mois près de 1 000 pièces de huit, une monnaie espagnole devenue la première devise mondiale. Certains pirates pouvaient même dépenser deux à trois mille pièces de huit en une seule nuit, soit plus que la somme gagnée par les locaux en un an de labeur.

    Pirates et corsaires étaient très actifs dans les Caraïbes pendant l'âge d'or de la piraterie.

    ILLUSTRATION DE Culture Club , Getty Images

     

    LA PAROLE DU TAVERNIER

    Du côté des taverniers, un sou était un sou, peu importait sa provenance, c'est pourquoi ils prenaient soin de mettre à la disposition des pirates leur poison de prédilection. Dans un tel contexte, qui pourrait s'étonner de compter plus de 100 tavernes en 1680 à Port-Royal, le paradis des pirates ?

    Il arrivait que ce modèle économique soit source d'ennuis pour les taverniers. En 1721, les habitants de Port-Royal accusèrent un tavernier du nom de John Dunks d'avoir fourni à un pirate des hommes et des provisions et d'avoir permis à un autre d'échapper à la prison en lui offrant un refuge. Un tavernier d'Antigua, John Perrie, a lui aussi été accusé de faire affaire avec les pirates dans sa taverne de Saint John et de cacher des pirates.

     

    L'IMPORTANCE DES TAVERNES

    Ouvertes à toutes les âmes de l'Atlantique, pirates inclus, les tavernes offraient un endroit où faire affaire, où partager des connaissances, où tisser des liens sociaux et économiques sans craindre l'ingérence du gouvernement. Les îles de l'Atlantique étaient idéales pour accueillir ces échanges, car les habitants comptaient bien souvent sur les pirates et les marchands créatifs pour se procurer les produits et les services de première nécessité, un approvisionnement bien souvent troublé par les périodes incessantes de guerre internationale. Sans les tavernes, les pirates auraient eu bien du mal à écouler leurs prises et à remettre leurs navires en état. De la même façon, ils n'auraient eu aucun endroit où dépenser leur trésor illicite et s'offrir du bon temps.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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